Comment éviter le déclassement du football français ?

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Jean-Pascal GAYANT pour FranceSoir
Publié le 19 novembre 2020 - 15:39
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Football
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Comment éviter le déclassement du football français ?
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Tribune : Le football français est une médaille à deux faces. D’un côté se trouve l’équipe de France, championne du monde en titre, menée par un sélectionneur très compétent et s’appuyant sur des joueurs talentueux évoluant presque exclusivement dans les quatre plus grands championnats mondiaux (Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie). De l’autre se trouve un championnat national en pleine crise, secoué par la défection de son nouveau diffuseur (MediaPro) et surclassé dans les compétitions européennes.

Il n’est pas utile d’établir ici la liste des défaites françaises dans les matchs récents de Ligue des Champions ou de Ligue Europa. Il suffit de jeter un œil au palmarès famélique des clubs français en coupe d’Europe (2 victoires sur 153 coupes d’Europe distribuées) pour mesurer l’ampleur des insuffisances françaises. La France demeure néanmoins 5ème à l’indice UEFA, portée par ce qu’on pourrait appeler « l’illusion parisienne ». En effet, depuis 2011, les résultats français en coupes d’Europe ont été portés par les performances du Paris Saint Germain. Or contrairement à la décennie précédente lors de laquelle le club phare s’appuyait sur un modèle de développement endogène (celui construit par Jean-Michel Aulas à l’Olympique Lyonnais), la réussite du club majeur de la décennie 2010-2020 s’appuie sur un financement exogène : la manne des dollars du gaz qatari. Certes, l’investissement initial des qataris engendre un cercle vertueux de captations de ressources (la notoriété planétaire de la marque « Paris Saint Germain » permet désormais au club d’engendrer des recettes issus des produits dérivés et de la publicité à un niveau jamais atteint par un club français), mais cette irruption aléatoire du pactole qatari depuis 2011 masque une lente dépréciation du football national.

A la décharge des dirigeants successifs de la Ligue de Football Professionnel (LFP), gouverner un groupe de 42 à 45 clubs professionnels aux intérêts diamétralement divergents n’est pas une sinécure. Les « gros » clubs militent pour une captation plus conséquente des ressources issues des droits de diffusion (afin de rivaliser avec les meilleurs clubs européens), les autres clubs souhaitent une répartition plus égalitaire de ces ressources et militent pour la réduction de l’aléa lié au risque de relégation en division inférieure. Plus largement, chaque club cherche à devenir un insider et repousse sans ménagement les outsiders : quand un club est promu en Ligue 1, il cherche à limiter les ressources redistribuées vers la Ligue 2 alors même qu’il réclamait leur augmentation quelques semaines auparavant. Quand un club est promu en Ligue 2, il bloque la création d’une Ligue 3 professionnelle alors même qu’il la revendiquait lorsqu’il évoluait en championnat National quelques mois plus tôt… Dans cet univers de décisions de court terme, la balkanisation s’est accentuée avec la création d’un syndicat supposé ne réunir que les « cadors » du football français. Ce syndicat, dénommé « Première Ligue » (en écho à la dénomination de la richissime ligue anglo-galloise) est prisonnier d’une équation dont la résolution est impossible : il doit  être constitué d’un nombre conséquent de clubs afin de peser sur les décisions du football français, mais n’accepter en son sein qu’un nombre limité de protagonistes, supposés être des « cadors ». Ne devant initialement être composé que de clubs de Ligue 1, il abrite aujourd’hui 2 clubs de Ligue 2 (Toulouse et Caen) et 15 clubs de Ligue 1 sur 20, au gré des promotions et relégations, mais aussi de l’arbitraire d’un système fondé sur la participation « d’idiots utiles ».

Les grandes difficultés de la gouvernance de la LFP expliquent sans doute, en partie, l’aveuglement collectif qui a précédé le fiasco MediaPro : au  cœur d’une institution profondément divisée, la promesse d’un accroissement phénoménal des droits de diffusion audiovisuelle était devenue, entre 2018 et 2020, un facteur inespéré de cohésion. Il est en effet beaucoup plus facile de partager un gâteau quand la taille de celui-ci croît de 60 % ! Seuls quelques observateurs indépendants alertaient en 2018 sur le caractère inepte de cette progression de droits déjà artificiellement gonflés…

Si la crise de la Covid a précipité la défaillance de MediaPro, elle n’est que le révélateur d’une situation structurellement dans l’impasse. Cette impasse est le résultat de non choix depuis plusieurs années. A la croisée des chemins, le football français doit maintenant prendre des décisions fortes.

La première de ces décisions est la réduction de la taille de l’élite. Il faut passer de 20 à 16 clubs en Ligue 1. Tout d’abord car la réduction de ce format améliorera mécaniquement le niveau moyen de la ligue. Ensuite, parce que la réforme de la Ligue des Champions (et peut-être la création d’une super ligue européenne) va restreindre le nombre de dates disponibles pour la ligue « domestique ». L’enjeu est de garantir durablement la participation des grands clubs européens à leurs ligues nationales. En effet, le point de menace des grands clubs européens est aujourd’hui la création d’une Major League de football en Europe et leur désertion concomitante des ligues nationales qui deviendraient alors des ligues « mineures ».

Cette réduction du format de la Ligue 1 doit être assortie de la création, comme dans les autres pays européens, d’une Ligue 3 professionnelle. Il faut, en effet, compenser la réduction de la taille de l’élite, mais aussi faire disparaître le risque de « catastrophe industrielle » d’une relégation en ligue amateur. Idéalement, il faudrait créer une Ligue 3 professionnelle à deux poules (de type Nord et Sud) de 18 équipes chacune. Dans le même esprit, il faut construire un dispositif de semi-professionnalisation au 4ème niveau. Il faut en effet continuer à lutter contre « l’amateurisme marron » et son cortège de pratiques occultes.

Il faut également (comme le propose le syndicat Première Ligue), allonger de trois à cinq ans la durée du premier contrat professionnel. Cette disposition est opportune car elle permet de conserver plus longtemps les jeunes talents dans les ligues professionnelles françaises, ou, à défaut, de les revendre de façon plus bénéfique dans les ligues étrangères.

Le dernier point sensible est la clé de répartition des droits TV entre les clubs au sein des différentes ligues professionnelles. Il est important de rappeler que la répartition des droits audiovisuels ne doit pas être trop inégalitaire pour garantir un certain niveau d’équilibre compétitif au sein de la ligue. Cet objectif central se heurte à la nécessité de garantir des revenus conséquents aux clubs prenant part aux compétitions européennes. Voilà un arbitrage complexe qui demeurera conflictuel tant que coexisteront des compétitions nationales et continentales. Mais il est utile de rappeler que l’UEFA a pour objectif de (re)créer une 3ème coupe d’Europe, ce qui suggère que 8 à 10 clubs (c'est-à-dire la majorité d’une ligue à 16) participeront chaque année à une compétition européenne. Ceci devrait avoir pour conséquence d’atténuer les tensions au sein de l’élite du football français.

Le football français doit maintenant prendre des décisions autres que cosmétiques pour retrouver sa compétitivité. La principale de ces décisions est la réduction du format de l’élite pour en accroître la qualité moyenne. Cette réduction peut se faire en quatre ans de façon relativement indolore (3 relégations par an pour seulement 2 promotions). Ceci mettrait le football français dans une position renforcée en 2024, année 0 de la nouvelle formule de la Ligue des Champions. Pour une fois, le football français aurait brillé par son sens de l’anticipation.

 

Jean-Pascal GAYANT, Professeur de Sciences Economiques, GAINS, LE Mans Université et CREM, Université de Rennes 1

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