"Grâce à Dieu" : François Ozon dénonce le scandale des prêtres pédophiles (vidéo)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 18 février 2019 - 15:18
Mis à jour le 19 février 2019 - 21:36
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Melvil Poupaud dans le film Grâce à Dieu
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©Mars Films
Melvil Poupaud est l'un des trois acteurs principaux du film.
©Mars Films

CRITIQUE – Autorisé à sortir en salles ce mercredi malgré une action en justice contre lui, le film de François Ozon "Grâce à Dieu" raconte une histoire vraie, celle d'un prêtre lyonnais accusé d'avoir abusé d'enfants dans les années 80. Le film vient de recevoir le Prix du Jury au Festival de Berlin.

SORTIE CINÉ – "Ce film est une fiction, basée sur des faits réels", prévient un panneau avant le début. Dans son nouveau film Grâce à Dieu, qui sort ce mercredi 20 février quelques jours après avoir été primé au Festival de Berlin, François Ozon dénonce l'attitude de l'Église catholique dans une affaire de prêtre pédophile qui a touché le diocèse de Lyon: le père Bernard Preynat, mis en examen en janvier 2016 pour des faits remontant aux années 1980 et 1990.

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Trois personnages principaux interviennent successivement dans le récit que raconte le réalisateur, qui a mêlé fiction et faits réels. Le premier est Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), catholique pratiquant, père de cinq enfants, cadre dans un établissement financier, qui découvre par hasard en 2014 que le père Preynat, qui lui avait fait subir des attouchements quand il était scout, est toujours en poste, continue à célébrer des messes et donne des cours de catéchisme à des enfants.

Alexandre Guérin contacte alors par mail l'archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, qui l'oriente vers une bénévole au diocèse de Lyon, Régine Maire, chargée de la cellule d'aide psychologique aux victimes. Celle-ci organise une rencontre entre Alexandre Guérin et le père Preynat. "Vous vous souvenez de ce que vous m'avez fait, enfant?", lui demande le premier. "C'est une maladie", répond le second, en reconnaissant les faits. Alexandre Guérin, qui dit agir "sans agressivité ni haine", veut que l'Église prenne des sanctions et décide de porter plainte, même si les faits sont prescrits puisque remontant à plus de 20 ans.

À ses côtés dans son combat vont intervenir les deux autres personnages principaux du film, eux aussi victimes du père Preynat quand ils étaient enfants: François Debord (Denis Ménochet), père de deux fillettes, désormais athée, va être l'un des plus virulents dans cette croisade, déposant plainte lui aussi, recherchant de nouveaux témoignages, créant une association de victimes et un site internet, alertant la presse, médiatisant l'affaire sur les réseaux sociaux; et Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud), jeune homme surdoué mais à la vie sociale et sentimentale perturbée, le plus traumatisé des trois, va trouver enfin l'occasion de témoigner lui aussi et de se libérer de ce lourd passé…

C'est en s'inspirant de l’action de l'association d’anciennes victimes de cette affaire, La Parole Libérée (voir ici son site internet), que le réalisateur François Ozon a construit son film. Il a gardé les vrais noms des personnes accusées (le père Preynat, le cardinal Barbarin, Régine Maire) mais a changé ceux des victimes: ainsi Alexandre Dussot-Hezez devient Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), François Devaux devient François Debord (Denis Ménochet), Pierre-Emmanuel Germain-Thil devient Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud). "Je n'ai rien inventé concernant les faits proprement dits", explique-t-il. Mais "concernant la réalité et les réactions de leur entourage, j'ai pris des libertés, tout en restant fidèle à leur parcours et à l'esprit de leur témoignage. C'est pour ça que je n'ai pas gardé leur nom de famille, ils sont devenus des héros de fiction, au contraire du cardinal Barbarin et du père Preynat".

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Après avoir songé à écrire une pièce de théâtre ou à réaliser un documentaire sur cette affaire, François Ozon a finalement opté pour un film de fiction inspiré des faits réels. Il est plus sobre, plus grave que dans ses films précédents (Huit femmes, Potiche, Jeune et jolie, L'Amant double) et affirme que "l'idée de départ était de faire un film sur la fragilité masculine. J'ai souvent mis en scène des personnages de femmes fortes. Là, j'avais envie d'aller vers des hommes qui sont dans l'expression de souffrances et d'émotions, que l'on associe traditionnellement au genre féminin". Ainsi ses trois personnages sont des hommes différents, avec en commun l'envie de se libérer en témoignant: Alexandre est rigoureux et pondéré, François est passionné et vindicatif, Emmanuel est déstabilisé et cherche à se reconstruire.

Sur le même sujet de la pédophilie au sein de l'Église catholique, le film Spotlight avait obtenu en 2016 l'Oscars 2016 du meilleur film, racontant la saga journalistique sur l'enquête du Boston Globe qui a dénoncé le scandale de la pédophilie dans l'Eglise américaine en 2002. Les journalistes du quotidien en étaient les héros grâce à leurs investigations, alors qu'ici ce sont les victimes elles-mêmes et leur volonté de médiatiser l'affaire, et François Ozon a voulu mettre l'accent sur trois d'entre elles.

Lire la critique – Spotlight: comment le "Boston Globe" a fait trembler l'Eglise catholique

Il a rencontré les trois, mais pas le cardinal Barbarin, dont le procès (ainsi que cinq membres du diocèse de Lyon, dont Régine Maire) pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs, s'est tenu du 6 au 10 janvier dernier; le jugement a été mis en délibéré au 7 mars. Régine Maire a mis en demeure François Ozon de retirer son nom du film, et les avocats du père Preynat ont intenté une action en justice pour que la sortie du film soit reportée, dans l'attente (d'ici la fin de l'année vraisemblablement) du procès du prêtre, mis en examen en janvier 2016 et placé sous contrôle judiciaire. Leur demande a été rejetée ce lundi 18 février par la justice.

Lire aussi – Grâce à Dieu de François Ozon autorisé à sortir en salles mercredi

"L'idée n'était pas de faire un film à charge contre l'Église, mais de montrer ses contradictions et la complexité de cette affaire", affirme François Ozon. En voyant le film, qui est moins sévère pour le père Preynat que pour ceux qui l'ont protégé, on n'est pas obligé de le croire. Le titre du film est tiré d'une déclaration maladroite du cardinal Barbarin, en 2016: "Grâce à Dieu, la majorité des faits sont prescrits".

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