Six millions d'Américains privés de droit de vote pour une condamnation passée

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Par AFP - Los Angeles
Publié le 28 octobre 2018 - 07:45
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Des électeurs vont voter à Phoenix dans l'Arizona, lors d'une primaire le 28 août 2018. Aux Etats-Unis,six millions de personnes sont privées de ce droit pour une condamnation passée
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© Ralph Freso / GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP
Des électeurs vont voter à Phoenix dans l'Arizona, lors d'une primaire le 28 août 2018. Aux Etats-Unis,six millions de personnes sont privées de ce droit pour une condamnation pass
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Six millions d'Américains, souvent Noirs, d'origine hispanique ou issus de milieux défavorisés, ne pourront pas voter le 6 novembre prochain: de nombreux Etats retirent leurs droits civiques aux personnes condamnées, privant de facto d'un important vivier électoral le Parti démocrate qui cherche à conquérir le Congrès.

"C'est un dispositif assez unique en son genre", affirme Sean Morales-Doyle, expert du Brennan Center for Justice, l'une des nombreuses ONG qui fait campagne pour la réforme du système.

Le système est d'autant plus anti-démocratique à leurs yeux que les règles en la matière "varient énormément d'un bout à l'autre du pays", qui compte la plus importante population carcérale au monde (2,1 millions), explique à l'AFP M. Morales-Doyle.

Le Maine et le Vermont sont les deux seuls Etats où un repris de justice ne perd jamais ses droits électoraux. A l'inverse "vous êtes interdit de vote à vie si vous êtes condamné pour un quelconque crime dans trois Etats: l'Iowa, le Kentucky et la Floride", souligne le juriste.

Et par "crime", le législateur n'entend pas toujours meurtre ou viol. En Floride, l'un des Etats considérés comme ayant la législation la plus dure, cette catégorie englobe aussi le vol de voiture ou la possession de drogue dure.

Alors que des condamnés réinsérés depuis des dizaines d'années sont toujours privés de droit de vote à certains endroits, dans d'autres des prisonniers peuvent déposer un bulletin dans l'urne. C'est le cas en Californie, où petits délinquants et détenus en attente de jugement pourront élire leurs représentants au Congrès, et même voter contre le shérif qui les a arrêtés.

Sauf que la plupart d'entre eux l'ignorent. Dans les prisons de Los Angeles, "nous avons rencontré beaucoup de gens, parfois même âgés de plus de 60 ans, qui s'inscrivaient pour la première fois!", s'exclame Esther Lim, responsable d'une campagne qui a permis d'ajouter quelque 2.000 détenus sur les listes électorales. "On nous disait constamment: +Je pensais que je ne pouvais pas voter+".

- "Peur d'aller voter" -

"Toutes ces différences créent une vraie confusion, le citoyen lambda ne sait pas à quoi s'en tenir" et, dans le doute, préfère généralement s'abstenir, déplore M. Morales-Doyle.

A l'inverse, certains exercent à tort leur droit de vote, et s'en mordent les doigts. Crystal Mason, 43 ans, en liberté surveillée après une fraude fiscale, a commis l'erreur de voter en 2016 sans savoir que le code électoral du Texas l'en empêchait. Elle a été condamnée à 5 ans de prison.

"C'est exactement ce qui fait que les gens ont peur d'aller voter alors qu'ils en ont le droit!", s'indigne Sean Morales-Doyle.

Beaucoup des condamnés privés de leurs droits électoraux sont d'origine "hispanique" ou Noirs (un sur treize), comme Crystal Mason. Surreprésentés dans le système pénal, les "Noirs américains en âge de voter ont quatre fois plus de risque d'être privés de droit de vote que le reste de la population", relève l'ONG Sentencing Project.

Nicole D. Porter, spécialiste des discriminations pour cette ONG, y voit un héritage de l'esclavagisme et de la ségrégation. "Après la Guerre de Sécession, les sept Etats du Sud ont systématiquement et délibérément cherché à empêcher les Noirs de voter", déclare-t-elle à l'AFP.

- Codes noirs -

En Alabama par exemple, les législateurs blancs ont fait en sorte qu'un individu soit rayé des listes électorales en cas de condamnation pour "turpitudes morales", terme ambigu laissé à la libre interprétation des juges.

"De la même manière, au Mississippi, battre sa femme ou commettre un vol par effraction entraînaient la privation du droit de vote" car les autorités estimaient que ces crimes seraient majoritairement commis par des noirs. "Mais vous ne perdiez pas le droit de voter si vous étiez condamné pour homicide", poursuit Mme Porter.

Il aura fallu attendre un siècle, en 1968, pour que le meurtre et le viol soient rajoutés à la liste dans cet Etat. "Mais l'esprit des ces +codes noirs+ demeure et continue d'avoir un impact au niveau national", assure Nicole D. Porter.

"Cela s'étend bien au-delà des seules personnes condamnées car les enfants qui grandissent dans des endroits où ils voient tant d'adultes interdits de vote ne risquent pas de voter eux-mêmes", renchérit Sean Morales-Doyle.

"Dans certaines zones, des communautés entières sont hors du système électoral", relève-t-il, citant l'exemple de la Floride.

L'Etat compte à lui seul 1,7 million de condamnés privés de droit de vote. En 2000, George W. Bush avait moins de 550 voix d'avance dans cet Etat, ce qui lui avait suffi pour entrer à la Maison Blanche.

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