"Juste la fin du monde" : Xavier Dolan à cœurs et à cris (VIDEO)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 20 septembre 2016 - 04:20
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Nathalie Baye Gaspard Ulliel Film Juste La Fin Du Monde
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©Shayne Laverdière/Sons of Manual/Diaphana
Nathalie Baye et Gaspard Ulliel, mère et fils, dans l'une des scènes fortes du film.
©Shayne Laverdière/Sons of Manual/Diaphana
Sixième film du jeune réalisateur québécois Xavier Dolan, "Juste la fin de monde", ce mercredi sur les écrans, a reçu le Grand Prix du dernier Festival de Cannes. Il raconte le retour d'un jeune homme qui, après 12 ans d'absence, vient annoncer à sa famille qu'il va mourir.

Difficulté à se parler, à être ensemble, à se regarder dans les yeux, à oser se dire "je t'aime" tant qu'il en est encore temps: Juste la fin du monde, le dernier film du jeune réalisateur québécois Xavier Dolan, qui sort ce mercredi 21 septembre auréolé de son Grand Prix au dernier Festival de Cannes, est un concentré d'émotion dans une réunion familiale où l'amour étouffe sous les cris, les disputes, l'hystérie et les névroses.

Le scénario est tiré d'une pièce de 1990 de Jean-Luc Lagarce, auteur et metteur-en-scène de théâtre français mort du sida en 1995 à l'âge de 38 ans. Après 12 ans d’absence, Louis (Gaspard Ulliel), écrivain de 34 ans, retourne dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine. Pendant toutes ces années passées à la ville, il s'est contenté de leur envoyer des cartes postales.

Dès son arrivée, l'ambiance est tendue, les membres de sa famille semblent gênés et ne tardent pas à se disputer. Sa mère (Nathalie Baye), outrageusement maquillée et à l'attitude foldingue, met un peu de temps à lui tomber dans les bras. Sa petite sœur (Léa Seydoux), tristounette, qui fume pétard sur pétard, semble à côté de la plaque. Son grand frère (Vincent Cassel) est agressif et à fleur de peau, sans aucun signe de sympathie. Seule sa belle-sœur (Marion Cotillard) ne passe pas son temps à crier mais, au contraire, reste effacée et n'arrête pas de s'excuser.

Le film est une succession de face-à-face entre Louis et ces quatre personnages, où chacun a du mal à s'exprimer, et le repas familial ne va pas faire progresser les choses, au contraire. Personne ne comprend pourquoi Louis est là. Suspense: quand le jeune homme, qui n'est là que pour la journée, va-t-il oser leur avouer la raison pour laquelle il est revenu?...

Petit génie du cinéma à peine âgé de 27 ans, Xavier Dolan est l'un des chouchous des critiques francophones et des organisateurs de festivals. Depuis ses débuts à 20 ans, tous ses films ont été présentés dans les festivals (Quinzaine des réalisateurs, Un Certain Regard ou Compétition à Cannes, Mostra de Venise): J'ai tué ma mère (2009), Les amours imaginaires (2010), Laurence Anyways (2012), Tom à la ferme (2013) et Mommy (2014).

Après le Prix du Jury en 2014 pour Mommy, c'est le Grand Prix (la récompense hiérarchiquement n°2, derrière la Palme d'or) qu'il a reçu en mai dernier à Cannes pour Juste la fin du monde, en attendant un jour la Palme tant son talent est indéniable –mais pas l'année prochaine, car il vient d'annoncer que son prochain film ne serait pas présenté sur la Croisette.

Ici l'esthétisme de sa réalisation (visages en gros plan, lumière et musique très travaillées, images floues par instant, cris et chuchotements) est au service d'un texte tiré d'une pièce de théâtre à laquelle il a voulu rester fidèle, puisque la plupart du film se déroule en huis clos. "Cette pièce, je la vois comme un document sur l'incommunicabilité des émotions, elle parle de la difficulté de dire je t'aime, je vais mourir, sur notre incapacité à s'écouter", explique-t-il dans une interview au Journal du Dimanche. "Aujourd'hui, malgré tous les moyens dont nous disposons pour communiquer, on est plus que jamais emprisonné dans un dialogue avec nous-mêmes".

Mais la pièce de Jean-Luc Lagarce a du mal à passer l'écran, et dès le début les personnages et leurs dialogues sonnent faux, outrés, exagérés. Solitude, tourments, mal-être, émotions exprimées ou tues, complexe d'infériorité, gêne, honte, lassitude devant les injustices de la vie, tristesse devant l'incapacité d'être heureux ensemble: ces thèmes forts sont noyés dans les cris et les disputes qui donnent l'impression, pour le spectateur, que c'est du théâtre filmé et que les dialogues n'ont rien de réaliste. Ce n'est pas vrai, c'est du cinéma, ce n'est pas comme cela qu'on se parle et qu'on se dispute dans les familles désunies.

A part Gaspard Ulliel qui cultive tout l'art du savoir-taire, les quatre autres personnages sont vite insupportables et les quatre acteurs en font des tonnes, y compris celle qui ne hurle pas, qui ne se dispute pas, qui baisse les yeux, Marion Cotillard. Ce sont des numéros d'acteurs et l'on en vient à se féliciter, après les différents tête-à-tête, que Louis n'ait pas eu sept frères ou sœurs… Seule conclusion réaliste: on comprend, en voyant la famille, pourquoi il est parti et pourquoi il n'est pas revenu depuis 12 ans.

Pourtant, comme les roses qui pointent au milieu du fumier, l'amour, l'émotion, l'humanité résistent et apparaissent, dans ce flot d'invectives, d'incompréhensions, de malentendus, et c'est tout le formidable talent de Xavier Dolan qui affleure alors, dans deux scènes fortes.

D'abord dans un face-à-face entre Gaspard Ulliel et Nathalie Baye, enfin délestée de son rôle de gourde vulgaire, qui exprime avec des mots simples tout l'amour qu'elle porte à son fils et ça, dit-elle, "personne ne peut me l'enlever".

Et surtout quand Vincent Cassel craque émotionnellement, descend de son piédestal de frère/fils/mari insupportable et odieux, rend son personnage crédible pour la première fois au bout d'une heure et demie, dans la lumière jaune-orange du soleil couchant. C'est juste la fin du film –ou presque.

(Voir ci-dessous la bande-annonce du film): 

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