Au Brésil, le drame sans fin des prisons

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Par Damian WROCLAVSKY - Brasilia (AFP)
Publié le 10 janvier 2018 - 09:26
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Des prisonniers du pénitentiaire d'Alcacuz, lors d'une mutinerie, le 20 janvier 2017 à Rio Grande do Norte, au Brésil
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© ANDRESSA ANHOLETE / AFP/Archives
Des prisonniers du pénitentiaire d'Alcacuz, lors d'une mutinerie, le 20 janvier 2017 à Rio Grande do Norte, au Brésil
© ANDRESSA ANHOLETE / AFP/Archives

Une longue file d'attente se forme dans la cour d'une prison du sud du Brésil, les détenus convergeant vers une petite table sur laquelle sont alignés 146 rails de cocaïne.

Cette scène, issue d'une vidéo filmée à l'aide d'un téléphone mobile, illustre la situation déplorable du système pénitentiaire du plus grand pays d'Amérique latine, où les prisonniers s'entassent dans des établissements souvent vétustes et surpeuplés.

D'autres vidéos de ce genre ont été amplement diffusées sur les réseaux sociaux, quelques jours après une mutinerie qui a fait neuf morts le 1er janvier, dans une prison de Goias (centre-ouest), certains ayant été décapités ou brûlés vifs.

Un massacre perpétré un an jour pour jour après des émeutes sanglantes durant lesquelles 56 détenus avaient été sauvagement assassinés à Manaus (nord-ouest), lors d'un affrontement entre membres de factions rivales se disputant le trafic de drogue.

Le Brésil compte la troisième population carcérale au monde, avec 726.712 prisonniers enregistrés en juin 2016, soit deux fois plus que la capacité officielle des prisons, selon les derniers chiffres du ministère de la Justice.

Marcos Fuchs, directeur de l'ONG de défense des droits de l'Homme Conectas, estime pour sa part que 75% des prisons brésiliennes sont contrôlées par le crime organisé.

"Comme l'Etat ne s'occupe pas des détenus et les enferme dans des prisons surpeuplées, il a perdu le contrôle. Et quand on perd le contrôle, on favorise l'apparition d'un pouvoir parallèle", explique-t-il à l'AFP.

"Les agents ne sont pas bien entraînés, il y a des problèmes de corruption et de drogues, de l'alcool et des téléphones finissent par entrer. La conséquence, ce sont ces images filmées par les détenus eux-mêmes que le Brésil tout entier est invité à contempler", déplore-t-il.

- Violence endémique -

En 2017, l'armée a par ailleurs saisi pas moins de 10.882 armes lors d'opérations menées dans 31 prisons qui abritaient 22.910 détenus.

"La moitié de la population carcérale est armée. C'est une situation absurde et incompréhensible", a reconnu fin décembre le ministre de la Défense Raul Jungmann.

En janvier 2017, le massacre de Manaus a été suivi d'autres émeutes sanglantes qui ont provoqué la mort de plus de cent détenus en un mois.

Un an plus tard, ces nouvelles scènes de barbarie ont choqué le Brésil mais la situation semble être contrôlée, après trois mutineries en une semaine dans le même établissement.

La présidente de la Cour suprême Carmen Lucia a tout de même dû annuler une visite de cette prison lundi, pour des raisons de sécurité.

"D'autres massacres auront lieu, à l'intérieur et à l'extérieur, parce que la crise de sécurité s'étend bien au-delà des prisons", affirme Julio Waiselfiz, sociologue qui coordonne un programme d'études sur la violence au sein de la faculté latino-américaine des sciences sociales (Flacso).

- Enjeux politiques -

Le Brésil a enregistré un record de 61.619 homicides en 2016, soit sept par heure en moyenne, selon un rapport publié fin octobre par l'ONG Forum brésilien de sécurité publique.

Le taux d'homicide s'élève à 29,9 pour 100.000 habitants, près de trois fois supérieur aux 10 pour 100.000 considérés par l'ONU comme le seuil de violence endémique.

"L'Etat n'a pas de réponse, ne met pas en place les politiques nécessaires pour contenir cette violence", déplore le sociologue.

Au moment des émeutes sanglantes de janvier 2017, le président Michel Temer avait annoncé un vaste plan de sécurité publique, prévoyant notamment la construction de nouvelles prisons dans tout le pays, mais les effets tardent à se faire sentir.

Les nouvelles prisons doivent séparer les détenus condamnés pour des délits mineurs des criminels plus dangereux, ce qui est rarement le cas actuellement.

Mais la plupart des spécialistes réclament aussi des changements dans le système judiciaire du pays, sachant que 40% de la population carcérale est en situation de détention provisoire, en attente de jugement.

"Les juges pensent que la solution est de priver les gens de liberté, mais ils devraient être plus créatifs, en ayant par exemple recours de plus en plus aux bracelets électroniques afin de réduire ces détentions provisoires", explique Marcos Fuchs.

"Le problème, c'est que ce ne sont pas des mesures très populaires. Aucun dirigeant ne va obtenir plus de voix parce qu'il promet de s'occuper du système pénitentiaire", conclut-il.

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