A bord du "frottis-truck", réconcilier les femmes en grande précarité avec leur corps

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Par Jessica LOPEZ - Paris (AFP)
Publié le 10 novembre 2018 - 11:09
Mis à jour le 11 novembre 2018 - 10:20
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Une sage-femme de l'association pour le développement de la santé des femmes (ADSF) à bord du "frottis-truck" à Paris, le 8 novembre 2018
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Une sage-femme de l'association pour le développement de la santé des femmes (ADSF) à bord du "frottis-truck" à Paris, le 8 novembre 2018
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

"Le plus dur, c'est la faim et le froid. Son corps, sa santé, on les oublie": après plusieurs semaines à la rue, Rachel a retrouvé un peu de confort et d'hygiène en croisant la route du "frottis-truck", un camion aménagé en cabinet gynécologique pour les femmes les plus précaires.

Clin d'œil aux "food-truck" qui proposent de la nourriture, cet utilitaire blanc de 20 m3 conçu par l'association pour le développement de la santé des femmes (ADSF) sillonne les routes d'Ile-de-France depuis 2014.

Des bidonvilles roms aux bois fréquentés par les prostituées victimes de traite, des hôtels sociaux éloignés aux spots parisiens des SDF, il va à la rencontre des femmes pour leur proposer une évaluation gynécologique, un frottis de dépistage du cancer du col de l'utérus et un accompagnement vers le soin.

"La rue, c'est douloureux pour le corps et la tête", poursuit Rachel (prénom modifié), 28 ans, détaillant son errance de plusieurs mois dans la capitale après son arrivée de Côte-d'Ivoire fin janvier.

Seule, sans ressources et sans toit, elle squatte d'abord les trains et rencontre un homme qui propose de payer sa chambre d'hôtel en échange de relations sexuelles. "Je ne pouvais pas rester dehors, donc j'ai accepté", justifie-t-elle.

Très vite, cet homme, présent les nuits, "appelle un ami" pour qu'il lui "tienne compagnie la journée". Rachel s'enfuit et se retrouve à nouveau à la rue. "La journée, je marchais et je pleurais. Mais personne ne me voyait, j'avais l'impression que je n'existais pas".

Dormant dans les gares ou les stations de métro, prenant soin au préalable de cibler "celles où les hommes ne vont pas", elle atterrit dans une halte de jour pour les femmes sans-abri près de la gare de Lyon et rencontre l'ADSF.

Ce jour-là, Rachel a ses règles. "Avant, je rentrais dans les WC publics pour prendre du papier toilette et me protéger. Quand ils m'ont donné un kit d'hygiène avec du dentifrice, des lingettes, des serviettes hygiéniques, je me suis effondrée", se souvient la jeune femme, hébergée aujourd'hui dans un centre du Samu social et toujours suivie par l'association.

- "Cité des Dames" -

Devant la table gynécologique, séparée du reste du camion par un épais rideau coloré en wax, Julia Eid, responsable médicale de l'association, constate qu'il est "le lieu où on lâche tout".

"L'objectif c'est de rapprocher des femmes très éloignées du soin vers la consultation et, in fine, essayer de les réconcilier un peu avec leur corps", explique cette sage-femme qui maraude toujours en binôme avec une psychologue.

Le frottis vaginal, pourtant considéré comme un acte peu agréable, est alors un "premier pas" pour "renouer en douceur avec l'examen médical".

Accès à la contraception, à des protections hygiéniques, grossesses non-désirées, violences: pour Nadège Passereau, déléguée générale de l'association, "on oublie trop souvent dans la prise en charge des plus précaires que les femmes ont des besoins spécifiques, pas uniquement au moment où elles peuvent avoir des enfants mais toute leur vie".

De fait, 95% des femmes accompagnées par l'association ont connu des violences, 11% étaient enceintes, et 60% n'avaient pas de suivi gynécologique depuis plus d'un an, dont 92% des femmes vivant dans la rue.

"Quand leur urgence au quotidien c'est manger, se protéger, avoir un toit, elles mettent de côté leur santé, leur propre corps et l'état se dégrade", poursuit Mme Passereau, qui aimerait pouvoir étendre les maraudes à Marseille et Lille où "les besoins sont aussi très forts".

Depuis janvier, l'association a rencontré plus de 900 femmes, alors qu'elle en avait aidé 700 en 2017 et quelque 300 en moyenne les années précédentes.

Un effet de #Metoo, analyse la directrice, saluant la "prise de conscience" engendrée par ce mouvement, mais aussi un impact d'une plus grande précarisation des femmes qui sont "de plus en plus nombreuses dans la rue".

Pour elles, l'ADSF inaugurera le 1er décembre à Paris, en partenariat avec l'Armée du Salut, la "Cité des Dames", un centre d'accueil et d'accès aux soins unique ouvert 24h/24.

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