L'éducation au Brésil sous le coup d'une guerre idéologique

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Par Paula RAMON - Sao Paulo (AFP)
Publié le 10 mai 2019 - 10:33
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Un étudiant dans les couloirs de l'université de l'Etat de Rio de Janeiro, le 6 avril 2017 au Brésil
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© TASSO MARCELO / AFP/Archives
Un étudiant dans les couloirs de l'université de l'Etat de Rio de Janeiro, le 6 avril 2017 au Brésil
© TASSO MARCELO / AFP/Archives

La guerre idéologique menée au Brésil par le gouvernement d'extrême droite de Jair Bolsonaro au nom de sa croisade contre le "marxisme culturel" touche de plein fouet l'éducation, un domaine qui était déjà mal loti, s'inquiètent les experts.

Coupes budgétaires pour les universités, luttes intestines au sein du ministère, annonces contredites le lendemain, démission forcée du ministre après trois mois de mandat calamiteux, l'Education au Brésil vit des heures troubles.

L'annonce la semaine dernière du gel de 30% des subventions aux universités fédérales par le nouveau ministre de l'Education, Abraham Weintraub, un technocrate, a jeté étudiants et professeurs dans les rues.

Puis, cette semaine, l'arrêt brutal du versement des bourses de master et doctorat en sciences et sciences humaines a plongé chercheurs et universités dans la stupeur.

La gauche a appelé à une manifestation à Rio de Janeiro vendredi menée par Fernando Haddad, ex-ministre de l'Education et candidat malheureux de la présidentielle, qui a vu dans les préoccupations comptables du ministre une "allergie de la droite à l'éducation".

M. Weintraub s'est défendu de vouloir, avec le gel des subventions, faire taire la contestation dans certaines universités, et s'est justifié en invoquant les difficultés économiques du Brésil.

Pourtant, avant de généraliser cette mesure à toutes les universités publiques, Abraham Weintraub avait d'abord annoncé le gel de 30% des subventions à trois universités ayant "semé le désordre au lieu d'améliorer leurs performances académiques".

- Philosophie et sociologie -

L'Université fédérale de Bahia (UFBA), l'Université fédérale Fluminense à Niteroi, près de Rio de Janeiro (UFF) et l'Université Nationale de Brasilia (UNB) avaient accueilli récemment des manifestations contre le fascisme ou des débats avec des élus de gauche.

Ce qui n'a pas empêché deux d'entre elles d'améliorer leur classement au sein du Times Higher Education (THE), qui fait référence.

Le secrétaire à l'Education Arnaldo Barbosa de Lima a assuré à l'AFP que la réduction des subventions "n'était pas idéologique" et ne mettait pas en danger le fonctionnement des universités, qui "continueront à garder leur autonomie sur leurs programmes".

Mais des recteurs sont montés au front, expliquant que ces coupes budgétaires allaient compromettre le fonctionnement même des universités fédérales, du fait de la fin de contrats d'entretien ou de sécurité notamment.

La rectrice de l'Université fédérale du Minas Gerais (sud), Sandra Goulart Almeida, a expliqué que les restrictions budgétaires pouvaient entraîner des pannes d'électricité et faire perdre des années de recherche scientifique.

"Les restrictions budgétaires ne datent pas d'aujourd'hui, mais pas à ce point-là...", déplore Gregorio Grisa, docteur en sciences de l'Education.

Le ministre avait déjà provoqué une polémique fin avril en évoquant une réduction des fonds publics alloués aux départements de philosophie et de sociologie des universités.

"L'objectif est de se concentrer sur les filières qui génèrent un retour immédiat au contribuable, comme les études d'infirmière, de vétérinaire, d'ingénieur ou de médecine", avait-il expliqué.

- "Méconnaissance du système éducatif" -

Un collectif d'universitaires du monde entier a réagi en publiant dans le quotidien Le Monde cette semaine une tribune.

"Dans nos sociétés démocratiques (...) l'évaluation des connaissances et de leur utilité ne doit pas être menée à l'aune de la conformité à une idéologie dominante", déclarent les signataires. "Nos sociétés, y compris le Brésil, ont besoin de plus - et non pas de moins - d'éducation".

"Le ministère de l'Education fait des scénarios qui n'intéressent pas l'éducation", estime Gregorio Grisa, déplorant "de l'improvisation, un mélange d'idéologie et de méconnaissance du système éducatif".

Le Brésil consacre près de 6% de son PIB à l'Education, mais ses résultats sont inférieurs à d'autres pays de la région (Chili, Colombie ou Uruguay), selon les tests Pisa de l'OCDE.

Pour les spécialistes, les spécificités démographiques et socio-économiques de ce pays de près de 210 millions d'habitants aux inégalités criantes exigent des investissements plus élevés dans l'éducation.

Arrivé au pouvoir en janvier, Jair Bolsonaro a fustigé un endoctrinement supposé des élèves par les enseignants de gauche et promu la multiplication des collèges militaires dans le pays.

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