Les pieds, talon d'Achille des sans-abris

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Par Alexandra DEL PERAL - Paris (AFP)
Publié le 07 juin 2018 - 15:20
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Pour les sans-abris, la question des chaussures est fondamentale, mais souvent laissée de côté
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© KENZO TRIBOUILLARD / AFP/Archives
Pour les sans-abris, la question des chaussures est fondamentale, mais souvent laissée de côté
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"Quand on est SDF, marcher c'est survivre". Mais parce que les sans-abris portent de mauvaises chaussures, font des kilomètres par jour et manquent de soins, leurs pieds sont parfois si malmenés qu'ils peuvent risquer l'amputation, une situation combattue par des associations.

"Un jour, j'avais tellement marché que le lendemain, impossible de poser les pieds par terre. C'est comme s'ils ne répondaient plus", confie Richard, 42 ans dont huit ans passés dans la rue.

Ce sans-abri parisien à la silhouette frêle raconte les journées à marcher par tous les temps pour fuir l'ennui ou simplement se mettre à l'abri. "Alors mes pieds, j'ai pris l'habitude de ne plus y faire attention", admet-il.

"Les SDF sont un public oublié car ils n'ont pas les moyens d'aller voir un podologue dans un cabinet. Or pour eux, se déplacer est primordial et quand vous avez mal aux pieds, vous êtes handicapé", souligne auprès de l'AFP le directeur de l'Institut national de podologie, Dominique Nuytens.

Son école, qui forme des podologues en trois ans, a noué des partenariats avec des associations comme Emmaüs ou l'Armée du Salut pour soigner gratuitement des sans-abris, en grande majorité des hommes.

Chaque semaine, de septembre à juin, six étudiants, encadrés par un podologue "confirmé", se rendent dans l'un des quinze centres sociaux partenaires pour des ateliers.

En moyenne, selon le directeur, près d'une centaine de SDF sont soignés chaque semaine. Chaque mercredi, Bruno, un sans-abri de 46 ans, se rend à "La maison du 13", un centre d'accueil de jour géré par Emmaüs pour une consultation.

Assis sur une chaise, jambes tendues et pieds en éventail, il désigne du bout des doigts son pied gauche. "J'ai des douleurs constamment", dit-il à l'étudiant chargé de l'examiner.

- "Mal à l'aise" -

Plaies infectées, callosités, ongles incarnés... Les étudiants traitent principalement les "bobos quotidiens". "Des petits problèmes qui peuvent toutefois rapidement se transformer en gros problèmes s'ils ne sont pas soignés", souligne M. Nuytens pour qui les cas d'amputation chez les SDF sont courants.

Car de nombreux sans-abris rechignent à se faire soigner.

"La plupart des patients sont souvent très mal à l’aise à l'idée de montrer leur pieds parce que c’est une zone du corps que les gens n’apprécient pas mais pour les SDF, c’est encore plus difficile. Souvent, ils arrivent et disent: +je vous préviens ça ne sent pas très bon. Ce n’est pas très propre+", explique Diane Locatelli, podologue chargée de l'encadrement des étudiants lors des ateliers.

"Les SDF ont un rapport au corps qui est compliqué. Beaucoup se sont laissés aller et ne reconnaissent plus leur corps. Finalement, ce corps meurtri par la rue, c'est un peu leur carapace", complète Christophe Louis de l'association Les Enfants du Canal.

Pour lutter contre ce tabou, la Croix-Rouge a lancé une "maraude podologie". "Nous nous sommes rendus compte que beaucoup n'osaient pas venir dans nos structures. Avec la maraude, c'est nous qui venons à eux", explique Denis, un bénévole.

Son fonctionnement est simple: en semaine, des maraudeurs proposent à des SDF de se faire soigner les pieds. S'ils acceptent, un rendez-vous est alors pris et le dimanche, trois bénévoles dont un podologue viennent à leur rencontre à bord d'un camion transformé en véritable institut de podologie.

Un dimanche, un sans-abri surnommé "M. Budha" s'inquiète de voir ses deux pieds gonflés. Après vérification, rien d'anormal... si ce n'est que l'homme de 67 ans marche pieds nus dans la rue, faute de chaussures à sa taille.

"La question des chaussures chez les sans-abris est tout aussi fondamentale que celle de l'accès aux soins", souligne Denis, pour qui, "voir des sans-abris pieds nus dans la rue, en tong en hiver ou en chaussures fourrées en été, est malheureusement monnaie courante".

Pour Christophe Louis, c'est surtout la question du type de dons qui se pose: "Donner une paire de mocassins à un sans-abri, cela part d'une bonne intention mais ce n'est pas du tout adapté. C'est là-dessus qu'il faut travailler".

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