Une actrice sud-coréenne agressée dénonce "l'hypocrisie" de la Berlinale

Auteur:
 
Par Jung Ha-Won - Séoul (AFP)
Publié le 13 février 2018 - 11:39
Image
Le réalisateur sud-coréen Kim Ki-duk à Venice, le 31 août 2016
Crédits
© Filippo MONTEFORTE / AFP/Archives
Le réalisateur sud-coréen Kim Ki-duk à Venice, le 31 août 2016
© Filippo MONTEFORTE / AFP/Archives

Une actrice sud-coréenne a dénoncé "l'hypocrisie" du festival du film de Berlin pour avoir invité un réalisateur qui l'avait agressée, tout en présentant l'événement comme un forum de lutte contre les abus dans l'industrie du cinéma.

En 2017, l'actrice qui demande à garder l'anonymat, a accusé le réalisateur sud-coréen renommé Kim Ki-duk de l'avoir agressée physiquement et sexuellement.

Pendant le tournage du film "Moebius" sorti en 2013, affirme-t-elle, il l'a battue et forcée à filmer des scènes de nu et de relations sexuelles qui ne figuraient pas dans le script.

M. Kim, 57 ans, est l'un des plus grands cinéastes de Corée du Sud. Il a obtenu en 2012 le Lion d'Or du meilleur film au festival de Venise pour "Pieta" ou encore l'Ours d'argent à Berlin pour "Samaria" en 2004.

Son dernier film, "Human, Space, Time and Human", sera diffusé en première mondiale dans la sélection "Panorama" de la 68ème Berlinale, qui s'ouvre jeudi.

"Je trouve la décision d'inviter Kim profondément triste et extrêmement hypocrite", a-t-elle déclaré à l'AFP, se disant "anéantie".

"Kim a été reconnu coupable de m'avoir agressée physiquement pendant le tournage. Mais la Berlinale lui déroule le tapis rouge tout en vantant son soutien au mouvement #Metoo", déferlante mondiale contre les agressions et le harcèlement sexuels.

- Gifles -

Le directeur de la Berlinale, Dieter Kosslick a expliqué récemment que l'édition 2018 mettrait un coup de projecteur sur les agressions sexuelles dans le cinéma, et servirait de "forum" afin de "contribuer à un vrai changement".

#Metoo est né début octobre dans la foulée des révélations d'abus sexuels commis pendant des années par le tout-puissant producteur de cinéma américain Harvey Weinstein.

M. Kosslick a également dit avoir disqualifié une poignée de films car un réalisateur, un acteur ou un scénariste faisait l'objet d'accusations crédibles de harcèlement.

L'actrice, qui avait fini par être remplacée par quelqu'un d'autre, s'est exprimée en décembre lors d'une conférence de presse sur les abus subis.

Ce type d'accusation est rare dans la lucrative industrie sud-coréenne du film, qui est dominée par les hommes.

Mais il n'empêche qu'elle parlait cachée par un écran blanc, de peur, a-t-elle dit, du harcèlement en ligne et d'être mise au ban d'une société patriarcale.

"Un jour, Kim a dit +je vais créer de l'émotion+ et m'a soudainement giflée très fort à trois reprises devant tout le monde, avant de tourner la caméra vers moi et de filmer", avait-elle raconté. "J'étais très choquée (...) mais j'ai dû commencer à jouer tout de suite". Personne dans l'équipe "n'a dit un mot pour l'arrêter".

- 'Banni à vie' -

Le parquet de Séoul a abandonné, faute de preuves, les poursuites pour abus sexuels mais a condamné M. Kim à une amende de cinq millions de wons (3.800 euros) aux termes d'une procédure qui permet de régler les affaires mineures sans passer par le tribunal.

Le réalisateur a reconnu l'avoir giflée afin de lui donner "une leçon de comédie" et dément tout autre manquement.

D'après Hong Tae-Hwa, directeur du secrétariat de la Fédération des employés du film coréen, les Sud-Coréennes qui sont devant et derrière la caméra ont peur d'accuser les personnalités.

"Elles sont terrifiées de voir leur carrière s'achever. On peut être banni à vie pour avoir évoqué le moindre abus de réalisateurs ou de producteurs".

M. Kosslick a déclaré à l'AFP être au fait de ces accusations, soulignant cependant que les chefs d'abus sexuels avaient été abandonnés. "De toute évidence, la Berlinale condamne et s'oppose à toutes les formes de violences ou d'abus sexuels".

M. Kim fait profil bas et refuse de parler aux médias.

Mais les médias sud-coréens ont largement présenté son retour à Berlin, premier grand festival de cinéma en Europe de l'année, comme son retour en grâce. Le tabloïd sportif Ilgan Sports a ainsi proclamé en une: "Problèmes à la maison, amour à l'étranger".

Il a fallu à l'actrice quatre ans pour parler après que l'industrie lui eut dit qu'elle avait "zéro chance" de gagner en justice contre M. Kim, dont la carrière "serait à peine égratignée".

"Le festival de Berlin donne raison à ces gens", dit-elle à l'AFP, appelant les organisateurs de festivals à prêter davantage attention aux petites mains de l'industrie.

"A la différence des célèbres actrices d'Hollywood qui ont parlé pendant la campagne #Metoo, je suis juste une obscure actrice d'un petit pays d'Asie. Mais cela ne veut pas dire que mes souffrances peuvent être passées sous silence".

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
Castex
Jean Castex, espèce de “couteau suisse” déconfiné, dont l'accent a pu prêter à la bonhomie
PORTRAIT CRACHE - Longtemps dans l’ombre, à l’Elysée et à Matignon, Jean Castex est apparu comme tout droit venu de son Gers natal, à la façon d’un diable sorti de sa ...
13 avril 2024 - 15:36
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.