Plafonner les frais de cartes bancaires en Europe : une règlementation complexe

Auteur(s)
JmC
Publié le 15 juin 2015 - 18:30
Mis à jour le 17 juin 2015 - 11:19
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Cartes bancaires-éparpillées
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©Thomas Kohler
Plus de 760 millions de CB circulent dans l'Union européenne.
©Thomas Kohler
De plus en plus présentes dans le quotidien des Européens, les transactions par carte font l’objet de frais bancaires que l’Union européenne essaye de réguler. Le 10 mars dernier, le Parlement européen a voté un règlement pour plafonner ces commissions. Toutefois, il n’est pas certain que cette nouvelle législation bénéficie aux consommateurs.

Les Européens seraient-ils accros aux cartes bleues? Selon une enquête de la Commission, du Parlement et de la Banque centrale européenne, en 2013 plus de 760 millions de cartes de paiement circulaient dans l’Union européenne pour seulement 508 millions d’habitants.

Un chiffre impressionnant qui révèle aussi un changement d’habitudes dans les pratiques d’achats: si l’on enlève le paiement en espèces, les transactions par carte représentent plus de 43,5% du total des paiements, devant les virements (26,5%), les prélèvements (24%) et les chèques (4%).

Or, le paiement par carte implique des frais supplémentaires différents selon les pays, que ce soit pour les commerçants ou les consommateurs. C’est notamment le cas des commissions multilatérales d’interchange que l’Union européenne a décidé de plafonner de manière égale dans tous les Etats-membres.

Que sont ces fameuses commissions multilatérales d’interchange (CMI ou commissions interbancaires)? Mises en place par les réseaux de carte de paiement (Visa, Mastercard, CB, Amex, etc…), les CMI correspondent à des frais de service appliqués à la banque du commerçant lors de chaque transaction afin d’accéder à une plate-forme mettant en relation sa banque et celle du consommateur pour effectuer le paiement.

Concrètement, les commissions interbancaires sont donc des frais de service payés par la banque du commerçant à la banque du consommateur. Celles-ci peuvent aller de 0,1% (Danemark) à 1,8% (Pologne) du prix de la transaction. La France, elle, se situe dans les pays où les CMI sont les plus basses avec 0,28%.

Les conséquences de ce système ne sont pas négligeables. En y participant, le commerçant est assuré d’être payé même en cas de problèmes (fraude, refus de paiement), tandis que le consommateur peut payer moins cher sa carte à l’année. Toutefois, les commerçants répercutent aussi ces commissions en augmentant les prix des biens de consommation.

La Commission européenne se devait donc d’agir et à plus d’un titre. La principale motivation de l’Union européenne consiste à remettre en cause un système qui allait à l’encontre des règles de concurrence établies par les traités européens. En effet, le marché des réseaux de cartes de paiement est essentiellement détenu par Visa et Mastercard (ils possèdent 96,8% des parts de marché en valeur dans l’UE). La Commission avait alors attaqué les deux sociétés pour ces frais.

L’exemple le plus emblématique provient de l’arrêt Mastercard du 29 mai 2012. L’histoire débute en 2007, la Commission considère que Mastercard, à travers sa pratique des CMI, entrave la concurrence au détriment des consommateurs. La commissaire de l’époque, Neelie Kroes, l’expliquait clairement: "les consommateurs paient l'addition puisqu'ils risquent de payer deux fois pour le paiement par carte: une première fois par le biais des frais annuels pour pouvoir bénéficier des services de la carte, et une seconde fois car le prix des marchandises augmente du fait des CMI; une augmentation qui s'applique que vous payiez par carte ou en liquide".

Elle ajoutait que les CMI n’occasionneraient aucune contrepartie en termes de bien-être pour les consommateurs et concluait que dans d’autres pays où les cartes de paiement fonctionnent sans ces frais (Norvège, Finlande et Luxembourg), le système s’est développé tout aussi rapidement.

La Cour de Justice de l’Union européenne a ensuite donné raison  à la Commission. Ainsi, l’Union européenne pouvait préparer son coup de grâce. Celui-ci  prend la forme d’un règlement voté par le Parlement européen le 10 mars 2015. Son but: plafonner les commissions multilatérales d’interchange et les commissions transfrontalières. Le plafond s’élèvera désormais à 0,2% de la valeur de la transaction pour les transactions transfrontalières par carte de débit (ce que l’on appelle communément les cartes bleues en France). Les CMI seront aussi de 0,2% pour les paiements nationaux et, concernant les achats dont les sommes sont plus petites, la commission maximale sera fixée par les Etats-membres à 0,05 euro par transaction. 

Les Etats membres disposeront de cinq ans pour mettre en place cette règlementation. Selon le député européen Pablo Zalba (PPE), responsable du texte au Parlement européen, le but du règlement est à la fois d’établir "des règles uniformes pour les paiements en Europe", d’accroître "la transparence des commissions, d’encourager la concurrence" et de "permettre aux détaillants et aux utilisateurs d'opter pour les systèmes de carte les plus avantageux pour eux". L’impact serait alors de 730 millions d’euros d’économies pour les consommateurs et de 6 milliards d’euros d’économies pour les commerçants.

Une formule gagnant-gagnant, donc? Pas si sûr. Dans son analyse, l’économiste Pierre Garello, professeur d’économie à l’Université d’Aix-Marseille, montre les effets pervers d’une baisse drastique des CMI en se basant sur les exemples de l’Espagne, de l’Australie et des Etats-Unis. En Espagne, les CMI ont baissé de 1,55% à 0,65% entre 2006 et 2010. Une étude de 2012 menée par Juan Iranzo, président de l'Ordre des économistes de Madrid, établit les effets suivants: une baisse du développement des paiements par carte, une augmentation de plus de 50% des cotisations sur les cartes, une augmentation des frais pour découverts et créances, une diminution des bénéfices et avantages commerciaux accordés aux détenteurs de cartes et, surtout, aucune véritable baisse des prix à la consommation.

Même si les intentions de l’Union Européenne semblent bonnes, les conséquences pourraient ne pas être celles espérées. Si les commerçants devraient s’y retrouver en faisant davantage d’économies, les consommateurs, eux, risquent de ne pas voir les répercussions sur les prix et payer plus cher l’abonnement annuel pour leurs cartes.

(Avec la contribution de la Maison de l’Europe de Paris)

 
 

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