Plus de letton et moins de russe : crispations autour d'une réforme scolaire en Lettonie

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Par Imants LIEPINSH avec Anna Maria JAKUBEK à Varsovie - Riga (AFP)
Publié le 24 juin 2018 - 08:15
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Manifestation contre la réforme de l'éducation qui renforce la place du letton dans les écoles des minorités au détriment du russe, le 2 juin 2018 à Riga, en Lettonie
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© Ilmars ZNOTINS / afp/AFP
Manifestation contre la réforme de l'éducation qui renforce la place du letton dans les écoles des minorités au détriment du russe, le 2 juin 2018 à Riga, en Lettonie
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La loi a été votée en mars et les tensions s'accumulent depuis: la Lettonie va renforcer nettement la place du letton dans les écoles des minorités du pays, au détriment du russe principalement. Une mesure fustigée par certains Russes de Lettonie et par Moscou.

A compter de septembre 2019, 80% du temps d'enseignement se déroulera en letton, dans toutes les écoles primaires et secondaires des minorités nationales, contre seulement 40% en moyenne aujourd'hui, selon la loi votée par le parlement de Riga.

L'objectif de cette réforme est de permettre aux élèves dont la langue maternelle n'est pas le letton d'aborder avec un meilleur bagage linguistique les examens de fin de secondaire, menés uniquement en letton et essentiels pour bénéficier de frais de scolarité réduits dans l'enseignement supérieur. Et donc de leur faciliter l'accès aux études supérieures.

"Chaque enfant devrait avoir le même accès à l'éducation", a dit à l'AFP le député centriste Raivis Dzintars, partisan de cette réforme. En 2014, le délégué aux droits de l'homme Juris Jansons pressait déjà de modifier le système scolaire en vigueur qui, selon lui, faisait "penser à de la ségrégation ethnique".

C'est sur la communauté russe que l'impact de la réforme sera le plus fort: les russophones sont de loin la première minorité de Lettonie, représentant 24% de la population de ce petit pays de 1,9 million habitants, loin devant les autres minorités (Polonais, Juifs, Ukrainiens et Bélarusses) dans cet Etat où les Lettons, eux, sont 62%.

Au total, 12% des écoles primaires et secondaires du pays sont russes (94 établissements) et 7,5% sont des écoles bilingues où existent des classes russes et des classes lettonnes (57 établissements).

- "Assimilation forcée" -

L'affaire a vite pris une dimension politico-diplomatique.

Le délégué russe à l'OSCE Alexander Loukachevitch a dénoncé une "continuation de la politique discriminatoire visant à l'assimilation forcée de la population russophone" en Lettonie.

Le Kremlin a soulevé la question avec ses partenaires de l'Union européenne, a indiqué récemment le président russe Vladimir Poutine, ajoutant: "J'espère qu'ils auront honte. Ils portent une attention particulière aux droits de l'homme à l'extérieur de l'UE, mais ils les violent eux-mêmes au sein de l'UE".

Un juriste russe, Ilya Chablinski, membre du conseil présidentiel pour les droits de l'homme en Russie, comptait, selon le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta, se rendre en Lettonie en juin pour "inspecter le conflit" autour des écoles. Riga a aussitôt riposté: "Les fonctionnaires russes peuvent faire des inspections dans leur pays, mais une telle activité ne sera pas tolérée en Lettonie". M. Chablinski a nié auprès de l'AFP vouloir mener une "inspection", précisant avoir été "interdit d'entrée en Lettonie pour six mois".

La Lettonie entretient des rapports particuliers avec la Russie. Ce pays balte est devenu indépendant en 1918 mais a été occupé entre 1944 et 1990 par l'Union soviétique. Des dizaines de milliers de Lettons ont été déportés pendant l'ère soviétique, tandis qu'autant de Russes venaient coloniser la Lettonie, modifiant sensiblement son équilibre ethnico-linguistique. Au nom d'une russification massive, un système scolaire dual avait alors été instauré, letton d'un côté, russe de l'autre.

En Lettonie, la réforme des écoles des minorités a déclenché l'ire de l'Union Russe, le parti qui défend les intérêts de la communauté russophone. Il organise régulièrement des rassemblements de protestation, avec une motivation politique à l'approche des élections législatives prévues le 6 octobre.

"Les Russes ne se rendent pas", lit-on sur certaines des pancartes à ces occasions. Ou encore "Droits le matin, loyauté le soir", laissant entendre que l'allégeance des russophones à l'Etat letton dépend de la satisfaction de leurs demandes.

"J'ai deux fils et des petits-enfants. Je veux qu'ils reçoivent une éducation russe et non lettonne", a dit à l'AFP un homme de 54 ans, Valeri Andreïev.

- Une bonne réforme ? -

Mais ces manifestations n'attirent toutefois que quelques centaines de personnes, relativement âgées, loin des 15.000 manifestants - en majorité des étudiants et des jeunes - qui s'étaient réunis lors de rassemblements similaires en 2004, quand Riga, déjà, tentait de renforcer le letton à l'école.

Depuis, des activistes russes ont échoué à obtenir que le russe devienne l'autre langue officielle de Lettonie: un référendum en ce sens organisé en 2012 dans le pays s'est conclu par un niet à 75%.

Aujourd'hui, la plupart des russophones de Lettonie, y compris les organisations de parents et d'enseignants, ne s'opposent pas ouvertement à la réforme scolaire qui vient d'être adoptée. Les familles russes envoient d'ailleurs de plus en plus leurs enfants dans des écoles lettonnes.

Quant aux autres minorités, elles ne s'opposent pas à la réforme: au contraire, le Congrès des Ukrainiens en Lettonie et la communauté juive la soutiennent.

"Quand je visite Israël, j'observe un problème: l'arabe étant la deuxième langue officielle (dans ce pays), beaucoup d'enfants palestiniens sont défavorisés car, n'étant pas obligés d'apprendre l'hébreu, ils ont du mal plus tard à l'université", où l'on n'entre pas si l'on ne parle pas hébreu, a déclaré à l'AFP le grand rabbin de Riga, Menachem Barkahan.

"La réforme de l'éducation en Lettonie permettra d'éviter une telle situation", selon lui.

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