Affaire Benalla : la stratégie dangereuse de Macron pour étouffer le scandale

Auteur(s)
Pierre Plottu
Publié le 26 juillet 2018 - 21:38
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Alexandre Benalla (g) au côté d'Emmanuel Macron lors d'un déplacement à Angers en février 2017
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© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP/Archives
La stratégie d'Emmanuel Macron pour étouffer l'affaire Benalla passe par un retournement de l'opinion.
© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP/Archives
Totalement silencieux lorsque l'affaire Benalla a éclaté, Emmanuel Macron sature désormais l'espace médiatique, tout en se gardant bien d'en avoir l'air grâce à la multiplication des canaux. Après quatre jours de faux "off" et autres déclarations semi-publiques, la stratégie du président pour étouffer l'affaire Benalla se précise: il s'agit de retourner l'indignation de l'opinion publique. Une option dangereuse.

"J'assume", "le seul responsable c'est moi et moi seul" mais, en même temps, "je suis fier". Comme à son habitude, Emmanuel Macron a choisi son tempo pour communiquer, jouant avec le feu de l'opinion alors que le scandale Benalla -le plus important de son quinquennat- prenait de l'ampleur. Et si l'amateurisme était la règle aux débuts de l'affaire, il semble que l'Elysée a enfin réussi à se fixer un cadre, un cap et un message à porter pour tenter d'étouffer le dossier Benalla.

Faux "off" cassé volontairement dimanche 22, intervention semi-publique devant ses fidèles destinée à faire le buzz mardi 24, confessions distillées aux journalistes en marge de déplacements officiels mercredi 25 et ce jeudi 26: au silence assourdissant d'Emmanuel Macron qui a suivi la révélation de l'affaire Benalla, mercredi 18, succède la saturation. Mais avec l'air de ne pas y toucher grâce à la multiplication des canaux.

Point d'orgue ce jeudi avec l'interview accordée par Alexandre Benalla au Monde. Un entretien dont on imagine mal qu'il n'ait pas été avalisé par l'Elysée et qui s'est déroulé au domicile du sulfureux Marc Francelet en présence de la communicante Michèle Marchand, dite "Mimi", très proche du couple Macron.

La parole d'Emmanuel Macron est donc désormais partout, tout le temps. Mais pour dire quoi?

Il a fallu dans un premier temps partir de la base et ressouder les troupes pour préparer la contre-attaque. Le tout sans donner l'impression d'obéir aux injonctions des oppositions, qui réclament depuis le début de la polémique une explication du président "devant les Français". C'était le sens du faux "off" cassé par les lieutenants du chef de l'Etat dimanche dernier dont l'objectif, au-delà de la dénonciation presque obligée de faits "inacceptables", était de faire savoir que le président était "très calme" et "hyper déterminé".

Voir- Affaire Benalla: quand la Macronie a perdu pied

Une détermination qu'il a voulu mettre en image en allant prendre la parole inopinément devant les parlementaires LREM et MoDem mardi soir, tout en sachant que les images feraient vite le tour des réseaux sociaux. "S'ils cherchent un responsable, dites-leur, dites-leur chaque jour: vous l'avez devant vous! Le seul responsable de cette affaire c'est moi et moi seul", leur a martelé le président. "Qu’ils viennent (m)e chercher!", a-t-il même défié, manière de rappeler que le chef de l'Etat est constitutionnellement (quasi) intouchable. Une bravade toute macronienne destinée à remettre à leur place les oppositions mais aussi cette presse dont le président se défie.

La presse justement, Emmanuel Macron l'attaque désormais frontalement: l'affaire Benalla ne serait ainsi qu'une "tempête dans un verre d'eau" montée en épingle par les journalistes. Il reproche aux médias d'avoir "dit ces derniers jours beaucoup de bêtises" à propos de son ancien garde du corps, tant sur sa personnalité que sur les avantages liés à sa fonction ou sur la relation qu'entretiennent les deux hommes.

C'est l'amorce de la contre-attaque du président. Après avoir fait paralyser les auditions de la commission des lois, qui devenaient embarrassantes, Emmanuel Macron cible donc désormais les vrais responsables, à ses yeux, de l'affaire: les médias.

Un message qui peut tout à fait porter dans l'opinion, tant les journalistes ont le dos large. La "haine des médias et de ceux qui les animent" n'est-elle pas "juste et saine", comme l'a écrit Jean-Luc Mélenchon? Le mediabashing est devenu à ce point répandu que RSF s'en inquiète dans le titre de son classement de la liberté de la presse 2018 ("la haine du journalisme menace les démocraties").

En s'attaquant aux médias, Emmanuel Macron use ainsi du ressort à succès, mais risqué, de la cabale médiatique.

La cible est donc choisie. Mais cela ne dit rien, ou si peu, du message. Celui-ci est éclairci par la dernière étape en date de la stratégie élyséenne: tenter d'inverser la charge de l'indignation. Il ne faut pas s'y tromper: si la violence, le personnage ou les avantages d'Alexandre Benalla choquent les Français, le vrai scandale, celui qui dit beaucoup de la personnalité du président et de sa vision du pouvoir, c'est bien que l'Elysée ait tenté d'étouffer l'affaire.

"Dès que les faits ont été rendus publics, des mesures ont été prises", a martelé Edouard Philippe lors des questions au gouvernement de mardi. Déclaration désastreuse car c'est justement ce qui est reproché à Emmanuel Macron: que des sanctions n'aient été prises que parce que le scandale a été révélé au grand jour, deux mois et demi après les violences commises par son chargé de mission place de la Contrescarpe.

L'Elysée a beau s'en défendre, c'est sous cet angle qu'est perçue l'absence de retenue effective sur le salaire d'Alexandre Benalla (transformée en retenue sur congés suite à son licenciement). Idem pour cette rétrogradation, si sévère qu'elle lui a par exemple permis de se voir attribuer, début juillet, un très bel appartement de fonction de 80m² au quai Branly (valeur locative: plus de 3.000 euros par mois...).

Lire:

Les principales zones d'ombre de l'affaire Benalla

Kohler: la suspension de Benalla peut sembler aujourd'hui "insuffisante"

Oui, mais Alexandre Benalla a été viré et des enquêtes ouvertes, répond l'exécutif. Soit. Mais que se serait-il passé si l'affaire n'avait pas éclaté? Quid par exemple du courrier évoqué par Patrick Strzoda en audition et qui aurait officialisé la sanction contre le chargé de mission? Sera-t-il rendu public? Existe-t-il seulement? L'absence de transparence fait le lit de tous les fantasmes.

Et ça, l'exécutif le sait. Pourtant les communicants de l'Elysée semblent plutôt chercher à allumer un contre-feu que d'apporter des réponses, usant ainsi d'un autre ressort éculé mais toujours efficace: la victimisation.

"Je suis fier de l'avoir embauché", a déclaré Emmanuel Macron mercredi à propos d'Alexandre Benalla, mettant en avant son "parcours différent". Lui, le président du nouveau monde, a su faire confiance a un jeune issu de l'immigration, ayant grandi dans une cité sensible et qui n'est pas passé par les grandes écoles. Certes, mais entre les lignes c'est aussi une manière de dire que si Benalla a bien fait une erreur, sa vraie faute serait de ne pas être du sérail.

C'est d'ailleurs ce que dit Benalla dans son interview de ce jeudi. "Je ne fais pas partie du club", souligne le jeune homme. Puis de développer: "La vérité, c’est que ma nomination à ce poste, ça a fait chier beaucoup de gens. Parce qu’un gamin de 25 ans, qui n’a pas fait l’ENA, qui n’est pas sous-préfet –parce que je suis le seul à ne pas l’être dans l’équipe–, je suis l’extraterrestre de la bande!–, (...) évidemment, ça suscite des rancœurs…". Benalla affirme même être la victime d'un règlement de comptes ourdi par "des politiques et des policiers" pour le "tuer" et à travers lui "atteindre le président de la République".

Nous y voilà: le vieux monde et ses sbires (la presse et les hauts fonctionnaires) seraient donc à la manœuvre d'une machination pour salir le président de la République. Celui-ci devrait même, nous dit ce storytelling, briller par son courage en refusant contre vents et marées de faire de Benalla ou d'autres des "fusibles".  

Sauf que ce qui est reproché à Emmanuel Macron par les parlementaires, l'opinion ou la presse, ce n'est pas que Benalla soit Benalla, mais bien que le chef de l'Etat l'ait couvert ou ait tenté de le couvrir. La République, dont le président est garant des institutions, est ainsi faite: les responsables d'une faute présumée doivent en assumer les conséquences devant la justice indépendante. Cela ne fait pas d'eux des fusibles.

Le message que semble tenter de faire infuser l'Elysée pourrait ainsi faire sourire, voire franchement rire, s'il n'était si dangereux. Une étude récente a ainsi prouvé la pénétration "préoccupante" des théories du complot dans la population. Jouer avec le feu de la "vérité alternative", tel un Donald Trump, et livrer à la vindicte populaire des victimes désignées qui n'ont somme toute que fait leur travail n'est ainsi jamais anodin, ni sans conséquences.

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