INTERVIEW EXCLUSIVE : Mandeep Mehra, l'hydroxychloroquine pas efficace pour des patients hospitalisés mais...

Auteur(s)
Xavier Azalbert pour FranceSoir
Publié le 23 mai 2020 - 15:34
Mis à jour le 25 mai 2020 - 16:54
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Mandeep Merha Harvard Medical School
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FranceSoir
Mandeep Mehra
FranceSoir

INTERVIEW EXCLUSIVE : Mandeep R. Mehra est un médecin spécialiste en chirurgie cardiovasculaire  et professeur à la prestigieuse Harvard Medical School. Il a publié avec deux autres collègues, une étude rétrospective dans the Lancet (22 mai 2020) concluant à la toxicité de l’hydroxychloroquine et la chloroquine sur des patients « suffisamment malades » pour mériter une hospitalisation probablement 5 à 7 jours après l’infection.

En tant qu’expert en cardiologie, Mandeep a exploré l’effet de ce médicament sur divers patients et a conclu que dans un milieu hospitalier, très probablement lorsque la charge du virus a atteint un niveau mortel, l’hydroxychloroquine peut augmenter le risque d’arythmie cardiaque et créer des dommages supplémentaires, tout en précisant certaines des nombreuses limites. Cette étude n’inclut pas les utilisations prophylactiques du traitement et ne le compare pas à Remdésivir, une alternative en cours de test.

L’échantillon statistique est suffisamment important pour que les auteurs concluent sur l’importance et la significativité du test. De plus ils expliquent avoir également utilisé des techniques avancées de modélisation statistique (pour simuler des tests de contrôle randomisés), mais ces techniques ne peuvent pas toujours surmonter les différences non dimensionnées entre les groupes et fait l’objet de beaucoup de controverses concluant que cela ne devrait pas être utilisé.

L’auteur conclut que cela représente l’équivalent d’un test réel de cet ensemble de médicaments, même s’il précise que ce n’est pas un test réel.

Mandeep a répondu à nos questions ;

FranceSoir : Vous avez recueilli des données sur des études sur l’hydroxychloroquine datant du 20 décembre 2019. Quelles étaient les motivations de cette étude ?

MM :  Nous avons été étonnés de l’utilisation généralisée de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine de par le monde et en particulier de la façon dont les organismes gouvernementaux poussaient dans ce sens sans beaucoup de preuves. Il nous est vite apparu qu’en l’absence d’essais randomisés, les données disponibles pour assister à la décision étaient assez faibles. 

Nous voulions donc obtenir des données réelles pour définir s’il y avait des avantages ou non dans l’utilisation de ces médicaments.  C’est ce qui nous a poussé à faire cette étude.

 

FS : Vous avez commencé à collecter des données le 20 décembre 2019. L’hydroxychloroquine ou dérivées étaient-elles déjà utilisées à ce moment ?
MM : La base de données comprend 96000 patients et nous avons effectivement recueilli des données à partir de cette date. Nous avons commencé à regarder l’historique des patients et cela a vraiment commencé à Wuhan. Les premiers patients étaient tous de Chine et un grand nombre avaient été hospitalisés fin décembre 2019.  Cependant tous les patients n’avaient pas été traités avec l’hydroxychloroquine. Environ 15 000 patients ont reçu de l’hydroxychloroquine ou de la chloroquine en combinaison ou non d’antibiotiques.  Pour finir, l’étude s’est focalisée sur les patients qui avaient terminé un traitement vers mi-avril.

 

FS : Vous avez collecté 671 jeux de données de différents pays.  Comment avez-vous harmonisé les données et corrigé des biais ?

MM : En fait, il s’agissait donc d’une base de données existante conçue pour l’évaluation des procédures cardiovasculaires et des pharmacothérapies. Cette base de données existe et est utilisée depuis un certain temps.  Lorsque la crise du Covid-19 est apparue, nous avons redirigé et recentré l’ensemble de la collecte de données sur le  Covid-19 afin de poser les questions critiques.    Au début, nous avons étudié la question des risques cardiovasculaires, que nous avons publié dans notre premier article le 1er mai dans le NEJM (New England Journal of Medecine). Dans cette étude, nous avons observé environ 9000 patients qui étaient affectés au début de la pandémie. Avec la vitesse d’évolution et propagation du virus dans le monde, il est apparu évident que nous allions vite passer de 10 000 patients à 100 000 en quelques semaines, ce qui nous permettrait d’étudier d’autres phénomènes. De plus j’étais personnellement très intrigué en tant que cardiologue par les médicaments comme l’hydroxychloroquine et  la chloroquine car ils sont connus pour causer  de l’arythmie cardiaque. Voilà d’où vient la véritable impulsion pour examiner ces phénomènes.

 

FS : Donc, en substance, ce sont les conséquences et les effets secondaires qui vous ont mis sur la voie ?

MM : C’est exact.  Les gens commençaient à signaler que ces médicaments causaient de l’arythmie cardiaque, que nous devions être prudents, et qu’il y avait des effets secondaires importants voire graves.

Alors je me suis dit avec 100 000 patients dans cet ensemble de données, s’il y a un quelconque signal nous devrions être en mesure de l’observer et le quantifier.

 

FS : Vous mentionnez dans l’étude qu’il existe des biais potentiels, par exemple sur le fait de mener l’analyse sur des patients qui n’ont pas été dépistés rapidement, mais plus tard dans l’évolution de la maladie.  Quels sont les biais?

MM : Le biais vient du fait que dans un essai clinique randomisé tout est validé dès le départ. Lorsque vous enrôlez des patients, après avoir vérifié les critères d’inclusion et d’exclusion qui sont étroitement contrôlés, on vérifie qu’il y a égalité d’équilibre entre l’âge, le sexe, la race, les comorbidités et la maladie à l’avance.  Dans une étude d’observation comme la nôtre, nous devons ajuster pour tous ces facteurs après coup et

vous ne savez jamais s’il y a des facteurs non mesurés ou non inclus dans l’analyse.

 

FS : Pouvez-vous déduire de votre étude qu’il n’y aurait pas eu de différence dans les résultats si les patients avaient été dépistés plus tôt ou traités plus rapidement ?

MM : En fait, nous avons enrôlé des patients qui ont été traités dans les 48 heures après qu’un hôpital ait confirmé le diagnostic du Covid 19. Il s’agissait donc de patients traités relativement tôt. De plus nous avons exclu un certain nombre de patients qui étaient dépistés ou traités tardivement. Par exemple les patients qui avaient été traités avec le médicament observé et qui étaient en assistance respiratoire ont été exclus de l’étude.

L’ensemble des patients représente une population assez homogène et pour être tout à fait honnête avec vous, nous avons appliqué tous les principes de recherche scientifique pour conduire une étude qui se rapproche le plus d’un essai clinique randomisé. 

Mais il serait encore très peu scientifique de ma part d’affirmer qu’il s’agit d’une étude clinique randomisée car ce ne l’est pas.  Et nous ne saurons jamais si nous avons manqué certains facteurs ou effets.

Les analyses effectuées sont ajustées pour plus de 35 facteurs différents.  Dans l’annexe de l’étude, nous expliquons que nous avons effectué des analyses très sophistiquées où nous avons simulé la randomisation à l’aide d’une technique statistique qui simule un échantillonnage aléatoire. Cela permet de sélectionner les patients un à un pour qu’ils correspondent aux facteurs d’inclusions ou d’exclusion et d’échantillonnage. Cela a été fait pour chacun des médicaments. Aucune différence significative n’a pu être observée dans chacune de ces analyses sophistiquées.

Nous sommes donc assez convaincus qu’en raison de la grande taille de l’échantillon issu de six continents et ce même s’il pouvait subsister des biais importants, que les résultats étaient fiables, Une autre manière de voir les choses, si on omet un instant la nature toxique de l’hydroxychloroquine et que l’on se pose la question :  y a-t-il des avantages à ce traitement ?  Nous avons conclu au moins qu’il n’y a pas d’avantages à faire usage de ce médicament dans la situation observée.

On pourra soutenir que ces patients sont plus malades ou peut-être le signal de toxicité n’est pas bon, mais à la fin, même s’il n’y a pas de mal, et il n’y a aucun avantage alors pourquoi utiliseriez-vous ce traitement ?

 

FS : Vous êtes arrivé à cette étude sous l’angle cardiovasculaire alors qu’il y a d’autres médicaments qui sont examinés dans le traitement de Covid 19.  Pourquoi ne les avez-vous pas inclus dans votre étude ? Par exemple, pourquoi Remdesivir n’a-t-il pas été inclus ?

MM : Nous avons exclu Remdesivir après avoir observé que nous n’avions que 276 patients avec ce médicament et nous avons pensé que cela apporterait un biais à l’analyse car ce médicament n’était donné que de manière sélective et compassionnelle à ce moment-là. De plus l’étude initiée par le NIAID sur Remdesivir était en cours. Les résultats de cette étude publiée aujourd’hui montrent un impact faible sur la mortalité et un temps plus court de récupération, ce qui avait été annoncé par Tony Fauci depuis plusieurs semaines. En conséquence, nous avons enlevé Remdesivir.

En observant les résultats de l’étude 40% des patients ont été traités avec d’autres agents antiviraux, tels que le Keletra qui est un médicament utilisé dans le VIH ou Ebola. Nous avons constaté qu’un certain nombre de médecins prescrivaient des agents antiviraux habituels comme ceux utilisés pour traiter la grippe ou Ribonavir pour l’hépatite. D’une certaine façon, on peut considérer que nous avions un moyen de contrôle interne à l’étude avec ces autres antiviraux.  Nous avons donc vérifié et conclus que ces traitements-là n’étaient pas nocifs. 

Dans notre étude, il est assez évident que l’absence d’avantage et le risque de toxicité observés pour l’hydroxychloroquine sont assez fiables.

 

FS : Avez-vous les données pour Remdesivir ?
MM :  Oui, nous avons les données, mais le nombre de patients est trop faible pour que nous puissions conclure d’une manière ou d’une autre.

 

FS : Comme vous le savez, en France, il y a une bataille de pro et contre sur l’hydroxychloroquine qui s’est transformé en question de santé publique mettant même en cause le lobbying financier des laboratoires pharmaceutiques. Pourquoi ne pas mesurer l’effet de l’un contre l’autre pour mettre fin à toute spéculation ?

MM : Avec 276 patients sur Remdesivir, cela est trop faible pour permettre de tester tous les facteurs et critères. Mais cela dit, oui, nous pourrions regarder.

Et, en fait, vous m’avez donné une bonne idée et peut-être que nous pourrions le faire !

 

FS : Il n’y a jamais eu de test d’un des traitements contre l’autre, ne pensez-vous pas que la confrontation des thérapies dans une étude serait utile ?  Il y a aussi un débat sérieux sur le coût d’une thérapie par rapport à l’autre ?  N’y a-t-il pas un problème éthique ?

MM : En fait, il n’y a pas de base rationnelle pour tester Remdesivir contre l’hydroxychloroquine.  D’une part, Remdesivir a montré qu’il n’y a pas de risques de mortalité et qu’il y a une réduction du temps de récupération. D’autre part, pour l’hydroxychloroquine c’est le contraire :  il n’a jamais été démontré un quelconque avantage et la plupart des études sont de petites tailles ou non conclusives  En outre, notre étude montre qu’il  y a des effets nocifs. 

Il serait donc difficile et probablement non éthique de comparer un médicament au caractère nocif démontré à un médicament avec au moins une certaine lueur d’espoir.

 

FS : Est-ce que les dosages utilisés pour l’hydroxychloroquine est un problème ?

MM : Non, je ne pense pas. Peut-être qu’un patient stable, n’ayant pas développé les symptômes du covid, peut prendre de l’hydroxychloroquine comme un médicament ambulatoire sans que cela n’ait de conséquences adverses ou d’avantages. Cependant une fois diagnostiqué et hospitalisé pour le Covid, cette maladie est si terrible, incertaine et au développement très rapide qu’un tiers des patients développent une nouvelle forme de problèmes cardiovasculaires.

L’hydroxychloroquine entraine des problèmes d’arythmie cardiaque et c’est l’observation principale de l’étude, en conséquence, ma conclusion est que la combinaison de maladies cardiaques sous-jacentes, la gravité et l’effet de Covid 19 sur le cœur et l’utilisation de ce médicament conduit à une situation instable et doit être évitée

 

FS : Vous avez déclaré qu’il n’y a pas de base pour tester ou comparer Remdesivir à l’hydroxychloroquine, croyez-vous avoir tout fait pour conclure à la dangerosité l’hydroxychloroquine ?

MM : Exactement.

Pour être précis, je ne parle que dans un milieu hospitalier, pas pour une utilisation en dehors de l’hospitalisation.

 

FS : Pouvez-vous clarifier ce que vous voulez dire en milieu hospitalier? 
MM :  Je veux dire par là, un patient ayant reçu un diagnostic de Covid 19, qui a besoin d’une hospitalisation pour traitement. Ce sont des patients qui sont plus malades que les patients qui peuvent rester à la maison en attendant de développer la maladie, ou sont relativement asymptomatiques et peuvent faire une utilisation prophylactique de ce médicament.

 

FS : Un malade sérieux est celui qui a besoin d’être hospitalisé et dans le même temps vous dites que le Covid 19 se développe extrêmement rapidement.  Votre étude a examiné les patients qui avaient reçu un traitement 48 heures après avoir atteint l’hôpital. Au moment où le patient arrive à l’hôpital, il aura donc développé les maladies pendant plusieurs jours, n’est-ce pas trop tard ?

Tout ce que nous disons, c’est qu’une fois que vous avez été infecté (5 à 7 jours après) au point de devoir être hospitalisé avec une charge virale grave, l’utilisation de l’hydroxychloroquine et dérivé n’est pas efficace.

Les dommages causés par le virus sont déjà là et la situation devient irrécupérable.  Avec ce traitement cela peut générer plus de complications

 

Mandeep Mehra a déclaré n'avoir aucun conflit d'intérêt avec les laboratoires et que cette étude a été financeé sur les fonds de dotation propres de chaire de professeur.

Il a participé à une conférence sponsorisée par Gilead début Avril 2020 dans le cadre du Covid-19.

 

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