HISTOIRE - Octobre 1973 : Philippe de Gaulle, le quinquennat et Georges Pompidou

Auteur(s)
Alain Tranchant pour FranceSoir
Publié le 23 octobre 2020 - 13:27
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tribune : En cette "année De Gaulle", alors que les auteurs de différents projets semblent méconnaître qu'il ne faut toucher que d'une main tremblante à nos institutions, le moment est venu de mettre sur la table un sujet majeur : la durée du mandat du Président de la République, clef de voûte de la Constitution du 4 octobre 1958.

 

En 1973, Georges Pompidou tente d'instaurer le quinquennat. Plutôt que de recourir au référendum, par application de l'article 11 de la Constitution, voie royale de la révision constitutionnelle pour le Général de Gaulle, son successeur entend utiliser la voie parlementaire, celle de l'article 89, conçue pour les révisions de moindre importance, comme le régime des sessions parlementaires.

 

L'opposition d'un certain nombre de gaullistes attachés au maintien des institutions de la Vème République, dans leur esprit et dans leur lettre, et la quasi-impossibilité d'atteindre la majorité des 3/5ème des Députés et Sénateurs réunis en Congrès, amènent finalement le Président Pompidou à renoncer à son projet de réduction à 5 ans du mandat présidentiel.

 

Cohabitant harmonieusement au moins sur ce sujet, Jacques Chirac, Président de la République, et Lionel Jospin, Premier Ministre, trouvent un terrain d'entente avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, l'élection présidentielle devant précéder les élections législatives. Le quinquennat est adopté par référendum le 24 septembre 2000, avec 73% des suffrages exprimés et un taux d'abstention record de 70% des électeurs inscrits. Il entre en application lors de l'élection présidentielle de 2002.

 

A l'usage, il apparaît clairement que les craintes émises en 1973 sur un changement de régime n'étaient pas sans fondement.

                                                                                                    **

"DIX ANS, C'EST BIEN LE MOINS !"

 

Nous sommes le 14 avril 1965. Alain Peyrefitte est dans le bureau du Général de Gaulle au Palais de l'Elysée.

"Vous avez vu ça ? C'est scandaleux ! dit le Général en montrant à son Ministre un petit livre qui vient de paraître : les "Carnets politiques de la guerre d'Algérie", signés de Robert Buron, un des négociateurs des accords d'Evian, scellant en 1962 le terme d'un conflit qui provoqua le retour du Général de Gaulle au pouvoir.

 

"Emporté par une de ces colères froides qu'il contrôlait fort bien", le Général s'exclame : "un ministre participe à une négociation pour le compte du gouvernement, au nom de la France, et, deux ou trois ans après, il livre au public des secrets d'Etat sur une mission qui lui a été confiée ! C'est honteux !"

 

Alain Peyrefitte lui répond : "Aux Affaires étrangères, nous sommes tenus de garder trente ans les secrets auxquels nous avons eu part".

 

"Trente ans, réplique De Gaulle, je n'en demande pas tant ; l'Histoire s'accélère ... Mais dix ans, c'est bien le moins !"

 

Alain Peyrefitte aura attendu trente ans pour transcrire, en 1999, dans "C'était de Gaulle", ses "plus de trois cents conversations" avec le Général, "sans compter davantage encore de conseils de gouvernement", entre 1959 et 1969.

 

A PARTIR DU MOMENT OU JE FAIS PORTER OU POSTER UNE LETTRE, ELLE NE M'APPARTIENT PLUS

 

Hasard de mes lectures et de mes recherches, le 21 avril 1965, soit une semaine plus tard, c'est Jacques Foccart qui se trouve, comme chaque soir, dans le bureau du Général.

 

Dans son ouvrage "Tous les soirs avec de Gaulle - Journal de l'Elysée 1965 - 1967", Jacques Foccart relate les conditions dans lesquelles il est amené à informer le Général que "des manuscrits des Mémoires et des lettres manuscrites de lui, adressées à Francisque Gay, sont en vente chez un antiquaire au 27 de la rue Bonaparte".

 

De Gaulle réagit vivement : "Manuscrits ? Ce n'est pas possible. Voyons, mes manuscrits étaient des vrais manuscrits, entièrement écrits à la main ; ils sont à la Bibliothèque nationale, à laquelle je les ai donnés, et personne ne pourra y toucher. Alors, bien sûr, j'ai fait taper les textes".

 

Il donne ensuite ses instructions à Jacques Foccart : "Pour ce qui est des Mémoires, ce n'est donc pas normal. Il faut poursuivre votre enquête et savoir comment cette affaire est arrivée. Voyez cela de près et tenez-moi au courant. En ce qui concerne les lettres, c'est tout à fait différent. Lorsque j'écris une lettre, à partir du moment où je la mets dans une enveloppe, où je la fais porter ou poster, elle ne m'appartient plus, elle appartient au destinataire, et je n'y peux plus rien".

 

Je n'aurai pas attendu dix ans, ni même trente ans, mais près d'un demi-siècle, pour écrire l'histoire de cette lettre qui m'a été adressée par le fils du Général de Gaulle, et qui a été à deux doigts de provoquer une affaire d'Etat.

 

LA DISCIPLINE DE PARTI, LA PLUS DANGEREUSE, AU-DESSUS DE LA MORALE POLITIQUE

 

Octobre 1973 : c'est la date à laquelle le projet du Président Pompidou, tendant à ramener la durée du mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, vient en discussion devant l'Assemblée Nationale.

 

"Etrange débat, en vérité, dira Christian Fouchet le 16 octobre au Palais Bourbon, que celui où l'on voit le parti qui se dit et se veut fidèle à la pensée gaulliste, prêt, dans sa grande majorité, à voter le projet alors que nombre de ses membres ne comprennent pas les raisons avouées de sa présentation, n'en discernent pas les raisons inavouées, mais font passer la discipline de parti, la plus dangereuse, au-dessus de l'instinct de morale politique qui leur dit qu'ils ont tort".

 

Quelques semaines auparavant, le 27 septembre, Georges Pompidou avait conclu sa conférence de presse en évoquant le Général de Gaulle. "Quels que soient la grandeur du personnage et le rôle qu'il a joué, l'horloge mondiale ne s'est pas arrêtée en avril 1969, les évènements courent (...) et j'essaye d'agir de mon mieux, de réagir de mon mieux (...) et je ne m'abrite pas derrière le nom du Général de Gaulle. (...) Il faut bien qu'il y ait une citation. Elle sera du cardinal de Retz : "Les grands hommes sont de grandes raisons pour les petits génies".

 

Ceci, pour expliquer cela.

 

Dans le courant du mois de septembre, j'adresse au Contre Amiral Philippe de Gaulle, en poste à Brest, et avec qui j'ai déjà correspondu, l'article que j'ai donné au journal "Le Monde", avec pour titre : "Le Général de Gaulle, Michel Debré et la durée du mandat présidentiel". 

 

Cette Tribune montre que la pensée des fondateurs de la Vème République est totalement incompatible avec la réduction du mandat présidentiel à cinq ans. A la demande de Pierre Lefranc, qui en est le Président, je la signe en ma qualité de membre de l'Association nationale d'action pour la fidélité au Général de Gaulle. Le texte est publié dans l'édition du 10 octobre 1973.

 

LE QUINQUENNAT, CONTRE LA Vème REPUBLIQUE

 

Philippe de Gaulle me répond le 11 octobre par une lettre manuscrite de deux pages. Alors que je demeure à Nantes, l'enveloppe porte l'adresse : 44 000 Nancy. Après être passé par Nancy -le cachet de la Poste en fait foi- le courrier finit par me parvenir à Nantes, la rue de mon domicile, portant le nom d'une résistante nantaise, n'existant pas à Nancy ...

 

Quand je l'ouvre et en prends connaissance, je frémis à l'idée du tintamarre qui se serait produit si ce courrier avait été perdu et, au bout de son périple, ouvert par les PTT, comme on les appelait alors.

 

En voici la teneur.

 

CONTRE AMIRAL DE GAULLE commandant le groupe naval d'essais et de mesures

 

29240 BREST NAVAL, le 11 octobre 1973

 

Monsieur,

 

Je vous remercie de votre aimable lettre et des deux textes (dont l'un a été publié dans "Le Monde" d'hier) qui l'accompagnaient, et que j'ai lus avec d'autant plus d'intérêt que j'y ai, en gros, retrouvé ma propre pensée.

 

C'est dire que je ne suis pas du tout heureux du projet de réduction à 5 ans du mandat présidentiel (et que, sans "faire de politique", je ne m'en suis pas caché en privé auprès des gens de "la majorité"), non seulement parce que cette réduction changerait la nature même de la fonction, mais encore et surtout parce que l'intervention du Parlement dans les attributions présidentielles serait un dangereux précédent.

 

Le réflexe historique de toutes les Assemblées parlementaires du monde va toujours dans le sens d'un amoindrissement de l'Exécutif, et il serait certain que les nôtres ayant effectué un premier grignotage (qui amènerait à plus ou moins long terme à la quasi-coïncidence des mandat présidentiels et parlementaires, c'est-à-dire au "régime présidentiel" avec pour corollaire la disparition de jure et de facto des clauses de dissolution de l'Assemblée Nationale) ne s'arrêteraient sûrement pas en si bon chemin !

 

Je n'ai pas non plus été heureux, je l'avoue de la manière inamicale dont le Président de la République a gratuitement (et maladroitement) daubé tous les malheureux (dont je fais partie congénitalement) qui ont trouvé qu'un "grand homme" pouvait leur fournir de "grandes raisons" (1). Il est cependant vrai que si "l'homme" est suffisamment grand, Louis XIV par exemple, ces raisons peuvent aussi fournir des "minus" comme Colbert, Vauban, Racine, Molière, Le Nain frères, Lulli etc...

 

Bref, sans critiquer systématiquement le Pouvoir que je cherche plutôt à aider parce que je reconnais la lourdeur de sa tâche, je ne suis pas toujours sûr de ce que le Général de Gaulle aurait fait dans telles ou telles circonstances, mais on peut être certain qu'il y a des choses qu'il n'aurait pas faites ...telle la réduction à 5 ans du mandat du Président de la République !

 

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

 

Philippe de Gaulle

 

(1) Et c'est aussi inquiétant quant à sa mentalité !

 

A l'automne 1973, Philippe de Gaulle affirme donc sans détour que jamais le Général de Gaulle n'aurait été favorable à la réduction de sept ans à cinq ans de la durée du mandat présidentiel. Et il a sans doute de bonnes raisons pour être aussi affirmatif.

 

CHARLES DE GAULLE : LE QUINQUENNAT ? "JE L'EXCLUS TOTALEMENT"

 

Vingt-six ans plus tard, en septembre 1999, Alain Peyrefitte en apporte la confirmation dans "C'était de Gaulle".

 

La scène se déroule après le Conseil des Ministres du 20 novembre 1963, et le Général se prête "de bonne grâce" à la conversation sur les institutions engagée par Alain Peyrefitte à la suite de la proposition d'Albin Chalandon d'établir "un lien entre l'élection présidentielle et l'élection législative".

 

"Notre Constitution est très bien comme elle est, répond De Gaulle. Il ne faut rien changer à son esprit ni à l'équilibre institutionnel ! Vouloir faire ce qu'on appelle quelquefois un régime présidentiel, ce serait organiser l'anarchie ! Le Président ne pourrait pas dissoudre le Parlement. Le Parlement ne pourrait pas renverser le gouvernement. Le conflit s'installerait entre eux de façon endémique. En Amérique, déjà, ça va couci-couça. En France, ce serait affreux ! On s'enfermerait dans une situation sans issue.

 

"Dans un pays comme le nôtre, étant donné ce que nous sommes, le seul moyen d'en sortir, ce serait un coup d'Etat".

 

Alain Peyrefitte poursuit son questionnement à propos de la durée du mandat présidentiel : "Vous excluez complètement de raccourcir le septennat en quinquennat, comme certains le voudraient, et comme Chalandon le suggère ?"

 

La réponse du Général est catégorique : "Je l'exclus totalement ! Dans l'esprit de ceux qui le proposent, cette coïncidence des mandats ne pourrait avoir lieu qu'à la condition qu'on supprime et la censure et la dissolution" (...)

 

"Le Président est là pour assurer la continuité de l'Etat. C'est sa mission essentielle. Il est la clef de voûte de l'Etat. Si vous lui ôtez ce rôle, le peuple souverain ne pourra plus jouer le sien, celui d'arbitre et de recours. Or, il faut que le Président puisse lui faire jouer ce rôle chaque fois qu'il en éprouve la nécessité, soit par référendum, soit par des élections".

 

MICHEL DEBRE : UN "PRESIDENT TROP VITE PREOCCUPE DE SA REELECTION"

 

Retour à l'automne 1973. Déjeunant en tête à tête avec Georges Pompidou, le 9 octobre, Michel Debré ne lui dit pas autre chose : "Je ne crois pas pouvoir voter le projet de révision constitutionnelle. Je ne fais pas appel au souvenir du Général, en aucune façon, mais le septennat n'est pas simplement le fait de la tradition. On a voulu, en 1958, et on a voulu en 1962, maintenir un long mandat pour assurer l'indépendance des fonctions de chef de l'Etat. A ce titre, le septennat est une pièce de l'édifice constitutionnel qui écarte ce que l'on appelle le "régime présidentiel" et qui pourrait être en France, par une voie détournée, le retour au régime d'Assemblée. Je considère qu'il faut garder une longue durée de mandat. Je l'ai dit à maintes reprises".

 

Dans sa "Note préparatoire à l'entretien avec le Président de la République", datée du 8 octobre 1973, Michel Debré avait écrit au paragraphe : "Pour ce qui concerne la révision constitutionnelle" : "Un mandat plus bref altérera le pouvoir du Président trop vite préoccupé de sa réélection et réduira encore davantage le rôle du gouvernement. Voilà qui n'est bon ni pour la présidence, ni pour la République".

 

Une vision prémonitoire ...et qui se vérifie, à nouveau, en 2020 !

                                                                                                               **

REVENIR A LA ...Vème REPUBLIQUE

 

Dans les derniers temps de sa présidence, en novembre 1967, le Général de Gaulle avait déclaré en conférence de presse : "Un jour viendra, sans doute, où notre Constitution, avec tout ce qu'elle implique, sera devenue comme notre seconde nature".

 

Tel n'est toujours pas le cas !

 

La Vème République implique le septennat, et la durée du mandat présidentiel a été ramenée à cinq ans.

 

La Vème République implique le référendum, question de confiance posée au peuple par le Président de la République, et il est clairement tombé en désuétude.

 

La Vème République implique le scrutin majoritaire pour l'élection des Députés, et il est envisagé d'y porter atteinte par ce que le Général de Gaulle appelait déjà, sous la IVème République, "un truquage" (une partie de l'Assemblée Nationale étant élue à la représentation proportionnelle).

 

Ce n'est pas d'une VIème République, qui ne serait que le rétablissement du régime des partis, dont la France a aujourd'hui besoin, mais d'un retour à la ...Vème République, dans sa version originelle, celle d'un régime dans lequel "le Président de la République, élu pour sept ans au suffrage universel, et qui n'est l'homme ni d'un programme, ni d'un parti, incarne la volonté et la continuité nationales" (Christian Fouchet, Assemblée Nationale, 16 octobre 1973).

 

Alain Tranchant est un ancien Délégué départemental de mouvements gaullistes, Président fondateur de l'Association pour un référendum sur la loi électorale

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