Roms de Serbie : un toit pour commencer à s'en sortir

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Par Nicolas GAUDICHET - Belgrade (AFP)
Publié le 06 avril 2018 - 10:13
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Un enfant joue dans un camp rom à Belgrade, le 28 mars 2018
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© ANDREJ ISAKOVIC / AFP
Un enfant joue dans un camp rom à Belgrade, le 28 mars 2018
© ANDREJ ISAKOVIC / AFP

Bekim Gashi et Kasandra Cac sont voisins à Orlovsko Naselje, quartier rom de Belgrade, mais l'un rêve que sa fille devienne médecin quand l'autre ne voit "aucun avenir" pour la sienne.

Leurs mondes ne sont séparés que de quelques dizaines de mètres: Bekim, 32 ans, a obtenu un logement social, Kasandra, 20 ans, survit dans un campement insalubre juste au-dessus, sur la colline voisine.

Dimanche est célébrée la journée internationale des Roms qui, en Serbie comme dans le reste des Balkans, sont selon la Commission européenne "en butte à la discrimination dans tous les secteurs de l'existence": logement, emploi, éducation, accès aux soins...

Les Roms sont officiellement 150.000 en Serbie, mais trois à quatre fois plus selon les associations et le Conseil de l'Europe, soit jusqu'à 600.000 et environ 9% de la population.

Après des années passées dans un des 500 à 600 camps informels du pays, Bekim Gashi et sa famille sont aujourd'hui logés dans un appartement de 60 m2 d'un immeuble de la municipalité, bâti en 2015 avec l'aide de fonds de l'Union européenne.

Ce programme est destiné à 170 familles, dont douze dans l'immeuble des Gashi.

Ceux qui vivaient dans le camp des Gashi, à Jabucki Rit, dans la grande banlieue de Belgrade, ont eu la chance d’être choisis. Mais il y a peu de logements disponibles pour répondre aux besoins de dizaines de milliers de Roms.

- "Je ne peux pas étudier" -

Kasandra Cac, elle, vit dans l'un des quelque vingt conteneurs posés en surplomb de l'immeuble de Bekim, cernés par les ordures et dépourvus d'eau courante.

Elle y attend la naissance de son deuxième enfant. "Ce n'est pas possible de vivre ici", dit la jeune femme. Elle, sa fille, son mari et quatre autres membres de sa famille, survivent avec quelque 100 euros mensuels d'aides sociales.

Après un hiver glacé, Kasandra Cac attend anxieusement l'été des Balkans, quand il deviendra difficile de respirer dans son conteneur de métal. Ce camp était censé n'être qu'une solution provisoire quand il a été installé il y a dix ans.

Le bâtiment des sanitaires a été incendié, par des toxicomanes affirment les habitants. Les quelques toilettes de chantiers posés là sont dans un état effroyable. Détournée du système public, l'eau qui s'échappe de deux tuyaux n'est pas potable.

A l'heure de l'école, les enfants sont nombreux à jouer entre les conteneurs. "Je voudrais terminer le lycée, mais je ne peux pas étudier ici", dit Daniela Markovic, 17 ans. Peu sont allés aussi loin dans leurs études.

Selon Ljuan Koka, du Centre pour l'éducation des Roms et autres communautés (CERS), seulement 15% des enfants Roms finissent le cycle primaire (vers l'âge de 15 ans) contre 93% sur l'ensemble de la Serbie. Ils ne sont que 7 à 8% à aller au lycée.

Dans son appartement, Gordana Gashi, 10 ans, a un ordinateur, fourni par la mairie aux familles ayant des enfants scolarisés. Après l'école, "une amie vient chez moi pour qu'on révise ensemble", raconte la petite fille.

Quand elle habitait dans son camp de Jabucki Rit, Gordana ratait souvent l'école. "Nous vivions dans la boue, dans une maison de planches et de plastiques", dit son père Bekim, qui touche un petit salaire comme médiateur avec les autorités municipales, aidant ici à effectuer des démarches administratives, là à gérer les problèmes au sein de l'immeuble...

- Préjugés et moqueries -

Ses enfants étaient "propres quand ils sortaient de la cabane et couverts de boue quand ils quittaient le bidonville", "trop mal à l'aise" pour aller à l'école, se souvient-il.

Désormais, ils "sont regardés comme les autres" à l'école, assure-t-il.

Devant son conteneur, Tatjana Cac, 41 ans, la belle-mère de Kasandra, raconte au contraire les "préjugés" persistants contre les Roms: "Certains rient en voyant nos enfants, se moquent de leurs habits, de notre absence d'éducation".

En 2016, l'ONU estimait que "90% des enfants des camps Roms en Serbie, grandissent dans la pauvreté", la mortalité infantile "y est deux fois plus importante" que la moyenne, "un cinquième est en butte à la malnutrition", 13% seulement sont correctement vaccinés.

"Il y a tout le temps des bagarres", "les voisins ne nous aiment pas et je les comprends", soupire un autre habitant du camp rom, Marijan Filipanovic, 41 ans. "Pourquoi ont-ils un logement et pas nous?", demande-t-il en montrant l'immeuble en contrebas.

Pour le militant Ljuan Koka, ce programme de relogement, qui suscite "rivalités et conflits" entre Roms, est un pansement sur une jambe de bois: elle ne cassera pas le "cercle vicieux de la pauvreté": "Vous n'allez pas à l'école, vous n'avez pas de travail, vous ne payez pas vos factures" jusqu'à l'expulsion.

La mairie de Belgrade acquitte la moitié des factures des plus fragiles? "Qui paye l'autre moitié?", ironise Ljuan Koka.

Selon lui, un centre de recyclage était prévu à Orlovsko Naselje, qui aurait employé les Roms. Mais il n'a jamais vu le jour, malgré les subventions.

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