A Sarajevo, un club de foot pour les nostalgiques de la concorde

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Par AFP
Publié le 27 octobre 2017 - 18:03
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Des joueurs de Zeljeznicar ("Zeljo"), en bleu, le 25 octobre 2017 face à Mladost à Sarajevo
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© ELVIS BARUKCIC / AFP
Des joueurs de Zeljeznicar ("Zeljo"), en bleu, le 25 octobre 2017 face à Mladost à Sarajevo
© ELVIS BARUKCIC / AFP

Martyrisée durant plus de trois ans de siège, Sarajevo n'est plus cette ville fière de ses mélanges: mais les nostalgiques de cette coexistence entre Serbes, Croates et Bosniaques, gardent un club de foot, le "Zeljo".

"Nous sommes à Zeljo et Zeljo est à nous!". La seule appartenance à avoir ici droit de cité, est tracée sur un mur du stade de Grbavica, quartier éprouvé par un conflit intercommunautaire (1992-95) qui avait fait quelque 100.000 morts, dont plus de 11.000 dans la ville.

Il a aussi irrémédiablement détruit le rêve de mélange harmonieux: Serbes et Croates n'y pèsent plus que pour 9% de la population contre un tiers avant la guerre.

Mais "un supporter de Zeljeznicar (ndlr: Cheminot) ne s'est jamais déterminé par son appartenance ethnique ou religieuse", dit Adis Hadzic, porte-parole de 40 ans. "Au moment où on nous épuise avec la nation, la religion et autres appartenances, être +Zeljo+, c'est fuir cette réalité."

Légende du club et gamin de Sarajevo, Ivica Osim, 76 ans, a inauguré en avril la tribune Est, en partie financée par les supporters: Zeljo, "c'est un club de nostalgiques qui vivent de ce qui fut", a-t-il décrit. Pour l'ultime sélectionneur d'une Yougoslavie unie (1986-92), ce club "ce n'est pas seulement du football, c'est un style de vie et de comportement".

Pourquoi soutenir "Zeljo" plutôt que le rival du FK Sarajevo? Emir Muhamedagic, 26 ans, a aussi sa formule: "Le FK Sarajevo est une géographie; Zeljo une philosophie". Ce supporter a grandi face au stade, dans un immeuble toujours criblé d'éclats d'obus.

Le stade a fini la guerre en ruines: tenu par les Serbes, la ligne de front le séparait de son terrain d'entraînement, en zone bosniaque.

- Supporters propriétaires -

Créés en 1921 par des cheminots, les "Plavi" ("Bleus") sont arrivés alors qu'existaient quatre clubs, raconte Muhamedagic: "Sask pour les Croates, Slavija pour les Serbes, Barkohba pour la communauté juive, Osman pour les Bosniaques". Le nouveau venu se voulait ouvert à tous.

Champion de Yougoslavie en 1972, demi-finaliste de la Coupe de l'UEFA en 1985 avec Ivica Osim sur le banc et Mehmed Bazdarevic sur le terrain, il est resté l'équipe "des gens qui se faisaient niquer la gueule par quelqu'un, le pouvoir, le patron...", explique Amar Osim, 50 ans, fils d'Ivica et ancien entraîneur d'un club qu'il a mené à cinq de ses six titres nationaux. En face, le FK Sarajevo, créé en 1946, avait la réputation d'être soutenu par la nomenklatura titiste.

Zeljo est une association, ses dirigeants sont bénévoles. En 2015, il a été décidé que jamais les supporters ne possèderaient moins de 51% du club.

Cette identité forte, "Zeljo" s'en sert pour grandir. Avec un budget annuel de 3 millions d'euros, ses moyens sont limités, même en vendant les meilleurs joueurs, comme l'attaquant croate Ivan Lendric, parti en France, au RC Lens (2e division).

Comment faire du stade décati une enceinte de 13.500 places capable d'accueillir des rencontres internationales? "Quelqu'un a eu l'idée de proposer des abonnements de dix ans" moyennant 511 euros, somme coquette en Bosnie, raconte le président, Vedran Vukotic, 39 ans.

Plus de 800 supporters ont participé à l'opération, apportant plus de 400.000 euros sur 1,1 million nécessaire: entreprises, particuliers, mais aussi des stars comme le milieu de la Juventus Miralem Pjanic ou le musicien Goran Bregovic. Ancien du club, l'attaquant de la Roma Edin Dzeko, a sa signature peinte sur un mur: il a financé d'autres équipements.

- 'Qui est quoi' -

Les noms sur les sièges de la tribune Est trahissent une prédominance de donateurs bosniaques, cohérente avec le nouveau visage de la ville. Mais "je ne pense pas que Zeljo devienne un club bosniaque", dit Mario Vukasovic, 29 ans, dont la famille croate est revenue en 1996.

"La multiethnicité y est plus grande qu'en ville" et surtout, personne ne s'y préoccupe de nationalité, assure ce supporter qui répondra encore présent pour la couverture de la tribune Sud, un projet de 2,5 millions d'euros.

L'école de foot accueille de plus en plus d'enfants serbes. La guerre terminée, des joueurs croates sont revenus. Puis les Serbes, comme le défenseur belgradois Jovan Blagojevic, 29 ans, qui entame sa troisième saison sans avoir "jamais reçu de mauvaise parole".

"Tu commences de nouveau à ne pas te rendre compte qui est quoi" sur le terrain, se félicite Amar Osim. "Les barrières tombent de plus en plus", promet Vukotic qui dit sa "fierté d'avoir reconstruit le stade et en même temps les liens entre les gens."

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