Chômage : pourquoi la réalité française empêche une baisse durable

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 01 août 2018 - 17:30
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Le logo Pôle emploi le 5 mars 2018 à Lille
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
La baisse de chômage est menacée par le ralentissement de la croissance.
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Après un début de baisse en 2017 surfant sur la croissance élevée, le recul du chômage risque de marquer le pas avec l’essoufflement économique annoncé. D'autant que les problèmes d'emploi en France sont renforcés par des caractéristiques inhérentes au marché de l'emploi français qui résisteront aux belles promesses d'Emmanuel Macron. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "France-Soir" les vraies difficultés qui empêchent de lutter contre ce fléau.

Pour l'observateur pressé, la situation de l'emploi en France est décevante.

> Le chômage repart à la hausse

Après une superbe année 2017 caractérisée par une croissance d'un peu plus de 2,2%, l'Insee rapporte dans une note du 23 mai 2018 que "le taux de chômage augmente de 0,2 point au premier trimestre 2018 après avoir diminué de 0,7 point au trimestre précédent". Plus récemment, la Dares a confirmé une hausse du chômage au deuxième trimestre 2018: +0,1% à rapporter à une baisse de 1,3% sur les douze derniers mois.

> La croissance 2018 renforce les craintes

A l'heure où se confirme sans contestation possible le "trou d'air", autrement dit le freinage affectant le taux de croissance pour 2018 (prévision ramenée de 2% à 1,7% voire 1,6% avec l'impact des grèves), il y a fort à craindre que la loi d'Okun ne se vérifie avec rugosité. Rappelons ici qu'elle établit un lien entre le taux de croissance et le nombre de chômeurs. Dans le cas français, il est admis que l'économie cesse de détruire des emplois à compter de 1,6% de croissance du PIB.

Ce fléchissement tendanciel de la croissance n'est assurément pas une bonne nouvelle d'autant qu'il s'accompagne d'une relance (+2,3% en rythme annuel) de l'inflation qui va éroder le pouvoir d'achat et donc la variable-clef qu'est la consommation des ménages.

> La saine quête des emplois marchands!

Le Général de Gaulle n'aimait guère les éternels pessimistes qu'il qualifiait, de manière abrupte, de "pisse-vinaigre". En matière de chômage, plusieurs tendances s'entrechoquent de manière contradictoire et certains battus ou exemptés du suffrage universel comme François Hollande rigolent déjà de manière aussi sonore que déplacée à l'aune de leur propre bilan.

Tout d'abord, on ne peut que saluer les efforts du gouvernement Philippe qui cherche à relancer le nombre d'emplois marchands notamment en bridant les emplois "aidés" qui ne sont rien d'autre qu'un volet assez stérile à moyen terme du traitement social du chômage. La libération des prix de René Monory de 1978 (dont l'anniversaire a étonnamment été passé sous silence) a rendu la vérité des échanges. De la même manière, je considère que la France a trop longtemps souffert des emplois initiés à partir de fonds publics. On biaise le thermomètre de l'Insee sans guérir le malade. Le politique s'achète un succès de façade avec nos impôts du surlendemain. A cet égard, le quinquennat précédent a vu des orfèvres en la matière. Évidemment, cette politique de suppression calibrée des emplois aidés de la ministre Pénicaud peut contribuer à une bosse, à une augmentation ponctuelle du chômage. Mais, répétons-le, en matière d'emploi, la vérité économique peut avoir un effet pervers transitoire: elle n'en demeure pas moins féconde à terme.

> La variable cruciale du "halo" du chômage

Le halo du chômage représente, selon l'Insee un volume de près de 1,5 million de personnes.

Citons in extenso la définition de l'Insee"La définition et la mesure du chômage est complexe et extrêmement sensible aux critères retenus. En effet, les frontières entre emploi, chômage et inactivité ne sont pas toujours faciles à établir (exemple d'un étudiant qui travaille quelques heures par semaine...). Le Bureau international du travail (BIT) a cependant fourni une définition stricte du chômage, mais qui ignore certaines interactions qu'il peut y avoir avec l'emploi (travail occasionnel, sous-emploi), ou avec l'inactivité: en effet, certaines personnes souhaitent travailler mais sont «classées» comme inactives, soit parce qu'elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (deux semaines), soit parce qu'elles ne recherchent pas activement un emploi. Ces personnes forment ce qu'on appelle un «halo» autour du chômage".

Sur ce halo du chômage, les économistes ne trouvent pas de consensus quantifié et conceptuel. Dans ces conditions, il faut cheminer intellectuellement avec prudence mais noter que l'Insee considère que ce halo a diminué de 22.000 entre fin 2017 et début 2018. Autrement dit, ce sont des personnes qui étaient en-deçà des radars habituels des statistiques officielles qui ont donc trouvé un emploi. Ce qui est un mieux dans la lutte contre le chômage de masse à porter au crédit des actuels pouvoirs publics même s'il est impératif de souligner que le halo ne comptait "que" 1,15 million de personnes en 2003 et ne cesse d'être affecté par un essor continu.

> Chômage de longue durée et RSA

Le taux de chômage de longue durée atteint 3,6% de la population active soit 1,06 million de personnes. C'est là que le chômage est une sorte de stock et n'est plus un marché fluide. C'est là que se situe le mal français: la durée moyenne de présence au chômage qui dépasse un an est une des plus élevées de l'Europe. Malgré la belle année 2017 précitée, le chômage de longue durée n'a diminué que de 0,5 point sur un an. L'érosion de cette variable que l'on serait en droit d'attendre ne vient toujours pas et recèle donc une deuxième loi d'Okun qui impose, de facto, un taux de croissance des années 1970 soit près de 5%.

Lire aussi: Le chômage en France repart en légère hausse au 2e trimestre

Ces damnés du monde du travail payent cash, dans leurs vies respectives et leurs peines, leur quasi-exclusion sociale. Leur profil n'est pas identique mais il est marqué par le déclassement social et la dégradation progressive et inexorable de leur employabilité. On verra, sous quelques mois, si les partenaires sociaux récemment élus (M. Pavageau chez FO et M. Roux de Bézieux au Medef) tirent profit de la loi "Avenir professionnel" (qui devrait être adoptée ce mercredi 1er août) et qui a pour ambitions complémentaires et convergentes de réformer l'apprentissage, la formation et son budget global de 32 milliards et enfin –à tous les sens du terme– l'assurance-chômage.

Une chose est sûre, le défi posé à Emmanuel Macron et au gouvernement n'est pas mince. Ainsi, il est à noter qu'après neuf trimestres de baisse, le chiffre des allocataires RSA (1,8 million) s'est inversé au point de progresser de 0,6% lors du premier trimestre 2018.

> Et le chômage dual ou structurel?

La France présente un paysage dual en matière d'emplois. Bien des entreprises ne trouvent pas la main-d'œuvre dont elles ont besoin. Ce manque à gagner en termes d'offres d'emplois non pourvus dépasse les 350.000 personnes soit environ 10% des chômeurs qui sont eux-mêmes proches des 10% de la population active.

Cela pose mille questions quant à l'adéquation entre les besoins de l'économie et le bilan de compétences des demandeurs d'emploi. Cela pose une question non négligeable sur le statut du travail en France. Un gouvernement qui lutte de bonne foi contre le chômage de masse ne peut ignorer la notion sociologique d'appétence au travail (oui, la question se pose) ou la capacité des personnes à faire des calculs de coins de table dressant un comparatif entre une rémunération au Smic et une somme de petits boulots dont certains relèvent de l'économie informelle.

On raille souvent les mini-jobs de l'Allemagne pour mieux oublier la réalité du travail au noir dans la restauration, la maintenance, le bâtiment, etc. Cette économie duale est une réalité: chacun d'entre nous a l'occasion de la côtoyer voire d'y prendre part. Cette réalité mélange des joueurs, des fraudeurs avec de sérieux précaires.

Autre acception de l'économie duale: le chiffre de 9,6% de chômeurs est très trompeur car il gomme les disparités puissantes qui existent entre les catégories professionnelles. Certains secteurs de l'encadrement sont en tension et n'enregistrent que 3 à 4% de chômage (ce qui correspond presque à la définition du plein-emploi) contrairement à des secteurs déclassés qui flirtent avec les 18% de sans-emploi. Même remarque territoriale: la Vendée n'est pas frappée comme la Seine-Saint-Denis.

Finalement, la question que l'actualité nous impose à titre de questionnement important est la suivante: quel est le vrai taux de chômage structurel de notre pays? Le candidat Macron de 2017 pensait qu'il convenait de dire sans détour: 7%. L'avenir risque de contraindre le président Macron à modifier sa vision des choses et qui sait à se rallier à un chiffre plus que plausible: 8,5%. Une telle révision aussi pragmatique que fondée serait évidemment lourde de conséquences politiques et électorales.

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