Révolution de 1917 : la mémoire de l'exil toujours vivace en France

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Par AFP
Publié le 29 octobre 2017 - 10:30
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Catherine Melnik, arrière petite-fille du dernier médecin du tsar Nicolas II, dans son appartement à
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Catherine Melnik, arrière petite-fille du dernier médecin du tsar Nicolas II, dans son appartement à Paris le 4 octobre 2017
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Catherine Melnik sort avec précaution les photos jaunies d'un arrière grand-père qu'elle n'a jamais connu: médecin du dernier tsar de Russie, il sera fusillé après la révolution de 1917 et sa famille partira en exil comme des millions de Russes "blancs" pour sauver leur vie.

"Mon arrière grand-père Eugène Botkine a été médecin des pauvres puis médecin de la famille impériale", explique-t-elle en alignant les clichés noir et blanc sur une table.

Sur l'un d'eux, le visage bien connu du tsar Nicolas II se détache. À sa droite, épaulettes militaires et bouc soigné, le docteur Botkine lui adresse un sourire complice.

Un instantané des coulisses du pouvoir impérial russe, auquel la révolution mettra un terme. Après l'arrivée au pouvoir des bolchéviques en octobre 1917, tous ceux perçus comme des ennemis de classe sont condamnés ou exécutés.

Eugène Botkine est fusillé l'été suivant avec le tsar et ses proches à Ekaterinbourg, après un ultime transfert. Sa fille Tatiana échappe de peu au même sort.

- Voyage sans retour -

"On a interdit à ma grand-mère Tatiana de suivre son père car elle était trop jeune pour mourir. Elle savait, et Eugène Botkine savait, que c'était un voyage sans retour", explique sa petite-fille.

Sa vie n'en a pas moins "été fracassée", relève cette passionnée de peinture installée à Paris.

"Quand son père rentrait de ses longues journées au palais, son plaisir était de s'installer au chevet de sa fille et de lui raconter tout ce qu'il s'était passé", confie-t-elle.

Après la mort d'Eugène Botkine, sa famille prend la route de l'exil et arrive en France en 1926. Elle s'installe près de Grenoble, à la faveur d'un emploi dans une usine de papeterie.

Dans la foulée de la révolution, environ deux millions de Russes ont quitté leur pays. Quelques centaines de milliers rallient la France, destination prisée en raison des liens culturels forts entre les deux pays et des possibilités de travail dans l'Hexagone, au lendemain de la première guerre mondiale.

"Les entreprises françaises ont besoin de main d'œuvre et les Russes ne rechignent pas à travailler. Les officiers russes ne sont pas prêts de se syndicaliser, donc Renault, Peugeot et beaucoup d'autres entreprises sont très contentes d'avoir des ouvriers qui ne vont pas faire grève", analyse Alexandre Jevakhoff, haut fonctionnaire et historien.

- 'Assis sur des valises' -

"Une phrase revient souvent dans l'immigration russe : +on était assis sur des valises+, car pendant des années la majorité considérait qu'elle retournerait en Russie, que le régime soviétique allait tomber", poursuit le spécialiste, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

La communauté se structure autour d'associations russes et de l'église orthodoxe.

"Il y avait les associations sportives d'un côté, les scouts de l'autre, les joueurs d'échecs, des bals, des danses, des spectacles... Une vie sociale, culturelle, très importante", se souvient Igor Orobchenko, un gaillard de 90 ans qui a consigné ses souvenirs d'enfance dans des albums.

Arrivé en France dans les années 20, pour "ramasser les obus" sur les champs de batailles de Champagne-Ardennes, son père rejoint ensuite la région parisienne où il rencontre sa future femme, émigrée russe elle aussi, avant de devenir chauffeur de taxi puis ouvrier.

- Transmettre la mémoire -

"Mes parents étaient très pauvres à leur arrivée en France, il fallait tous les jours penser comment survivre et manger. A l'époque il n'y avait ni sécurité sociale, ni alimentation, ni primes", explique l'ancien employé de banque.

Dans son appartement de Clichy, au nord-ouest de Paris, plusieurs objets témoignent de ses racines : des verres à l'effigie du tsar côtoient une bougie électrique rouge qui veille sur les icônes orthodoxes installées à l'angle du salon.

"J'ai une double culture, d'une part bien sûr la culture française, mais aussi un grand bout de culture russe car je parle russe, j'écris russe et je lis le russe", souligne Igor Orobchenko.

"Mais qui continuera à transmettre cette mémoire ?", s'inquiète le vieil homme. "Je suis aujourd'hui le seul qui reste de cette première génération de la communauté russe de Clichy".

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