Les médias et les Français : « Je ne t’aime plus…moi non plus ! » (2/2)

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Yan Labêche pour FranceSoir
Publié le 23 octobre 2020 - 16:37
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YAN labeche
Crédits
@Jean-Louis Carli
Yan Labêche
@Jean-Louis Carli

Retrouvez ici la partie 1 

Les « vrais » débats sont de moins en moins possibles dans les médias, souvent tronqués par des réseaux sociaux juges et parties. Les clics augmentent si votre sujet ou vos invités sont clivants, poussant les « communautés » à se battre et à faire du sujet un trend sur Twitter. Avec la reproduction sociale des journalistes et la fin de l’intelligence collective, le frein à la pluralité d’opinions s’amenuise comme peau de chagrin. Dans le même temps, bien que présente dans plusieurs pays européens, la France continue d’être réticente à toute forme de « contre-pouvoir » des médias, notamment une commission de déontologie des médias.

 

Dans le métro, les yeux sont rivés sur les téléphones. Le fil d’actualité pousse les lecteurs à une information parcellaire. En effet, comme le rappelle l’excellent documentaire « Derrière nos écrans de fumée » sur Netflix, on ne partage et on ne reçoit que des informations venant de sa communauté, laissant peu de place à la diversité ou à des opinions diverses. Ce phénomène se retrouve dans les rédactions, qui n’échappent pas à cette conformation des opinions. Les journalistes de terrain n’arrivent plus à faire remonter leurs informations, les consignes arrivant de ce chef, qui sait ce qu’il faut pour le public. Cette douce dérive conduit à se demander comment à terme, le public peut avoir une emprise sur des médias, dont la crédibilité risque fort de se détériorer un peu plus dans l’avenir, sans une réforme sérieuse.

 

Un souci de reproduction sociale

 

Sophie* doit aller à Sevran pour un reportage. Face à elle, une nuée de remarques : « Et Cavada et ses fausses barbes ? », « Et M6 et son enquête exclusive bidon ? », et « CNews qui accueille Zemmour condamné pour racisme ? ». La mission en devient presque impossible tant les erreurs journalistiques de ces dernières années ont cristallisé un sentiment de distanciation avec les médias. Ce sentiment vécu par les « petites » gens n’en est que plus vrai pour le mouvement des gilets jaunes, que les médias n’ont pas su pressentir. « J’ai indiqué une fois sur un plateau qu’aux postes de responsabilité, on est dirigé par un mâle blanc, de plus de 45 ans et dont les parents gagnaient plus de 3500 euros par mois, explique Olivier Goujon, auteur de « Ces cons de journalistes » aux Editions Max Milo*. On me ressort que la profession se féminise ou devient diverse dans ses origines. Mais, si 57% des journalistes sont femmes, seulement 27% des responsables sont de sexe féminin. Cela a des conséquences dramatiques au niveau du choix des sujets, etc. »

Ce phénomène d’une « caste », entretenue par les écoles de journalisme, creuse l’écart de compréhension avec le « peuple ». « Prenons l’exemple de la baisse de 5 euros des APL pour les étudiants. Si j’avais eu à écrire, j’aurais pu exprimer, par construction ou conviction morale, que ce n’était pas normal alors qu’on supprimait l’ISF en même temps. Mais, je n’ai jamais vécu dans ma chair, la différence que peut faire 5 euros en plus ou en moins par mois. Or, je sais que pour de nombreuses personnes, cela a un sens. On a besoin de diversité dans le journalisme pour comprendre ce genre de phénomène. C’est le même problème pour le racisme ou le handicap. Il faut que d’autres voix puissent s’exprimer.»

 

A mort l’intelligence collective !

 

Dans la rédaction d’une chaine d’info en continu, le débat est vif et Anne* est atterrée. Alors qu’un évènement à l’autre bout du globe devrait être au cœur de toutes les attentions, les journalistes sont concentrés sur la dernière futilité d’une téléréalité, sous le regard enjoué de leur directeur, relayé en G.O.

Le mythe des journalistes additionnant leurs intelligences pour réfléchir ensemble à un sujet est bien loin. A quelques exceptions près, elles ne sont plus monnaie courante. Le pouvoir de décision vient d’en haut. Le rédacteur en chef ne consulte plus. Il sait ! Il sait ce qui est bon pour l’info ou le lectorat. Aux oubliettes le pouvoir de proposition de la rédaction ! « Il s’agit de la disparition de l’intelligence collective, précise Olivier Goujon. L’éclatement des rédactions et le recours aux pigistes (56% de l’information provient d’eux) a annihilé les conférences de rédaction. La rédaction en chef a l’impression de tout savoir, alors que les enquêtes montrent que le public attend autre chose. Ils sont souvent couards et pleutres. Ils répondent aux désirs de leurs actionnaires. Pendant la présidentielle par exemple, il n’y a pas d’instructions venant d’en haut. Ils partent tous à la soupe ! »

 

« Name and Shame »

 

Le plus gros ratage des médias ces derniers temps : la fausse arrestation de Dupont de Ligonnes en octobre 2019. Une dépêche AFP, une reprise par le Parisien et les médias suivent l’info comme une nuée d’abeilles sur un pot de miel. « C’était plus important de sortir une information, même fausse que de ne pas la sortir, explique Olivier Goujon. C’est n’importe quoi ! »

Or, si le journaliste reste un élément essentiel de la démocratie, le grand reporter alerte sur la difficulté d’informer aujourd’hui. « On fait reposer sur une profession de plus en plus précaire, une information de plus en plus difficile à aller chercher. On leur demande en plus de l’éthique. C’est impossible. Ca crée une crise démocratique. Quand une directrice de la communication d’un candidat appelle un pigiste, ça n’a pas le même poids qu’avec un journaliste installé dans une rédaction. La réduction du personnel, le « tout édito » et la fin du reportage sont autant de coups portés à la démocratie. Si on enlève les hyper précaires, les journalistes d’entreprise et autres, la démocratie repose finalement sur 4 à 6000 personnes qui font l’opinion en France. Ce n’est clairement pas assez ! »

Les Insoumis avait proposé un conseil de déontologie des médias. Leur pétition a réuni près de 200 000 signataires. Leur proposition a vite été balayée sous le tapis. Pourtant, comme le rappelle Olivier Goujon, « il faut rendre ce métier crédible à nouveau, renouer avec le terrain. Il faut aussi retrouver de la vérité. N’importe qui peut dire n’importe quoi sur les plateaux télé ! Je suis favorable à une commission déontologique des médias. Ca existe dans de nombreux pays européens. En Belgique, ca fonctionne très bien. Elle n’a pas de pouvoir pénal mais elle peut au moins dénoncer et publiquement montrer du doigt les gens qui ne respectent pas la véracité des informations. La pression médiatique est plus importante et du coup, ils font attention à ce qu’ils disent ! C’est le pouvoir d’affichage en Belgique.» Une sorte de « Name and Shame » qui aurait la particularité de corriger les travers de certains journalistes qui ruinent l’ensemble de la profession. 

 

* les prénoms ont été modifiés

*Olivier Goujon, Ces cons de journalistes, Editions Max Milo, 18 €

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