Une indigène trans et une styliste de Colombie à la conquête des podiums de la mode

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Par Florence PANOUSSIAN - Bogota (AFP)
Publié le 31 mars 2019 - 08:45
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La jeune indigène transgenre Roxana Panchi, le 25 mars 2019 dans la réserve Karmatarrua de l'ethnie Embera, près d'Andes, dans le nord-ouest de la Colombie
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© JOAQUIN SARMIENTO / AFP
La jeune indigène transgenre Roxana Panchi, le 25 mars 2019 dans la réserve Karmatarrua de l'ethnie Embera, près d'Andes, dans le nord-ouest de la Colombie
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Sur ses papiers d'identité, Roxana est John Faber. Jeune indigène transgenre, elle trace sa route dans la mode: ses tissages de perles illuminent les dernières créations de la styliste colombienne Laura Laurens, de Bogota à Londres, Paris et New York.

"Depuis petite, je suis fille. Sauf que j'avais peur de le montrer et que je m'habillais en garçon", a confié à l'AFP Roxana Panchi, 24 ans. De ses mains fortes "comme un ours", son animal totem, elle tisse délicatement un bracelet, assise sur le lit de sa cabane, dans la réserve Karmatarrua de l'ethnie Embera, près d'Andes (Antioquia, nord-ouest).

Il y a deux ans, sa vie change: elle rencontre Laura Laurens au salon d'artisanat de Bogota où, avec d'autres indigènes, elle expose ses bijoux aux motifs sophistiqués.

Jusque là, Roxana se contentait de "la routine" des traditionnels tissages de perles ou chaquiras. "Je n'imaginais pas cette fusion incroyable avec Laura (...) La mode est entrée dans ma tête!", dit-elle, un sourire éclairant son visage couleur pain d'épices.

Laura Laurens, qui en 2013 à Paris a lancé sa marque, vendue de Los Angeles à Florence entre autres, conçoit des vêtements taillés dans des treillis, bruts ou reteints.

"Je suis née dans un pays en guerre. On crée d'où l'on vient", explique cette femme menue de 37 ans, soulignant que l'armée et l'ex-guérilla Farc, qui a signé la paix en 2016, avaient "les mêmes fournisseurs". "Conceptuellement, c'est brutal dans un pays aussi polarisé que le nôtre."

- Contrastes de délicatesse et violence -

"En définitive, nous ne sommes qu'un". Mêler "textiles militaires et chaquira, c'est une métaphore du territoire colombien", de sa diversité. Lorsqu'un client achète l'une de ses créations, entre 300.000 et 1,2 million de pesos (100 à 400 dollars), il emporte "la trame des histoires contenues dans ce vêtement."

Les deux artistes ont tissé une amitié. L'urbaine Laura a passé du temps avec Roxana et d'autres trans emberas pour "connaître leurs conditions de vie, très précaires" dans la jungle.

Une douzaine d'indigènes transgenre, qui en outre cultivent le café, collaborent avec elle. Laura insère leurs chaquiras dans ses modèles: motifs fleuris au col d'une tunique, lignes géométriques en bretelles d'une robe déstructurée, boutons faits de balles emperlées, etc.

"Je leur envoie mes dessins, elles tissent, m'expédient leurs pièces, je les assemble ici. Tout un travail à la main", explique-t-elle, dans son atelier-show room du quartier branché de Chapinero.

Elle s'inspire aussi des figures des chaquiras, telle la tête de tigre qu'elle fait estamper sur des textiles arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBTI et d'harmonie chez les indigènes.

- Des cultures entrelacées -

Cette "rencontre de deux mondes" s'est encore renforcée lorsqu'elles ont présenté leurs créations à Londres en février, accompagnées de Yina Panchi, cousine de Roxana.

Sélectionnée par le British Council avec 15 stylistes du Canada au Sri Lanka, Laura Laurens était invitée à participer à l'International Fashion Showcase (IFS), au centre artistique Somerset House.

Elle n'imaginait pas voyager sans elles, "de même que nous avions tissé le projet, nous allions continuer à le tisser là-bas, ensemble" et évoque le bonheur des jeunes trans qui "pouvaient se montrer telles qu'elles sont". "Personne ne les regardaient bizarrement, à l'inverse d'ici où les gens (...) ont plus de préjugés."

"Le voyage à Londres a été merveilleux", renchérit Roxana, qui n'avait jamais quitté la conservatrice Colombie.

Son chemin n'a pas été pavé de roses. Pudiquement, elle admet une "enfance difficile", qu'elle a "un peu souffert", déplore avoir "vu de nombreuses filles trans dans la rue (...) beaucoup de prostitution".

- Vulnérabilité d'une double minorité -

Grâce au militantisme de femmes, d'hommes trans, de non binaires et de féministes, "nous savons comment les droits de ces personnes ont été affectés de manière inacceptable", selon Camila Esguerra, de l'université Nacional.

Pour cette anthropologue, il reste à "corriger l'opprobre historique": par "l'exclusion familiale, scolaire, du territoire, elles ne peuvent intégrer le marché du travail dans des conditions dignes"; "la société condamne ces personnes à la pauvreté, à la mort".

Le Défenseur du Peuple, entité de protection des droits humains, a répertorié l'an dernier 71 cas de violences envers des personnes transgenre, "une des populations les plus discriminées de la société colombienne".

De sa voix posée, Roxana évoque le douloureux processus qui l'a menée à revendiquer son identité, au grand dam de sa mère et d'une partie de sa communauté, autre minorité marginalisée. "Je ne voulais pas être un homme gay! Je voulais être une fille trans!"

Elle espère que la Journée internationale de la visibilité transgenre le 31 mars fera évoluer les mentalités.

"Pour certains emplois, on ne nous prend pas en compte (...) il faut être homme homme ou femme femme", déplore-t-elle. "Il manque l'égalité!"

fpp/plh

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