Le confinement actuel est-il propice à la création ?

Auteur(s)
Anne Jauffret, Marine Balansard
Publié le 03 avril 2020 - 13:45
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www_slon_pics de Pixabay
Le confinement actuel est-il propice à la création ?
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Dans cette période hautement anxiogène, nous avons besoin de donner un sens à ce qui nous arrive. Notre génération n’a jamais connu les épidémies, la guerre, la privation de la liberté. Pour autant, pouvons-nous espérer des avancées significatives dans le domaine de la science ou de la création, qui surgiraient du confinement ?

Confinement et solitude

La solitude permet de se confronter à soi-même et de vérifier ses propres hypothèses, loin du tumulte de la pensée des autres. Après Copernic et grâce à ses observations, Galilée affirme que la terre n’est pas au centre du monde mais tourne autour du soleil. Affirmation qu’il devra renier et qu’il paiera de sa liberté. Car les grandes découvertes ont été des avancées solitaires, même si, au départ, elles se sont nourries de la pensée des autres. C’est vrai pour Galilée comme pour Newton, ou pour Pascal. Leur pensée originale n’a d’autre limite que celle de leur esprit.

Et si le confinement est imposé 

Le meilleur exemple est celui d’Anne Franck, enfermée deux ans dans un appartement caché pendant la seconde guerre mondiale. Il est fort probable qu’Anne Frank n’aurait jamais écrit un journal à 13 ans si elle avait été libre. Entre amour, curiosité et frayeur, son livre est le témoignage d’une adolescente privée de liberté. Pour elle, le confinement n’abolit pas le monde, il le rétrécit. « Voilà comment nous vivotions, et il nous était interdit de faire ceci ou cela. Jacques me disait toujours « Je n’ose plus rien faire, j’ai peur que cela soit interdit. » Et si son seul désir est d’être heureuse et de profiter de la vie, elle finit par étouffer. « Laissez-moi tranquille ! …La migraine me martèle la tête ! Laissez-moi disparaitre. Loin de ce monde. »

Lorsque le confinement est volontaire

Nous avons aussi des confinements volontaires, dont deux exemples sont assez significatifs de l’impossibilité à vivre complètement seul même pour créer.

Suivons Camille Claudel qui vit seule dans son atelier après sa rupture avec Rodin. Elle veut développer son art loin de l’influence supposée de Rodin. Il ne lui suffit pas de fermer sa porte, elle se barricade. « Ma maison est transformée en forteresse….des pièges à loup derrière toutes les portes témoignent du peu de confiance que m’inspire l’humanité. » Mais elle perd la notion d’espace et de temps, sa pensée qui ne se rattache plus qu’à elle-même devient incohérente. Pour finir, elle détruit ses œuvres et se détruit elle-même.

Plus près de nous, le peintre Nicolas de Staël s’exile dans le midi. Celui qui dit avoir choisi une « solitude minable » ne peint que ce qu’il a dans sa tête. Il refuse la sollicitude de ses amis et, chose curieuse, il emploie les mots mêmes d’Anne Franck : « fichez-moi la paix. »

Le confinement pour créer et inventer ?

Oui car il permet de se concentrer, de se faire confiance, loin du regard des autres. Car, comme le dit Paul Valery, « ne pas croire aux croyances communes, c’est évidemment croire à soi et souvent à soi seul. »

Mais un confinement relatif. A la Marcel Proust qui quittait sa chambre d’hôtel le soir pour dîner et danser. Ou à la Sylvain Tesson, retiré au fond d’une forêt sibérienne mais qui va à la rencontre de quelques voisins forestiers.

Le confinement d’aujourd’hui est-il source de créativité ?

Le confinement que nous supportons aujourd’hui est peut-être à l’opposé des conditions requises pour créer : certains sont entassés dans des logements trop exigus, des étudiants sont confinés dans des chambres de quelques mètres carrés. Tous supportent le bruit des autres, constamment interrompus par des nouvelles anxiogènes. Les réseaux sociaux, le téléphone, la télévision, internet, entrent par les portes et les fenêtres et marquent les esprits. Loin d’être coupés du monde, nous sommes abreuvés d’informations provenant du monde entier. Autant de brouillage qui ne permet pas la création en bloquant l’imagination.

Confinés, nous sommes également dans l’attente d’un signe de l’extérieur, d’une nouvelle permettant d’espérer le déconfinement. A l’inverse du prisonnier qui connait la durée de sa peine, nous sommes dans la dépendance et le désir de cette nouvelle. Autant d’attention portée sur l’extérieur qui ne permet pas l’immense disponibilité pour d’éventuels processus créatifs.

Sans recul sur le réel, sans espace pour développer l’imaginaire, nous sommes en réalité débordés.

Dans cette crise, il y a les acteurs et les confinés, plus passifs. Si les acteurs -soignants, industries, chercheurs - sont pleinement engagés malgré les risques, ils jouent ensemble une partition qui a du sens. C’est d’eux que vient la créativité, l’avancée spectaculaire dans différents domaines, celui de la santé, de la science, ou de l’industrie avec ces entreprises qui se transforment en quelques jours pour créer autre chose que leur production habituelle, ou s’associent pour fabriquer ensemble le matériel nécessaire à la traversée de la crise.

Anne Jauffret est docteur es lettres.

Marine Balansard est co-auteur du livre « Décider ça se travaille », éditions Eyrolles.

 

 

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