Pourquoi nous sommes devenus complotistes

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Christophe Lemardelé pour FranceSoir
Publié le 09 novembre 2020 - 15:09
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Tribune : Depuis le début de la crise sanitaire, on entend la répétition de deux termes, plus encore qu’avant cette crise : populisme et complotisme. Bien des positionnements intellectuels, politiques et de journalistes – même de scientifiques et de médecins – ont été déterminés par cette volonté de faire rempart au populisme et au complotisme qui l’alimenterait, au point même de faire du professeur Raoult une sorte de Donald Trump des sciences médicales. On voit que cette opposition est si grossière qu’elle est tout autant fantasmée que réelle.

Or, complotiste, tout démocrate devrait l’être dans certaines limites. L’attentat du 11 septembre 2001 a changé notre compréhension du monde. Auparavant, l’Occident avait une vision de l’histoire très hégélienne, verticale, progressiste, avec une fin heureuse et à venir. Après la chute du Mur de Berlin, il y eut une décennie indécise, lors de laquelle on ne savait plus dans quelle histoire nous étions. L’attentat terrible et inédit qui survint au tout début de ce siècle nous a plongés dans une histoire que nous n’avions pas vu venir. Et c’est la réponse anglo-américaine à cet événement qui a donné aux « complotistes » des raisons fondées de douter des informations officielles.

Du temps de la guerre froide, tout le monde savait que la partie immergée de l’iceberg n’était pas à voir – moins on en savait, mieux c’était – puisqu’elle opposait essentiellement les services secrets américains et soviétiques. Nous ne sommes plus dans ce temps de guerre larvée entre deux grandes puissances se partageant le monde. En 2002-2003, le président Bush et le premier ministre Blair ont décidé d’une guerre contre l’Irak en mentant délibérément au sujet de liens entre son dictateur et l’organisation terroriste qui avait organisé l’attentat et au sujet d’armes de destruction massive introuvables. Tout était faux et causa le déséquilibre du Moyen-Orient pour une bonne dizaine d’années.

Depuis ce temps-là, les pays occidentaux vivent avec des mensonges d’État. Les services secrets anglo-américains ont travaillé de concert pour annihiler des organisations islamistes, capturant des terroristes présumés, les torturant, procédant à des assassinats ciblés, avec leurs victimes collatérales, par l’utilisation à grande distance de drones, sans que les Nations Unies ne s’émeuvent de l’usage de telles armes technologiques particulièrement déloyales. Les personnes qui ont dénoncé cette dérive occidentale payent cher leur volonté de vivre dans un monde démocratique plus transparent, atténuant une raison d’État broyant les individus.

Je suis devenu plus clairement « complotiste » en voyant le film de Roman Polanski, The Ghost Writer, il y a onze ans. Je découvrais par ce film le scandale de la mort suspecte de David Kelly, expert en armes biologiques qui avait eu la désobligeance de contredire les accusations anglo-américaines envers l’Irak en informant un journaliste de la BBC sur des falsifications ministérielles britanniques. Se suicidant dans des conditions plus qu’étranges, il y avait de quoi faire un très bon thriller politique, ce que fit le réalisateur polonais. Mais quand le film sortit, l’affaire Polanski avait été étrangement relancée par un procureur américain et on ne parlait que de ça dans les médias occidentaux. Quand Julian Assange fut accusé de viol en Suède, il n’était pas compliqué de comprendre que l’instrumentalisation du féminisme pouvait aisément servir la raison d’État. Il reste que les révélations quelque temps plus tard d’Edward Snowden au sujet de l’espionnage généralisé mis en place par les Américains, avec les Britanniques pour alliés privilégiés et indéfectibles, confirmaient tout à fait la thèse du film.

Nous vivons dans ce monde-là et je suis consterné de constater le peu d’intérêt des journalistes français pour le traitement inhumain aux États-Unis du soldat Manning qui révéla les crimes de guerre en Irak à Assange afin d’en informer les populations, de même pour Snowden qui ne fut un héros que d’une ou deux années et qui n’a plus désormais d’avenir qu’en Russie car il ne serait, par exemple, pas en sécurité en France – Assange, en Angleterre, risque toujours l’extradition et est, de toute manière, privé de liberté depuis de trop longues années. Nos pays des droits de l’homme les négligent allègrement et nos « élites » qui crient au populisme et au complotisme détournent les yeux de ces atteintes à la liberté. Désormais, les dissidents, défenseurs de la liberté, tant promus lors de la guerre froide, sont des victimes de l’Occident.

Ce monde de l’indigence journalistique refuse d’informer les citoyens des enjeux réels des crises que nous subissons. Quand le site d’information Mediapart révélait les premières « affaires Sarkozy », la presse mainstream, bousculée par ce retour au journalisme d’investigation, tentait avec les hommes politiques concernés d’en faire une presse de caniveau. Aujourd’hui, pour invalider un travail journalistique approfondi, il suffit de dire « Fake news ». La chasse à l’infox est devenu la nouvelle déontologie journalistique mais elle ne remplace pas le journalisme d’investigation, elle le discrédite. Et au lieu de lutter contre le complotisme, elle le renforce.

Car il est normal et rassurant que nombre de citoyens cherchent, parfois maladroitement, souvent en se trompant et en se montrant trop crédules, des informations fondées, plus en mesure de répondre à leurs interrogations. Quoi qu’il en soit, à être trop incrédule, en niant toute cause d’apparence complotiste, nos « élites » sont devenues paradoxalement crédules au point de se faire les défenseurs de la démocratie et de la liberté d’expression tout en désirant réduire l’une en bridant l’autre.

Avec la crise sanitaire, qui est devenue actuellement la ligne de partage déterminant les bons et les mauvais citoyens, on observe une « élite » scientifique et médicale, politique et journalistique, qui se crispe sur des questions qui auraient parues dérisoires il y a encore un an : le refus d’écouter tous les avis et notamment ceux qui divergent de la ligne choisie, le refus donc du débat et de la démocratie, le refus par exemple de discuter sereinement d’un traitement thérapeutique préventif – hydroxychloroquine est devenu un mot presque tabou, le comble de l’absurde...

A l’heure où l’élection américaine a livré son verdict, qui n’est peut-être pas définitif, cette « élite » se réjouit du candidat élu sans se soucier de la transparence nécessaire en démocratie pour des élections. Un vrai démocrate se soucie avant tout de cela ou alors c’est qu’il s’estime prêt à vivre dans un système politique quelque peu opaque et oligarchique, à remettre son libre arbitre à des autorités officielles qui penseront et décideront pour lui

Christophe Lemardelé, docteur en histoire des religions, chercheur associé au CNRS (UMR 8167 Orient & Méditerranée).

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