L'Irak s'attaque à une tradition tribale violente et parfois meurtrière

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Par Salam FARAJ - Bagdad (AFP)
Publié le 18 novembre 2018 - 11:38
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Deux membres de tribu de la province de Najaf dans le sud de l'Irak se serrent la main, le 15 novembre 2018
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© Haidar HAMDANI / AFP
Deux membres des tribus de la province de Najaf dans le sud de l'Irak se serrent la main, le 15 novembre 2018
© Haidar HAMDANI / AFP

Morts et blessés par balles perdues, grenades lancées sur des maisons, roquettes tirées en ville: en Irak, la tradition tribale de la "degga" fait régulièrement trembler des quartiers entiers. Pour y mettre le holà, la justice vient de la classer "terroriste".

La "degga achayriya", littéralement "l'avertissement tribal" en arabe, remonte à plusieurs siècles. Mais ces dernières années, alors que les armes proliféraient dans l'Irak pris dans la tourmente des violences, elle a pris un tour dangereux.

Quand un conflit éclate entre des membres de deux tribus, si l'une ne se présente pas pour négocier et résoudre le différend ou payer le prix de sang devant un conseil de dignitaires, l'autre tribu vient tirer sur la maison d'un de ses membres.

Abou Tayba, qui utilise un surnom, raconte que son cousin, un policier de 40 ans, n'avait eu maille à partir avec personne. Mais parce qu'il est sorti de chez lui voir qui tirait sur une maison voisine, il a eu le bassin fracturé et a perdu une partie de son intestin, touchés par des balles perdues.

- "Avertir" au lance-roquettes -

Et les armes utilisées sont parfois plus lourdes, si l'on en croit le commandement militaire de Bagdad qui s'est adressé au Conseil supérieur de la magistrature. "Des grenades, des mitrailleuses, des lance-roquettes" sont utilisées, assure-t-il dans une lettre, consultée par l'AFP.

Le Conseil supérieur de la magistrature a annoncé le 8 novembre que la "degga", parce qu'elle "vise à terroriser les gens", relevait du "terrorisme" et donc de la loi antiterroriste qui prévoit jusqu'à la peine de mort.

Trois jours plus tard, il annonçait déjà des poursuites contre trois personnes arrêtées en flagrant délit de "degga" dans un quartier de Bagdad. Un premier test pour la justice dans un pays où les coutumes des puissantes tribus l'emportent généralement sur les décisions de justice.

A Bassora, cheikh Raëd al-Freiji, président du Conseil des tribus dans cette province du Sud, affirme à l'AFP que la "degga" est "quotidienne" dans sa région, souvent théâtre d'affrontements tribaux meurtriers impliquant des dizaines d'hommes armés.

- Policiers impuissants -

"Hier, il y a eu deux 'degga', avant-hier, trois, et cela a fait des blessés et d'importants dégâts", assure-t-il. Il y a deux mois, un différend conjugal a mené à une "degga" qui a dégénéré avec "un mort et trois blessés".

Durant l'année 2017 "il y a eu une dizaine de personnes tuées ou blessées par la degga à Bassora", affirme Mehdi al-Tamimi, président de la Commission locale des droits de l'Homme.

A Bassora, comme ailleurs en Irak, il n'existe aucun chiffre officiel sur les victimes des violences tribales, tant le sujet est sensible.

Et les deux hommes sont unanimes: le phénomène va grandissant parce que la justice de l'Etat ne fait pas le poids face aux coutumes ancestrales. Car les policiers, qui redoutent de se retrouver embarqués dans des conflits tribaux, n'interviennent pas.

Pour cheikh Adnane al-Khazali, dignitaire d'une importante tribu du quartier de Sadr City à Bagdad, "c'est le gouvernement qui est responsable" car il n'a pas le contrôle sur les armes en circulation, qui tombent aux mains de jeunes désœuvrés dans un pays ravagé par le chômage.

Résultat aujourd'hui, dit-il, "tous les jeunes sont armés et les conflits tribaux et la 'degga' se multiplient".

- "Loi de la jungle" -

"Ces incidents arrivent régulièrement et font parfois des victimes", confirme à l'AFP le général Saad Maan, porte-parole du ministère de l'Intérieur. Et le seul moyen d'y mettre fin, dit-il, c'est d'y répondre par "des décisions de justice qui sont appliquées".

Car, pour dignitaires tribaux, officiels et observateurs, c'est un cercle vicieux: "comme le droit n'est pas appliqué, les gens préfèrent se tourner vers les tribus pour obtenir justice", explique cheikh Freiji.

Mais en même temps, parce que généralement la loi n'est pas appliquée -du fait de la corruption, de passe-droits ou de peur de représailles- "rien ne peut contenir les affrontements entre tribus".

"C'est la loi de la jungle", martèle cheikh Freiji, connu pour ses positions sociales progressistes.

La "loi de la jungle", c'est l'expression qu'utilise aussi Abou Tayba quand il évoque son cousin, toujours à l'hôpital dans un état grave.

La "degga" qui l'a conduit à l'hôpital? Une bagarre dans un café populaire entre des jeunes de tribus rivales venus siroter un thé.

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