DÉMOCRATIE 2.0 - Sommes-nous encore en démocratie  ?

Auteur(s)
Dr Olivier Frot, pour France-Soir
Publié le 22 mars 2023 - 18:00
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tambours assemblée nationale
Crédits
F. Froger / Z9, pour France-Soir
Les tambours de l'Assemblée nationale, le 12 janvier 2023.
F. Froger / Z9, pour France-Soir
  • Libres réflexions sur la situation juridique du gouvernement de la France des années 2020 par Olivier Frot, diplômé de Saint-Cyr et docteur en droit public.

TRIBUNE - Nous vivons aujourd’hui sous un régime inédit, « en même temps » autoritaire et faible, répressif mais bienveillant, qui au nom du Bien tel qu’il le conçoit, a détourné et perverti l’État de droit.

En principe, la France est gouvernée selon un régime républicain, démocratique et constitutif d’un État de droit, traduit par une hiérarchie des normes juridiques, normes crées par des pouvoirs séparés et contrôlés par le juge, le souverain étant le peuple, qui exerce le pouvoir par ses représentants.

La pratique politique et l’évolution législative et réglementaire, en particulier l’évolution des trente dernières années, accentuée sensiblement par le régime actuel, traduisent une dérive de l’État de droit. Cette dérive est devenue rupture à l’occasion de l’épidémie de Covid-19, conduisant à une situation qui devrait préoccuper tout citoyen attaché aux libertés publiques. Cette rupture s’est aggravée lors des sessions parlementaires de début 2023, avec une forme d’apothéose lors des discussions portant sur la réforme des retraites.

En principe, la France est gouvernée selon un régime républicain, démocratique et constitutif d’un État de droit

La république française est certes, un État de droit, mais à l’avantage de l’État.

L’État de droit est un État dans lequel tous les individus et collectivités, publiques ou privées, sont soumis à une règle de droit. L’État de droit s’oppose à l’État de police, dans lequel règne l’arbitraire, où les autorités ne voient pas leurs activités encadrées par le droit.

En France, cet État de droit est tempéré par le fait que le droit n’est pas le même pour le secteur public (État, collectivités locales, établissements publics, secteur hospitalier public) et le secteur privé (particuliers, entreprises) : les activités du premier sont régies par le droit administratif, celles des seconds par le droit privé, le contrôle juridictionnel relevant de juridictions séparées (juge judiciaire, juge administratif). Dans les pays qui n’ont pas adopté la tradition juridique française, en particulier chez les anglo-saxons, le droit (et le juge) est le même pour tous (la « Common Law »).

L’État de droit est national et se matérialise dans la hiérarchie des normes juridiques.

National, car l’expression démocratique des suffrages du peuple est liée à la conscience de « faire Nation ». Un peuple avec son histoire, sa civilisation, sur un territoire donné, va se doter au cours de l’Histoire des normes juridiques réglant son fonctionnement, c’est l’essence même de la démocratie (démos, le peuple et cratos, le pouvoir). Le peuple est donc le souverain et il choisit ses représentants, qui ne sont que ses représentants.

Le schéma ci-après présente cette hiérarchie des normes.

Hierarchie des Normes

La légalité constitutionnelle de la loi est décidée par le Conseil constitutionnel[i], sur saisine du Président, du Gouvernement, ou de 60 députés ou sénateurs, ou à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée lors d’une instance juridictionnelle. Le juge administratif est le juge de la légalité des actes et textes réglementaires (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel, Conseil d’État).

L’autorité judiciaire est aussi pourvoyeuse de règle de droit.

La jurisprudence faisant suite à l’examen d’instances par le juge fait évoluer le droit et confère, de fait, une activité normative au juge. Il convient de souligner, sur le plan de la démocratie, que les juges ne sont pas élus mais nommés ou promus par le pouvoir exécutif.

Toute cette architecture des normes se traduit par une hiérarchie des autorités, clairement définie et reposant sur une apparente séparation devant conduire à l'équilibre. Dans un régime démocratique, chaque pouvoir doit être équilibré par un contre-pouvoir, car si « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument[ii]». La hiérarchie des autorités de la Ve république est schématisée ci-dessous :

Hierarchie des Autorités
La pratique politique et l’évolution législative et réglementaire traduisent une dérive de l’État de droit

Le Parlement, législateur en perte de vitesse nonobstant le nombre impressionnant de textes votés.

La France est caractérisée par une inflation législative et réglementaire : en 2008[iii] on pouvait compter 10 500 lois et 127 000 décrets. En 2013, leur nombre atteignait respectivement 11 500 et 280 000, en constante augmentation !

Les règles changent chaque jour et les textes sont de plus en plus mal rédigés, peu clairs. Le principe de « nul n’est censé ignorer la loi » peut prêter à sourire. En fait, une des caractéristiques des régimes totalitaires est de pouvoir jouer sur l’ignorance du public pour toujours trouver une infraction caractérisée que l’intéressé ne soupçonnait même pas : le régime peut ainsi à tout moment prendre n’importe quel quidam en défaut. Avec un tel foisonnement de textes, même les juristes doivent se spécialiser dans des domaines de plus en plus restreints ou découvrir les textes à l’occasion d’un dossier à traiter.

Cacher les dispositions opposables au milieu du nombre, est un procédé beaucoup plus subtil et efficace que les gros sabots Teutons des années 30 qui pratiquaient les « décrets cachés » connus de la seule police, mais opposables aux citoyens, rapportés par le philologue Victor Klemperer dans son célèbre ouvrage « LTI, la langue du IIIe Reich ».

Le rôle du Parlement a été dévitalisé par l’évolution récente introduite par diverses modifications constitutionnelles.

La Constitution n’a été modifiée que cinq fois entre 1958 et 1992 pour des motifs divers, en particulier en 1962 pour l’élection du président au suffrage universel direct (cette réforme a soulevé des débats très vifs à l’époque). Cette stabilité s’est achevée avec l’adoption (de justesse) par référendum du traité de Maastricht en 1992. Entre 1992 et 2008, la Constitution a été modifiée dix-neuf fois, pour intégrer des dispositions des différents traités européens (ce qui tend à prouver que le droit européen supplante même la Constitution, ce qui est une erreur juridique, récemment mise en avant par la Cour constitutionnelle allemande) ou pour ajouter des dispositions sociétales (principe de précaution, abolition de la peine de mort, institution du Défenseur des droits...) ou institutionnelles (quinquennat, information du parlement en cas d’intervention des forces armées, référendum d’initiative partagée, QPC).

Par conséquent, la Ve République d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle du général De Gaulle, qui, outre le texte, avait mis en œuvre une pratique totalement abandonnée par ses successeurs, en particulier François Mitterrand et Jacques Chirac qui, déjugés par les électeurs, n’ont pas démissionné quand leur parti a perdu les élections et ont poursuivi leur mandat en « cohabitation », contrairement à la pratique gaullienne. Pire, Jacques Chirac a totalement perverti l’esprit de la Ve en instaurant le quinquennat et les élections législatives dès la fin des présidentielles, assurant le président nouvellement élu, par effet d’entraînement, d’une majorité pendant toute la durée de son mandat de cinq ans. Malgré cela, Emmanuel Macron n’a pas obtenu de majorité absolue suite aux élections de 2022, marquant ainsi la fragilité de sa légitimité. La Constitution initiale instaurait un équilibre des pouvoirs entre les pouvoirs législatif et exécutif, certes au bénéfice de ce dernier : c’était le souhait du général de Gaulle (discours de Bayeux) mis en œuvre par Michel Debré, en réaction au délétère « régime des partis » des républiques précédentes.

La réforme Chirac a profondément altéré la Constitution et transformé le Parlement en chambre d’enregistrement à la botte du président (il y a navette entre le Sénat et l’Assemblée nationale pour le vote des lois, mais l’Assemblée a le dernier mot, en cas de désaccord des deux chambres). Le général De Gaulle était très opposé à une telle réforme : « Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère (...) de sa fonction de chef d'État » (allocution du 31 janvier 1954). Or on le constate aujourd’hui dans les faits, le président de la République est devenu, avant tout, un chef de parti.

Un Parlement peu représentatif du peuple.

Il convient de se pencher maintenant sur la situation spécifique actuelle, en particulier sur la représentativité réelle de l’Assemblée nationale, sans entrer dans des considérations de statistiques sociologiques des élus en regard de la population.

Par exemple, lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le parti présidentiel LaREM, avait obtenu 306 sièges pour 43,06 % des suffrages exprimés[iv] sur un total de 577 députés. Cette situation inique est la conséquence d’un système électoral (scrutin majoritaire à deux tours) visant à dégager une majorité franche, conjuguée au retour du « régime des partis » et des petits arrangements politiciens de 2e tour qui vont avec.

En 2022[v], on relève les mêmes biais, repris dans le tableau ci-dessous :

Parti

% inscrits

%exprimés

sièges

NUPES

13,49

31,6

127

Renaissance (ex-REM)

16,47

38,57

244

LR

2,98

6,98

61

RN

7,39

17,3

89

Si l’on rapporte le nombre d’élus au pourcentage de voix obtenues des électeurs inscrits (nombre inférieur aux citoyens en âge de voter), on ne peut que constater la faible représentativité des élus, certains d’entre eux n’étant élu qu’à la majorité relative, au second tour, avec des taux d’abstention supérieurs à 50 %. On constate aussi que le nombre de sièges est plus que proportionnel aux suffrages exprimés.

Ce système électoral, qui était cohérent avec la lettre et l’esprit de la Constitution gaulliste initiale, aboutit aujourd’hui à une démocratie représentative qui n’en a plus que le nom et dont on serait en droit de contester la légitimité. C’est probablement une des causes de l’abstention de plus en plus massive (pour ces législatives de 2017 : 51,3 % au premier tour et 57,34 % au second[vi], en 2022, on constate encore un taux d’abstention de 53,77 % au second tour[vii]) et de l’épisode « Gilets jaunes » avec la demande de RIC (référendum d’initiative citoyenne). Il n'y a plus eu de référendum depuis 2005 et le vote des Français a été annulé par le vote du Parlement réuni en congrès à Versailles à l’initiative du président Sarkozy.

De plus, les représentants de la Nation sont élus sur des discours qui s’avèrent le plus souvent, des promesses creuses, « qui n’engagent que ceux qui les reçoivent » avait cyniquement déclaré un homme politique. Le pire, c’est que cette déclaration est juridiquement exacte : en effet, l’article 27 de la Constitution dispose que « tout mandat impératif est nul », ce qui signifie que les engagements avant l’élection ne sont que des paroles qui n’engagent aucunement l’élu, sa sanction éventuelle étant lors de l’élection suivante (entre-temps, les électeurs auront oublié et les médias feront le reste).

L’opposition semble tétanisée et comme le disait le socialiste André Laignel : « vous avez juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires ». C’est cynique et insultant, mais vrai dans les faits.

Le système électoral donne donc théoriquement une majorité écrasante au parti présidentiel, or dans la pratique actuelle ses députés n’ont pas le droit de s’exprimer en dehors des consignes strictes du parti, en témoignent un certain nombre de démissions ou d’exclusions (17 lors de la précédente législature, dont les plus célèbres : Agnès Thill, Joachim Son-Forget ou encore, Martine Wonner), situation aussi en vigueur dans les autres groupes.  Ces consignes pourraient être considérées comme contraires à la Constitution, selon les dispositions de l’article 27 précité qui interdit le mandat impératif et ajoute que « le droit de vote des membres du Parlement est personnel ».

Dans la configuration actuelle, les Français élisent un président et sa majorité pour cinq ans, avec en pratique pour celui-ci liberté totale de gouverner comme il l'entend sans avoir de comptes à rendre, jusqu'à l'élection suivante. On comprend pourquoi le candidat Macron avait déclaré en 2017 : « mais on se fout des programmes ! ». Et l’élection de 2022 a été conduite sans véritable campagne électorale, l’idée maîtresse étant de « faire barrage »…

Un parlement godillot souvent contourné : l’oubli de sa consultation, l’état d’urgence permanent et la pratique des ordonnances

Le président a envoyé en 2022 des forces armées en opérations extérieures pour soutenir l’Ukraine, depuis la Roumanie et les pays baltes. Or, l’article 35 de la Constitution exige un vote du Parlement après quatre mois de déploiement : un tel vote n’a jamais eu lieu.

Le projet de loi de finances rectificative de la sécurité sociale, portant le report de l’âge légal de la retraite, a été finalement adopté sans vote grâce à la 11e utilisation consécutive de l’article 49-3 de la Constitution par le gouvernement Borne, contre la volonté manifeste de la population française : une motion de censure transpartisane visant à faire tomber le gouvernement a échoué à 9 voix près, le 20 mars 2023.

L’épidémie de Covid-19 a déjà été l’occasion pour le pouvoir de contourner l’article 16 de la Constitution prévu pour gérer une situation exceptionnelle pendant une durée limitée, pour au contraire, se faire législateur et modifier le droit permanent. Il s’en est suivi une courte loi organique d’un seul article et une loi d’habilitation générale par le Parlement pour autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnance (pratique déjà appliquée largement depuis le début du mandat alors en cours). Le gouvernement a pris quarante-huit ordonnances modifiant le droit actuel, ainsi que de nombreux décrets et arrêtés, qui ont notamment modifié le Code de la santé publique et introduit des dispositions permanentes. Le gouvernement avait déjà publié 68 ordonnances en 2017 et 28 en 2018[viii].

La création de la notion d’état d’urgence sanitaire a instauré un nouvel état d’exception intégré dans le droit interne, laissée à l'initiative de l'exécutif, fortement attentatoire aux libertés publiques, néanmoins validé par le Conseil constitutionnel.

L’avantage de ce procédé par rapport à l’article 16 est sa discrétion et l’introduction subreptice dans le droit positif, de mesures de contrôle social strict à caractère non plus temporaire, mais permanent.

Ladite loi d’habilitation[ix] est un véritable chèque en blanc laissant une grande latitude au gouvernement pour opérer dans le domaine législatif et par suite, le nouveau système en place s’inscrit dans la durée. Même si la loi d’habilitation fixe une durée limitée (renouvelable par la loi, ce qui a déjà été fait une fois) pour cet état d’urgence sanitaire, la disposition existe à titre permanent et le gouvernement peut la mettre en œuvre à son initiative, par décret, pour une durée d'un mois (prolongation par la loi).

Le juge absent ou complaisant.

Le Conseil constitutionnel a rendu un avis conforme[x] sur la loi organique d’urgence sanitaire[xi] qui comporte un article unique « Afin de faire face aux conséquences de l'épidémie du virus Covid-19, les délais mentionnés aux articles 23-4, 23-5 et 23-10 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont suspendus jusqu'au 30 juin 2020.
La présente loi entrera en vigueur immédiatement et sera exécutée comme loi de l'État »
.

Ces dispositions concernent les délais de saisine des différentes cours suprêmes (Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d’État) pour des questions de libertés publiques à l’occasion d’instances.

La loi d’habilitation n° 2020-290 n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel, mais le projet de loi autorisant la prolongation de l’état d’urgence sanitaire a, lui, été présenté et partiellement validé par le CC[xii].

Différentes décisions ou décrets gouvernementaux pris à l’occasion de la crise sanitaire ont été déférés devant le Conseil d’État qui est le juge des actes réglementaires, en vertu de la procédure du référé liberté prévu par le Code de justice administrative[xiii] qui dispose que « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Le Conseil d’État a rejeté presque tous les recours, à l’exception notable de celui de l’office national de l’immigration et de l’intégration enjoignant au ministre de l’Intérieur de rétablir l’enregistrement des demandes d’asile.

Il a rejeté la requête du maire de Sceaux qui contestait l’ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait suspendu, à la demande de la Ligue des droits de l’homme, l’exécution de l’arrêté du maire de Sceaux en date du 6 avril 2020 ayant subordonné au port d’un masque les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans.

Il a aussi rejeté les requêtes visant au dépistage systématique au Covid des résidents en EHPAD ou leur accès aux soins, ainsi que la demande de levée de la limitation de prescription de l’hydroxychloroquine aux seuls cas avancés ou les plus graves de Covid-19 pour autoriser la liberté de prescription médicale des médecins (référé rejeté mais recours au fond en attente de jugement).

Et pendant ce temps-là…

Le Parlement qui manifestement n’avait que cela à faire, a adopté, en pleine crise sanitaire, la proposition de loi Avia[xiv], « contre la haine sur internet », qui privatise et officialise la censure, sans l’intervention d’un juge, sur des bases non juridiques (qu’est-ce que la haine ?) dans des conditions dignes d’une dictature. Ce point mérite une analyse spécifique et il sera intéressant d’en suivre les conséquences.

La France (ou plutôt, « la République »), déjà à la 34e place en 2020[xv] (32e dans le classement précédent) ne brille pas dans le classement de Reporters sans frontières qui apporte la précision suivante : « L’indépendance éditoriale des médias n’est pas assez assurée pour des raisons de détention capitalistique, de conflits d’intérêts qui sont plus grands qu’ailleurs, les groupes de médias étant de plus en plus détenus par des gens qui ont des intérêts extérieurs et peuvent, le cas échéant, utiliser ces médias dans une logique d'influence.». Étonnant, pour le pays des Droits de l’homme.

Enfin, le gouvernement, à l’occasion du déconfinement, a publié un décret surréaliste[xvi] qui interdit dans tous les sens et introduit dans le droit positif la notion de « gestes barrières », comme par exemple éternuer « dans son coude », se toucher le visage : cela veut dire que, ces dispositions étant de nature réglementaire, leur non-respect peut conduire à être verbalisé à l’initiative d’un officier de police ou d’un maire. Alors que la période de confinement a vu des policiers ou gendarmes se prendre pour des juges[xvii] en interprétant les textes pour distribuer des amendes, on peut s’attendre à des situations bizarres et préoccupantes.

Bien plus, le ministère de l’éducation nationale a édicté une « fiche » à l’intention des enseignants, qui est un véritable appel à la délation si des enfants émettent des avis défavorables à l’action du gouvernement[xviii]. Là il s’agit de « droit mou » mais l’intention totalitaire est bien là.

Sommes-nous alors encore en démocratie ?

Certes nous sommes en république, mais ce régime n’a jamais été synonyme de démocratie, loin s’en faut, car les contre-pouvoirs sont déficients face à un « président absolu ». En l’espèce, force est de constater que :

  • Les révisions successives de la Constitution ont vidé le rôle et le pouvoir du Parlement qui non seulement ne contrôle plus l’exécutif, mais lui est de facto subordonné, au moins pour l'Assemblée nationale ;
  • La pratique partisane a fermé tout débat ;
  • Le régime a multiplié les lois visant à réduire la liberté d’expression, depuis de nombreuses années (cela a commencé par la loi Pleven en 1972, puis les lois Gayssot, Taubira dans les années 90 et 2000, loi 2018-1202 « fake news »- et maintenant la loi Avia n° 2020-766) ;
  • Le juge est dans la main du gouvernement : l’avancement de carrière des juges dépend entièrement du gouvernement ; les parquets sont organiquement subordonnés au ministre de la justice ; le Conseil constitutionnel, du fait de son mode de nomination et du profil de ses membres actuels, est davantage une structure politique que juridique, en connivence directe avec le pouvoir en place.

Si l’on prend la définition de Montesquieu qui définissait les trois pouvoirs devant s’équilibrer : le législatif, l’exécutif et le judiciaire, on constate aujourd’hui que ces trois pouvoirs sont dans une seule main, celle de l’exécutif et plus particulièrement, du Président. Le réel chef de l’exécutif n’est pas le Premier ministre, simple « collaborateur » comme le disait Nicolas Sarkozy, mais le président de la République, « président absolu », qui du reste, préside le conseil des ministres[xix]. L’avocat Philippe Fabry, dans son ouvrage « le président absolu,  la Ve république contre la démocratie », décrit parfaitement cette situation. Il conclut ainsi : « le temps presse, car l’accumulation des crises politiques, des révoltes populaires, leur accroissement continu en fréquence comme en véhémence, annoncent la montée progressive vers une crise révolutionnaire violente ».

Bref, il y a confusion des trois pouvoirs dans la Ve république et sa pratique actuelle. Mais cette définition, valable au XVIIe siècle, n'est plus entièrement pertinente aujourd’hui, car deux autres pouvoirs sont apparus depuis : il s’agit du pouvoir médiatique et surtout, du pouvoir financier, que l’on peut placer au-dessus de tous les autres. La question du poids de l’Union européenne, en particulier de la Commission dans sa pratique actuelle, est un autre débat.

Il se trouve qu’aujourd’hui la plupart des médias sont en réalité des relais de la communication du gouvernement, on pourrait même les qualifier de médias de propagande, en particulier les chaînes d’information en continu : médias publics et médias privés dont 90 % sont la propriété de neuf oligarques[xx], soutiens déclarés du régime actuel. Ces médias se contentent le plus souvent de recopier les dépêches de l’AFP, organisme public relevant du gouvernement et curieusement, dirigé par un préfet.

La France, exception notable parmi ses partenaires européens, est aujourd’hui un régime autoritaire, une proto-démocratie, ou si l’on veut, une démocratie « Canada Dry ». Le paradoxe de ce régime autoritaire est sa réelle faiblesse intrinsèque alors que les décideurs politiques se réfugient derrière divers comités Théodules, d’experts qui parlent au nom de la « science », et abandonne la pratique du référendum qui est pourtant un gage de la démocratie, car le souverain n’est autre que le peuple, même dans la Constitution de 1958.

Notes

[i]Défini au Titre VII (articles 57 à 63 de la Constitution. 9 membres nommés pour 9 ans non renouvelables, 3 par le PR, 3 par le Pdt AN, 3 par le Pdt du Sénat + les anciens PR)

[ii]Lord Acton, philosophe et historien britannique du XIXe siècle

[iii]http://www.politique.net/2008061802-les-lois-en-france.htm

[iv]Source : chiffres du Ministère de l’intérieur https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2017/(path)/legislatives-2017/FE.html

[v] https://www.vie-publique.fr/en-bref/285441-legislatives-2022-resultats-definitifs-et-composition-de-lassemblee

[vi]Source : chiffres du Ministère de l’intérieur https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2017/(path)/legislatives-2017/FE.html

[vii] https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2022/(path)/legislatives-2022/FE.html

[viii] https://www.vie-publique.fr/en-bref/23812-lactivite-legislative-et-la-production-de-normes-en-2018

[ix] Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746313&categorieLien=id

[x]Décision DC 2020-799 https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2020799dc/2020799dc_contributions.pdf

[xi] Loi n° 2020-365 du 30 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19

[xii] Décision n° 2020-800/DC du 11 mai 2020  https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020800DC.htm

[xiii] Art. L. 521-2

[xiv] Loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042031970

[xv]https://rsf.org/fr/classement

[xvi]Décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire

[xvii]L’agent des forces de l’ordre n’a pas à interpréter les textes mais à les appliquer strictement. Ainsi il ne lui appartient pas de vérifier le contenu du caddy et d’apprécier le caractère de « première nécessité » des produits qu’il contient, mais que la personne a bien son attestation à la bonne date, que la bonne case est cochée et que son identité est justifiée. Seul le juge peut donner son interprétation de la volonté du législateur ou du pouvoir réglementaire

[xviii]https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Reprise_deconfinement_Mai2020/69/3/Fiche-Ecouter-favoriser-parole-des-eleves_1280693.pdf

[xix] Article 9 de la Constitution de 1958

[xx]https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA

https://blogs.mediapart.fr/donbishopsam/blog/300516/qui-detient-les-medias-prives-en-france

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