Transmettre le plaisir d'apprendre : le destin de Khanom, de Damas à Montpellier

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Par Isabelle LIGNER - Montpellier (AFP)
Publié le 12 janvier 2018 - 10:40
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L'enseignante syrienne Khanom Al-Yazigi à Montpellier, le 29 décembre 2017
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© SYLVAIN THOMAS / AFP
L'enseignante syrienne Khanom Al-Yazigi à Montpellier, le 29 décembre 2017
© SYLVAIN THOMAS / AFP

Pour conjurer les "douleurs accumulées" depuis le début de la guerre en Syrie, le pays qu'elle a quitté en 2013, Khanom Al-Yazigi, brillante universitaire syrienne, transmet aujourd'hui à des collégiens de Montpellier ce qui l'anime depuis l'enfance: le plaisir d'apprendre et la passion du français.

"Quand je vois les élèves, j'oublie tout. Je suis là pour eux et ils le sentent", se réjouit l'ex-chef du département multilingue de l'Institut supérieur des Langues de Damas, aujourd'hui professeur de français vacataire dans un collège réputé difficile de Montpellier.

"Quand j'étais petite, c'était un grand plaisir d'aller à l'école, d'apprendre", raconte encore cette élégante femme brune derrière ses lunettes métalliques couleur rouille. Dès l'âge de six ans, appelée au tableau pour expliquer un exercice, la petite fille "développe des astuces pour captiver et calmer" son auditoire. "Enseigner a toujours été un grand plaisir même si, au départ, je préférais la recherche et la traduction", avoue cette passionnée de poésie.

Née il y a 47 ans un 14 juillet à Salamieh (ouest de la Syrie), la ville natale du poète Mohammed al-Maghout (mort en 2006), Khanom est encouragée par ses parents, pourtant non francophones, à apprendre le français, et à être autonome.

A 16 ans, la lycéenne issue d'une fratrie de six enfants élevés dans une famille de tradition musulmane et tournés vers l'excellence, choisit donc d'étudier la langue de Molière et non l'anglais, considéré comme plus prestigieux. Après un bac scientifique avec mention, elle obtient en 1992 une licence de langue et littérature françaises à l'université de Damas et découvre la France.

Sept ans plus tard, elle fait une maîtrise de Français langue étrangère puis un DEA à l'université Paul Valéry de Montpellier, où elle tisse des relations "très profondes", en particulier avec sa directrice de thèse Michèle Verdelhan. Cette dernière est frappée dès cette époque par "le courage face aux difficultés" que montre l'étudiante et "sa capacité à aider les autres".

- "Syrienne et Française" -

De retour à Damas en 2007, elle enseigne à l'université. Mais quatre ans plus tard, la guerre éclate en Syrie et elle apprend à "vivre sur un volcan". En 2013, elle ne peut se rendre à l'enterrement de son père à Salamieh; elle n'a plus que 13 étudiants au lieu de 500; des proches, des étudiants, des collègues meurent quotidiennement autour d'elle. Elle pose alors un congé sabbatique, dépose une demande de visa pour la France et rejoint Montpellier en septembre.

Refusant de déposer une demande d'asile, une procédure qui demande d'attendre neuf mois avant de pouvoir travailler, l'universitaire en exil décroche des contrats de travail en collège pour prolonger son droit de séjour en France.

Au début, à Béziers, elle trouve "difficile" d'être confrontée à "un statut et un public tout à fait différents". "Le choc", témoigne-t-elle, "c'est quand les élèves me parlaient sans respect".

Soutenue par ses collègues, Khanom Al-Yazigi conquiert cependant rapidement son nouveau public sans élever la voix, à l'image de sa mère qui n'a "jamais utilisé l'impératif". Certains collégiens d'origine maghrébine se sentent "sécurisés" d'avoir une enseignante arabophone, assure-t-elle.

Peu après son arrivée en France, une loi syrienne interdit aux professeurs d'université de quitter le pays. Elle est licenciée de son poste à Damas. Sa santé est atteinte.

Après deux ans d'angoisse et d'obstacles administratifs, celle à qui ses parents ont appris à "ne jamais baisser les bras", obtient le 8 décembre 2017 la nationalité française, gage de "sécurité et de liberté".

A son arrivée à la préfecture de l'Hérault pour la cérémonie de naturalisation, des élèves de troisième lui réservent une belle surprise: "Madame, on va vous accompagner !" - l'occasion de leur montrer "que l'on peut être Syrienne et Française".

Depuis, sa relation avec ses élèves du collège Simone-Veil de Montpellier s'est "encore approfondie". Elle leur consacre ses journées. Les soirées et les nuits sont occupées à garder le lien avec la Syrie, ses proches et ses étudiants, qu'elle n'a "jamais vraiment quittés".

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