"Synonymes" : le singulier et controversé Ours d'or israélien du Festival de Berlin (vidéo)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 25 mars 2019 - 08:27
Mis à jour le 26 mars 2019 - 21:13
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Tom Mercier dans le film Synonymes
Crédits
©Guy Ferrandis/SBS Films
L'acteur Tom Mercier fait ses débuts à l'écran.
©Guy Ferrandis/SBS Films

CRITIQUE – Un jeune Israélien quitte son pays et débarque à Paris pour tenter de gommer son passé et devenir français: c'est l'histoire autobiographique du film du réalisateur Nadav Lapid, "Synonymes", qui sort ce mercredi, un mois et demi après avoir été sacré meilleur film au Festival de Berlin.

SORTIE CINÉ – C'est "un film qui pourrait être considéré comme un scandale en Israël", a déclaré son réalisateur israélien, Nadav Lapid, en recevant récemment la plus haute récompense du Festival de Berlin, l'Ours d'or. Son film Synonymes, singulier et controversé, sort ce mercredi 27 mars sur les écrans français.

Il y raconte le parcours d'un jeune homme qui, peu après son service militaire en Israël, débarque à Paris pour y "mourir en tant qu'Israélien et renaître en tant que Français": oublier et effacer son passé, son identité, sa nationalité, sa langue natale.

Yoav (Tom Mercier) n'a qu'un sac à dos et passe sa première nuit dans un grand appartement vide des beaux quartiers dont on lui a donné la clé. Il dort dans son sac de couchage à même le sol et, au matin, prend une douche. Quand il sort le la douche, il s'aperçoit que toutes ses affaires ont disparu: il se retrouve entièrement nu et frappe en vain à plusieurs portes de l'immeuble. Désespéré et transi de froid, il retourne dans la baignoire et s'y évanouit.

C'est là que vont le trouver des voisins, Émile et Caroline, un couple de jeunes bourgeois parisiens, qui lui viennent en aide. Émile lui donne des vêtements, un téléphone portable, une liasse de billets de 50 euros. Yoav s'installe dans un second appartement, minuscule et délabré, mange des pâtes tous les jours, achète un dictionnaire et, dans le manteau couleur moutarde que lui a acheté Émile, arpente les rues de Paris en récitant des listes de synonymes. "Je suis arrivé en France pour fuir Israël", dit-il. "Fuir cet État méchant, obscène, ignorant, idiot, sordide, fétide, grossier, abominable, odieux, lamentable, répugnant, détestable, abruti, étriqué, bas d'esprit, bas de cœur".

Car le jeune homme, qui refuse parler hébreu même quand il rencontre des personnels de l'ambassade et d'autres Israéliens, anciens agents de sécurité, n'a qu'une idée: oublier ses origines et devenir français…

Le film est autobiographique et raconte la période, au début des années 2000, durant laquelle le réalisateur, Nadav Lapid, 43 ans aujourd'hui, a vécu la même histoire. Un jour, après son service militaire en Israël, lui est venue la nécessité de le "quitter maintenant, tout de suite et pour toujours, m’arracher de ce pays, fuir, me sauver moi-même du destin israélien. (…) Mon français était basique, je n’avais ni papiers ni visa et je ne connaissais personne. Mais j’étais déterminé à vivre et mourir à Paris, et à ne plus jamais revenir". Il a, comme le personnage de son film, refusé de parler l’hébreu, a coupé les liens avec sa famille et ses amis, a découvert la France et son cinéma, a raté le concours de la FEMIS (l'école du cinéma), a subsisté en écrivant des articles et des poèmes. "C’est alors qu’une maison d’édition israélienne a décidé de publier un recueil de mes nouvelles. Paris me paraissait comme une voie sans issue. Avec le sentiment d’une défaite totale, j’ai tourné le dos à la France pour retourner en Israël".

De retour dans son pays, il a tourné des courts-métrages et a été sélectionné dans les festivals pour ses deux premiers longs-métrages, Le Policier (2011) et L'Institutrice (2014). Avec Synonymes, il continue d'être très critique à l'égard de la société israélienne, mais "je ne crois pas qu'il s'agisse d'un film politique", affirmait-il à Berlin. "Mon film est à la fois très critique et très tendre envers Israël".

L'identité nationale, les racines, la judéité, la militarisation de la société israélienne, son image dans le monde, les relations avec la culture française: les questions soulevées ne manquent pas d'intérêt et dépassent le seul côté autobiographique de l'histoire, même si Nadav Lapid avoue avoir fait de ce film une psychothérapie sur grand écran: "J’ai du mal à le dire avec certitude, mais je suppose que partager ses névroses avec les autres à travers l’art est déjà une forme de thérapie…"

Voilà pour le fond. Pour la forme, le film est singulier, provocateur, agaçant, pompeux. C'est souvent mal dirigé donc mal joué, parfois on dirait que les acteurs sont dans un cours de théâtre pour amateurs, la réalisation regorge de fausses audaces (caméra à l'épaule qui donne le tournis –pour ne pas dire autre chose–, personnages qui pètent les plombs, humour intello lourdingue, gros plans sur des tomates concassées en train de cuire dans une poêle), les dialogues paraissent récités. C'est typiquement un film d'auteur, fait pour les festivals et sans aucun désir de faire un pas vers le grand public.

Le symbole de cet élitisme hermétique est le jeu de l'acteur principal, Tom Mercier, impressionnant de présence pour ses débuts devant une caméra mais toujours à la limite du crédible. Il est grand et baraqué, sa scène de nu au début du film le montre gâté par la nature, les supporters du FC Nantes trouveront troublante sa ressemblance avec l'ex-footballeur argentin Emiliano Sala récemment tué dans un accident d'avion, et il porte tout le film sur ses épaules. Et il ne manque pas de courage dans ce film bizarre où, à un moment, un vidéaste lui fait passer un casting de film porno en lui demandant de s'allonger nu sur le sol et de s'introduire un doigt dans l'anus en hurlant en hébreu. "Bite! Bite! Bite! Qu'est-ce que je fais ici?", crie le personnage. C'est toute la question.

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