Attentat de Strasbourg : pouvait-on diffuser la photo de Chérif Chekatt ?

Auteur:
 
Thierry Vallat, édité par la rédaction
Publié le 26 décembre 2018 - 15:54
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Un gendarme patrouille devant la cathédrale de Strasbourg, le 12 décembre 2018
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© SEBASTIEN BOZON / AFP
La photo de Chérif Checkatt a été diffusée sur les réseaux sociaux avant d'être rendue publique par les autorités.
© SEBASTIEN BOZON / AFP
Dans les heures qui ont suivi les attentats de Strasbourg et précédé la diffusion d'un appel à témoins, la photo et le nom de Chérif Chekatt a circulé sur les réseaux sociaux et dans certains médias. Une pratique qui dans certains cas peut cependant être sanctionnée, détaille pour France-Soir Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris.

Peut-on divulguer l’identité et la photo des terroristes, et jusqu’où aller dans la diffusion de ces informations? De nombreux médias ne diffusent plus les noms et visages des auteurs d’attentats, notamment pour éviter leur "glorification" par certains.

Les récents attentats de Starsbourg ont donné lieu à de nouvelles interrogations sur les pratiques des médias. Ces interrogations sont d’autant plus fortes qu’en dépit de la concurrence de nouveaux acteurs, les médias audiovisuels demeurent les acteurs centraux de l’information du public lors de tels événements tragiques et jouent un rôle fondamental dans les représentations que les téléspectateurs et auditeurs se font de ces événements. 

La polémique a donc été vive à la suite des attentats perpétrés par Chérif Chekatt et ce sont des internautes qui ont partagé en premier, avant que l'identité du terroriste ne soit officiellement confirmée, sa photo, son nom, voire son adresse ou le nom de ses proches (présumés ou réels).

Les règles applicables dans les médias

La règle générale est édictée par l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 qui prévoit que la liberté de communication peut être limitée par les exigences liées à la sauvegarde de l’ordre public: il relève de la responsabilité des éditeurs de ne pas diffuser des images ou des sons qui pourraient, dans le cadre d’une attaque terroriste, porter atteinte à la sécurité des personnes.

L’article 20 de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, a complété l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 pour prévoir que le Conseil supérieur de l’audiovisuel "élabore un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes", ce qui a été publié en octobre 2016.

Il en ressort que l’opportunité d’anonymiser les auteurs d’actes terroristes relève de la liberté éditoriale des diffuseurs. Il n’existe pas de réponse unique satisfaisante à la question de savoir s’il convient ou non de diffuser leur identité ou leur image.

Voir: Attentat à Strasbourg - le djihadiste Chérif Chekatt enterré "dans un strict anonymat"

Dans ce cadre, les informations susceptibles d’être divulguées par les médias, notamment les éléments d’identification des terroristes ou relatifs à leur mode opératoire, ne doivent jamais perturber le travail des forces de sécurité et de l’autorité judiciaire.

Elles ne doivent notamment pas aider involontairement des comportements délinquants ou criminels. Dans tous les cas, il est nécessaire d'entretenir des contacts suivis avec les autorités compétentes, qui peuvent éclairer les rédactions sur l'exactitude d'une information, voire, dans certains cas, l'opportunité d'en différer la diffusion.

Il revient aux éditeurs de formuler leur appréciation au cas par cas, en prenant en compte les circonstances et les conditions de diffusion, notamment de multidiffusion.

Il convient également de faire preuve d’une vigilance particulière dans le traitement des sujets relatifs à la personnalité ou au parcours des auteurs de ces actes, en veillant à ne pas les présenter sous un aspect qui pourrait être perçu comme positif ou qui serait de nature à heurter les victimes, leurs proches ou le public.

La diffusion d’éléments de propagande (images, sons ou termes employés) à des fins d’information relève également de la liberté des éditeurs.

Cela s’applique autant aux médias traditionnels qu’aux diffuseurs, ou considérés comme tels, sur les réseaux sociaux.

En diffusant des informations qui feraient ainsi entrave à la justice, vous risquez deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende et, lorsque l'enquête ou l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75.000 euros d'amende. (Article 434-7-2 du code pénal). Sans compter le risque de diffuser par erreur un nom ou une identité qui n’est pas celle du suspect …

Précautions à prendre vis-à-vis des victimes

Les articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 prévoient que la liberté de communication peut être limitée notamment par les exigences liées au respect de la dignité de la personne humaine. Il faut notamment s’abstenir de diffuser des images pouvant porter atteinte à la dignité des victimes, des otages ou de leurs proches.

Au-delà, il convient de prendre en compte, dans le recueil des témoignages des victimes ou des témoins directs, l’état de vulnérabilité dans lequel ils peuvent se trouver. Les diffuseurs doivent garder à l’esprit que certaines personnes qui acceptent de témoigner peuvent être en état de choc et ne pas être réellement en mesure de consentir de manière éclairée à la captation de leur image ou de leur propos.

En outre, une vigilance particulière est de mise s’agissant de l’acquisition à titre payant de documents amateurs, réalisés lors d’attaques terroristes. Il est ainsi recommandé de n’y recourir que de manière exceptionnelle, afin d’éviter d’encourager certaines personnes à capter des sons et des images lors d’événements dramatiques, dans la seule perspective de pouvoir les monnayer, sans prendre en considération l’effet de telles pratiques sur les victimes. 

Si vous n’êtes pas journaliste et que cela ne résulte pas de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, il ne faut surtout pas poster sur les réseaux sociaux des contenus choquants, comme des images de victimes d’attentats ou d’exécution, ainsi que des vidéos violentes.

Que risque-t-on en diffusant des images violentes?

Photographier un cadavre sur une scène de crime – comme ce fut le cas à Strasbourg – et diffuser les images sur Internet peut être ainsi sanctionné par plusieurs articles du code pénal, notamment les 227-24 et 222-33-3, qui considèrent comme répréhensibles "le fait d’enregistrer" et de diffuser l’enregistrement.

L'article 222-33-3 du code pénal va sanctionner ce comportement comme un acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et punir sévèrement la diffusion de l'enregistrement de telles images (cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende).

Retrouvez d'autres analyses de l'actualité juridique sur le blog de Thierry Vallat.

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