Pionnière du #MeToo sud-coréen, une magistrate au caractère bien trempé

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Par Jung Hawon - Séoul (AFP)
Publié le 27 septembre 2018 - 10:57
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La procureure Seo Ji-hyeon, pionnière du mouvement #MeToo en Corée du Sud, lors d'un entretien avec l'AFP le 7 août 2018 à Séoul
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© Jung Yeon-je / AFP
La procureure Seo Ji-hyeon, pionnière du mouvement #MeToo en Corée du Sud, lors d'un entretien avec l'AFP le 7 août 2018 à Séoul
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Celle qui lança le mouvement #MeToo en Corée du Sud a une silhouette gracile, l'air timide et la voix douce. Mais son combat a eu une portée considérable pour ses compatriotes.

Seo Ji-hyun, procureure à Séoul, a été pelotée de manière insistante par un supérieur hiérarchique lors des funérailles du père d'un autre collègue. Elle s'était plainte et sa carrière avait stagné pendant des années.

Dans une société déjà très conservatrice et patriarcale, l'institution judiciaire est considérée comme traditionaliste.

En janvier dernier, Mme Seo décide finalement de parler publiquement, racontant son expérience en larmes à la télévision. C'est sans précédent. Nombre de victimes de harcèlement restent silencieuses en Corée du Sud pour ne pas être ostracisées.

L'interview a servi de catalyseur et de nombreuses femmes ont fait depuis des révélations similaires, accusant des figures du monde des arts, de la politique et même de la religion de viol ou d'agressions sexuelles.

Parmi eux, figurent un ex-candidat à la présidentielle, un réalisateur lauréat de prix internationaux prestigieux, des acteurs connus à travers l'Asie et un poète régulièrement nominé pour le prix Nobel de littérature.

Dans l'un de ses rares entretiens avec un média international, Mme Seo, 45 ans, explique à l'AFP s'être sentie d'autant plus humiliée qu'elle était magistrate.

- "Suicide social" -

"J'avais tellement honte qu'en tant que procureure dont le rôle est de rechercher la justice, je ne pouvais pas dénoncer l'acte criminel que j'avais subi", dit-elle. "J'ai dû endurer en silence toute cette injustice."

Mais "je ne pouvais plus le supporter. Quand j'ai parlé à la télévision, ce qui revient à un suicide social, j’étais prête à démissionner et à vivre recluse le restant de mes jours".

Son histoire ressemble à celle de nombreuses Sud-Coréennes bien éduquées, dures à la tâche, qui subissent des discriminations au travail. Elle illustre également leur frustration croissante face à la lenteur du changement.

Le pays figure parmi les économies les plus avancées du monde. Mais il est régulièrement à la traîne des classements de l'OCDE relatifs à l'égalité salariale et à la place des femmes dans le management.

Beaucoup de Sud-Coréennes ont été harcelées sexuellement au travail mais celles qui osent parler sont souvent sanctionnées "pour avoir créé des problèmes", voire licenciées sans autre forme de procès.

Les procureures ne sont pas épargnées: après avoir rejoint le parquet en 2004, Mme Seo explique avoir subi le harcèlement moral et physique de ses collègues masculins ou de ses supérieurs.

Après l'incident des funérailles, en 2010, auxquelles assistait le ministre de la Justice, elle avait parlé à sa hiérarchie qui lui avait promis de persuader celui qu'elle accusait, Ahn Tae-geun, de lui présenter ses excuses personnelles. Mais rien ne s'est produit. En revanche, Mme Seo a été rétrogradée, envoyée à Tongyeong, petite ville côtière du sud du pays, bien qu'elle ait auparavant été distinguée par le ministère pour sa performance au travail.

- "La faute de la société" -

Suspectant que son agresseur Ahn était derrière ses ennuis, elle a déposé officiellement une série de plaintes auprès de ses supérieurs. On lui a alors dit de se taire, lui reprochant de semer la zizanie au sein du parquet, une organisation hiérarchisée où la loyauté est primordiale.

Les femmes en Corée du Sud représentent 30% des procureurs mais n'occupent que 8% des postes de chefs. Selon une récente étude gouvernementale, 70% des magistrates du parquet ont subi du harcèlement sexuel ou des agressions.

Plus généralement, une étude de l'Association des employées coréennes montre que la carrière de près de 65% des femmes s'étant plaintes de harcèlement au travail a marqué le pas.

Il fallu huit ans à Mme Seo, mariée et mère d'un enfant, pour rassembler son courage et parler.

"De nombreuses femmes m'ont remerciée, disant qu'elles étaient inspirées par mon affaire, qu'elles avaient pris conscience que si elles n'osaient pas parler, c'était la faute de la société", dit Mme Seo.

Son interview lui a valu de multiples manifestations de soutien et a déclenché un déluge d'accusations d'autres femmes.

L'homme qu'elle accuse, limogé par ailleurs pour corruption l'année dernière, n'a pas été inculpé d'agression sexuelle en raison de l'expiration de la prescription -- un an -- mais il l'a été pour abus de pouvoir.

- "Le prix fort" -

Il dément, expliquant qu'il était trop ivre pour se souvenir des obsèques en question. Le jugement est attendu avant la fin de l'année.

Certaines femmes ayant imité Mme Seo ont essuyé des représailles juridiques, les agresseurs supposés se servant des lois contre la diffamation pour porter plainte contre elles.

Parfois, les victimes ont essuyé des attaques personnelles acharnées.

L'ex-candidat à la présidentielle Ahn Hee-jung a été acquitté des accusations de viols multiples portées contre lui par une collaboratrice. Le tribunal a jugé qu'elle ne s'était pas comportée en victime car elle n'avait pas démissionné.

La police a récemment découvert qu'un collaborateur de cet homme politique avait mis en ligne plus d'un millier de diatribes anonymes dénonçant la collaboratrice.

"Cela me fend le coeur de voir tant de femmes payer le prix fort pour avoir parlé", regrette la magistrate Mme Seo.

Elle est en arrêt maladie depuis l'entretien télévisé et s'attend à ne plus jamais remettre les pieds dans un parquet.

"Mais je ne regrette pas ce que j'ai fait. La longue tradition d'accuser, de faire honte et de museler les victimes d'abus sexuels en lieu et place des agresseurs doit s'arrêter, maintenant".

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