Croissance : pourquoi l'Allemagne est toujours meilleure que la France

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 22 août 2018 - 16:51
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La chancelière allemande, Angela Merkel - ici le 5 juillet 2018 à Berlin - s'est dite "prête" à envisager une baisse généralisée des taxes sur l'automobile afin de désamorcer le conflit commercial ent
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© Omer MESSINGER / AFP
L'Allemagne est bien la locomotive de la zone euro depuis plusieurs années.
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Alors que la France revoit ses prévisions de croissance à la baisse, l'Allemagne a vu son économie accélérer à nouveau au deuxième trimestre. L'Hexagone est donc une nouvelle fois relégué au second plan derrière le leader de l'économie européenne. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour France-Soir les mécanismes qui font que les Allemands restent les meilleurs.

Selon les derniers chiffres publiés par Eurostat, la croissance du PIB allemand a été de 0,9% pour le premier semestre 2018 et devrait atteindre, selon la Bundesbank 2,0% contre 2,5% initialement envisagés.

Ce 0,9% est à comparer au 0,4% de la France qui nous éloigne, objectivement, de l'objectif gouvernemental de 1,8% pour l'année en cours. D'autant que la Banque de France, le plus souvent très avisée en matière de prévisions, a récemment publié une note indiquant qu'elle envisageait 0,4% pour le troisième trimestre. En clair, pour se hisser à 1,8% annuel, il faudrait concrétiser 1,0% au dernier trimestre. Autant dire une impossibilité structurelle.

Traitant de structurel, l'Allemagne est bien la locomotive de la zone euro depuis plusieurs années et il faut tenter de décortiquer l'origine de cette énergie vitale que les chiffres traduisent sans ambigüité.

Tout d'abord, l'Allemagne est fidèle aux préceptes ricardiens relatifs à la spécialisation internationale. Elle a su humer, telle une brillante direction marketing, les produits qui représenteraient l'ossature d'une large fraction de la demande mondiale, notamment industrielle. De la machine-outil dans les années 1970 à la machine à commande numérique des années 1990 en passant par l'irruption de la robotique du début du XXIème siècle.

Lire: La croissance allemande tranche avec la morosité européenne

Mais cette capacité d'anticipation de la demande ne serait que chimère si l'Allemagne ne disposait pas d'une capacité à exporter, d'une forte propension à mailler les marchés mondiaux solvables et à disposer d'un outil de production qui voit de modestes PME être en posture de vigoureuses entités exportatrices là où la Coface ne cesse de rappeler que notre pays conjugue la grande exportation avec la grande taille des groupes la menant à bien. Pour l'Allemagne, l'anticipation de la demande se coagule très favorablement avec une structure du tissu productif au sein duquel on note la belle représentation des ETI (entreprises de taille intermédiaire). Les firmes familiales dites dynastiques sont un atout d'autant qu'elles peuvent bénéficier du "portage" (soutiens à l'exportation) des grands groupes qui sont souvent des conglomérats.

Depuis le démantèlement sinistre de la Compagnie Générale d'Électricité (initialement fort habilement développée par Ambroise Roux)- Alcatel a été vendue, Alstom laminée, décharnée puis cédée (branche électrique à GE, ferroviaire à Siemens)- ou les lourdes turbulences affectant le groupe Lagardère, la France s'est ralliée à une vision flasque et dolente de certains analystes financiers pour qui la lecture d'un bilan consolidé d'un conglomérat serait mécaniquement un art du "window-dressing" et donc de la pure communication financière davantage qu'une image fidèle.

LVMH, Kering, Bolloré sont des conglomérats et là, étonnamment, tout le monde suit! La même mansuétude n'atteint pas hélas les entités industrielles.

La force de l'Allemagne c'est d'avoir su construire une bonne distance avec les obsessions intellectuelles et boursières qui régissent le paradigme dominant de certains analystes financiers et donc de détenir des Thyssen, des VW (dont les performances de la banque intra-groupe sont à saluer en ce qu'elles représentent –selon les années– près de la moitié du bénéfice net du groupe), des Siemens et autres.

ETI, conglomérats, respect analytique bilanciel sont de vrais atouts de l'Allemagne auxquels il est requis d'ajouter la capacité qu'a eu ce pays à bâtir un hinterland en constituant une chaîne de valeur de proximité nationale notamment avec l'Autriche et la Tchéquie voire désormais la Pologne et la Hongrie. L'Allemagne moderne a dans son "back-yard" productif les pays du groupe de Visegrád. A terme cet hinterland pourrait bien déboucher sur une volonté de constituer une MittelEuropa de nature politico-institutionnel si l'Union européenne persévère dans ses errements bureaucratiques qui sont aussi détestables que regrettables pour tout citoyen europhile.

Dans les plus de 200 milliards d'excédent de la balance commerciale allemande, on trouve l'adaptation –mentionnée– à la demande mais on trouve aussi des politiques salariales drastiques à l'image des 4 euros de l'heure payés aux ouvriers de la filière porcine allemande. Avec une absence de smic national uniforme (présence de minimas sociaux salariaux par branche), avec des intrants issus de pays à coûts contenus (l'hinterland, principalement), l'Allemagne réussit un double exploit: celui d'être incontestablement compétitive (tous les salaires ne sont pas du niveau des 13 euros négociés ici et là par IG Metall) et de dégager des marges d'exploitation qui sont près de 10 points supérieures au cas français. Nul besoin d'être grand clerc pour comprendre que ce double état de fait nourrit l'autofinancement des entreprises et donc leurs fortes capacités à investir: investissement d'innovation incrémentale (voir les diverses versions de leurs modèles automobiles: phase 2, etc) tout comme investissements de rupture et de franche innovation.

L'Allemagne est donc un pays de conquérants qui peut voir un de ces groupes (Bayer) mettre 63 milliards pour acquérir un concurrent au nom tristement célèbre, actualité judiciaire nord-américaine oblige: Monsanto.

L'intensité capitalistique allemande est une réalité qui lui permet de participer, le front haut, aux flux internationaux d'OPA et autres fusions-acquisitions. Mais, il est un point à souligner: l'Allemagne est habile en matière de rachats hostiles de ses propres firmes. Elle dispose d'un arsenal juridique qui lui a permis de stopper net des velléités de rachats qui émanaient de firmes chinoises. Pendant ce temps-là, la France a été soulagée de voir des investisseurs chinois s'occuper du sort confus et délicat du Club Med et surtout de PSA.

Voir: France - l'équation budgétaire compliquée par un rebond moins fort que prévu de la croissance

Là où la France est obligée de concéder de larges transferts de technologies (exemple du Rafale en Inde et de l'âpreté des négociations), les groupes allemands ont un savoir-faire en matière de délocalisation. Un exemple suffit pour le démontrer: on assemble désormais plus de scanners (imagerie médicale) de marque Siemens en Chine qu'en Allemagne. Sous licence.

Mais, l'ensemble du présent lectorat sait pertinemment que l'Allemagne rime avec qualité et haut de gamme. Quand Renault a été éconduit et n'a pas réussi à acquérir Skoda au début des années 1990, qui aurait cru que les "caisses à savon" que produisaient cette marque deviendraient depuis 2010 des véhicules qui dépassent le plus haut de gamme français. L'actualité politico-médiatique estivale a mis en lumière une Renault Talisman équipée Police: ce modèle numéro 1 de l'ancienne régie ne soutient hélas pas la comparaison avec trois modèles de berlines Skoda et a fortiori il ne vaut mieux pas penser à un comparatif avec des marques fabriquées en Allemagne comme BMW ou Mercedes-Benz.

Un citoyen français peut le déplorer mais la réalité s'impose: quand on décroche en gamme –comme l'a indiqué le rapport Gallois de 2012-, alors on voit "trop de Mercedes dans les rues de New-York" pour reprendre l'analyse oculaire autant que sommaire d'un certain Donald Trump qui aurait bien besoin des économistes d'Euler Hermès (Groupe Allianz) pour se faire expliciter les vrais tenants de la mondialisation.

Pour ma part, je souhaite conclure cette contribution par deux idées-forces.

Dès les années 1960, les économistes et notamment Carré, Dubois et Malberg ont mis en évidence l'existence d'un facteur résiduel. Autrement dit, la fonction de production composée de capital et de travail voit surgir un troisième élément qui regroupe la courbe d'apprentissage chère au BCG, donc le know-how mais aussi la quote-part d'externalités positives dont bénéficie le producteur (qualité de la main d'œuvre, des infrastructures, prix relatifs de l'énergie et autres).

Clairement, l'Allemagne a une fonction de production caractérisée par la rentabilité du capital pour le producteur (et non seulement pour l'actionnaire ce qui ouvre un tout autre débat), par le superbe rapport qualité-prix de son facteur travail et par un facteur résiduel solide et auto-entretenu.

Cet ensemble lui permet de jauger sa demande intérieure au niveau adéquat. Sans plus, au détriment des populations exclues du modèle social dominant (travailleurs pauvres).

Deuxième point, je voudrais insister sur une conviction qui m'est propre et que j'ai tenté, à plusieurs reprises, d'expliciter à des dirigeants de notre pays. En économie sectorielle, donc en méso-économie, on attache une importance à la dynamique de la fonction de production.

Une fonction de production de type putty-clay signifie qu'il existe de multiples combinaisons possibles avant de réaliser un investissement. Puis, on note que la combinaison demeure fixe tant que l'équipement est en service.

Une fonction de production de type putty-putty autorise des changements de combinaisons au début et durant l'utilisation des équipements. Certains voient là des cas de substituabilité quasi-parfaite.

Pour clore cette explication de vocabulaire sectoriel, le lecteur aura deviné qu'une fonction de type clay-clay représente une fonction de production totalement rigide.

J'en arrive à l'énoncé de ma conviction. Après analyse, je considère que les succès de la croissance du PIB en Allemagne viennent aussi du fait que ce pays est dominé par une fonction de production de type putty-putty qui permet ainsi d'introduire la robotisation sans fausser le résultat escompté. Il y a possibilité de varier le curseur des facteurs principaux tout au long de la chaîne de valeur.

A l'inverse, la France est abîmée par la surabondance de fonctions de production de type putty-clay. Ainsi, au dernier trimestre 2017, lorsque nous étions sur un rythme annuel dépassant les 2,3% de croissance de notre PIB, l'appareil productif a connu ici des goulots d'étranglement (taux d'utilisation des équipements quasi-saturés) et là des pénuries de main d'œuvre (plus de 300.000 postes non pourvus dans un pays où la catégorie "A" des chômeurs représente un effectif facteur 10).

La croissance allemande vient de composantes que nous avons exposées au cours de ces lignes. En France, nous serons locomotive si nous portons –mais quand?- un véritable intérêt à notre mode d'élaboration des schémas de production et si nous cessons d'oser tenir des discours du type "nous sommes un pays fabless" (ou "sans usines", a dit Serge Tchuruk, ancien président d'Alcatel) ce que démentent les succès de Sanofi, Michelin ou Saint-Gobain.

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