Les Roms du Kosovo, victimes oubliées de la guerre

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Par Rusmir SMAJILHODZIC - Podgorica (Monténégro) (AFP)
Publié le 15 février 2018 - 07:45
Mis à jour le 16 février 2018 - 21:10
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Dans un camp de Roms à Podgorica, le 6 février 2018
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© SAVO PRELEVIC / AFP/Archives
Dans un camp de Roms à Podgorica, le 6 février 2018
© SAVO PRELEVIC / AFP/Archives

La guerre du Kosovo n'était pas la leur, mais elle a forcé à un exode sans retour des dizaines de milliers de Roms, éternels boucs émissaires des Balkans.

Au Monténégro voisin, dans le camp de Konik, en banlieue de Podgorica, le dixième anniversaire de l'indépendance du Kosovo, aura un goût amer samedi. Ils sont 2.000 à y vivre, dans des appartements récents pour les plus chanceux, dans des conteneurs aménagés ou des baraques pour les autres.

Ils ont fui le Kosovo il y a près de 20 ans, souvent accusés par la rébellion indépendantiste kosovare albanaise (UCK) de collaboration avec les forces serbes lors d'une guerre qui a fait 13.000 morts, en grande majorité albanais (1998-99). Une accusation souvent gratuite.

Serdjan Baftijari, 25 ans, était un enfant quand il a quitté Gracanica, ville d'un des plus beaux monastères orthodoxes du Kosovo. C'était l'été 1999, le vent avait tourné, les bombardements de l'OTAN avaient contraint Belgrade au retrait de ses troupes, l'UCK prenait le contrôle du territoire.

"Les Albanais gagnaient la guerre", "cela ne sentait pas bon pour les Serbes. Nous vivions dans une localité à majorité serbe, nous avons eu peur", dit Serdjan, pour qui les siens ont payé de n'avoir "pas choisi un camp".

- "Graves abus" -

Les Roms ont été "victimes de graves abus au moment de l'intervention de l'Otan", selon l'Humanitarian Law Centre, ONG indépendante de Belgrade. Ils ont été parfois contraints par les Serbes "à enterrer des cadavres de civils albanais et de combattants de l'UCK, à creuser des tranchées pour l'armée et la police, à se livrer à des pillages et des destructions de biens albanais", selon cette ONG.

La communauté comptait avant le conflit environ 100.000 personnes, selon diverses estimations. Elle est aujourd'hui réduite à environ 35.000, après le retour de plusieurs milliers de réfugiés, dit Gazmen Salijevic, militant de la cause Rom au Kosovo.

Ceux qui restaient s'exposaient au pire: selon l'antenne kosovare de l'Humanitarian Law Centre, 240 Roms ont été tués ou portés disparus.

"Les Roms ont été un dégât collatéral dans tous les conflits dans l'ex-Yougoslavie; quelque part, c'est facile de s'attaquer à nous. On n'a personne derrière nous, pas d'Etat, pas de système pour nous protéger", explique Gazmen Salijevic.

Avec l'aide européenne, le Monténégro a intensifié la construction d'appartements. L'objectif est d'éradiquer les installations précaires en 2018.

Cela ne mettra pas fin à l'ostracisme, selon Elvis Berisha, de l'organisation "Marchez avec nous", qui lutte pour la scolarisation des Roms: "Bien-sûr que c'est mieux de vivre dans un appartement que dans un conteneur" mais "cet endroit est déjà désigné comme le quartier +garavi+", terme insultant pour désigner les Roms.

- Insalubrité -

Comme une cinquantaine de familles, celle de Ferdi Bahtiri, 28 ans, attend ce relogement. En attendant, il a adjoint deux conteneurs pour y installer sa femme et leurs cinq enfants qu'il nourrit en déchargeant des camions au marché de Podgorica, moyennant 5 à 15 euros par jour.

Il n'y a pas d'eau courante, les toilettes communes sont inutilisables. Il faut aller chez des cousins qui ont eu la chance d'être relogés dans des appartements. De l'eau s'échappe de quelques tuyaux où les résidents vont remplir des bidons, des enfants jouent au milieu d'ordures.

Originaire de Mitrovica (nord du Kosovo), Ferdi Bahtiri est convaincu que cette insalubrité est à l'origine de la cirrhose du foie dont souffre sa plus jeune fille, Aïda, 18 mois. Il faudrait l'opérer à l'étranger mais il n'a pas les moyens de payer.

Pourtant, Ferdi Bahtiri "ne retournera jamais au Kosovo: je ne connais plus personne là-bas. Mes enfants sont nés ici, mes parents ont été enterrés ici". Comme Serdjan Baftijari, il lui a pourtant fallu brièvement retourner au Kosovo pour obtenir un passeport et éviter le statut d'apatride. Peu de ces réfugiés ont en effet réussi à obtenir la nationalité monténégrine.

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