Affaire Ferrand : le dossier des Mutuelles de Bretagne n’est pas encore classé sur le plan judiciaire

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 24 janvier 2018 - 18:47
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Le président du groupe En Marche! Richard Ferrand le 18 avril 2017 à Paris
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© JOEL SAGET / AFP/Archives
Une information judiciaire a été ouverte concernant Richard Ferrand et les Mutuelles de Bretagne a été ouverte, malgré un premier classement sans suite.
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L'affaire Richard Ferrand, concernant l'éventuelle prise illégale d'intérêts alors que le député était également directeur général des Mutuelles de Bretagne, avait été classée sans suite en octobre dernier. Pourtant, une information judiciaire a été ouverte mi-janvier. La délicate question de la prescription doit en effet être tranchée, décrypte en partenariat avec "France-Soir" Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

Le Canard enchaîné avait révélé que Richard Ferrand, actuel chef de file des députés La République en Marche, alors qu’il était directeur général des Mutuelles de Bretagne de 1998 à 2012, avait fait délibérer le conseil d’administration de celles-ci pour conclure un contrat de location avec la Société civile immobilière constituée par sa compagne. Celle-ci avait par ailleurs accompli des prestations pour les Mutuelles de Bretagne.

Le parquet de Brest avait annoncé le 13 octobre 2017 le classement de l’enquête sur les Mutuelles de Bretagne. D’une part le parquet avait considéré qu’il n y avait pas d’emploi fictif, l’enquête ayant établi le caractère réel des prestations et activités de la compagne de Richard Ferrand.

Le parquet avait d’autre part relevé que les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie n’étaient pas constituées faute de préjudice avéré, le montant du loyer et des investissements ne dépassant pas le prix du marché. Le parquet était cependant moins catégorique sur la question de la commission éventuelle d’un délit de prise illégale d’intérêts.

Voir: Affaire Ferrand - aucune poursuite, mais toujours un doute sur la prise illégale d'intérêts

Un éclairage s’impose. Ce délit défend une valeur sociale qui est celle de préserver la probité dans la gestion des affaires publiques et d’éviter tout soupçon envers les agents publics.

En droit pénal cette infraction (Article 432-12) se définit comme: "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement". Ce délit est "puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500.000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction".

Pour que l'élément matériel de l’infraction soit caractérisé, trois conditions doivent donc être réunies:

1°) être en présence d'une personne dépositaire de l'autorité publique (il faut entendre les fonctionnaires -fonction publique de l’Etat, fonction publique des collectivités territoriales et fonction publique hospitalière, outre les officiers ministériels investis d'une mission publique par l'autorité publique), ou chargée d’une mission de service public ou d'une délégation de service public.

2°) qui assure la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement de cette entreprise ou de cette opération au moment de l'acte.

3°) et qui prend, reçoit ou conserve un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération. Pour la cour de cassation le délit est caractérisé par "la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel" (chambre criminelle 21 juin 2000, pourvoi n° 99-86871).

En l’occurrence dans l’affaire des mutuelles de Bretagne la question se pose sur la notion de "mission de service public". Les mutuelles ont un statut de droit privé, offrent des prestations de santé à tout public, et perçoivent des subventions publiques. Le parquet de Brest avait considéré qu’en l’état on ne pouvait pas conclure avec certitude que les mutuelles de Bretagne "remplissent une mission de service public au sens du droit pénal".

Le parquet avait par ailleurs, et surtout, retenu que la prescription de l’action publique avait commencé à courir à la fin des fonctions de Richard Ferrand à la tête des Mutuelles à partir du 18 juin 2012, celle-ci étant acquise dans un délai de 3 ans, soit au 19 juin 2015.

La prescription est en droit pénal l’écoulement d’un délai au-delà duquel on ne peut plus poursuivre le délit commis. Se pose la question du point de départ de ce délai. Traditionnellement, l’infraction de prise illégale d’intérêts est un délit dit "instantané" qui est donc "consommé" au moment où le prévenu a reçu ou pris un intérêt dans l’affaire dont il avait la surveillance ou l’administration.

La prescription commence en général à courir dès ce moment, même si l'opération effectuée donne lieu à des avantages s'échelonnant sur des mois ou des années (chambre criminelle de la cour de cassation. 15 avril 1848: Bull. Crim. n°120).

L’analyse du parquet de Brest était qu’à défaut de dissimulation avérée il n’y a pas lieu de différer le point de départ de la prescription.

La prescription des délits dissimulés peut en effet courir à compter de leur découverte et non de leur réalisation.

C’est dans cette brèche que s’engouffre aujourd'hui l’association Anticor qui a déposé une nouvelle plainte à Paris pour relancer les investigations judiciaires pour des faits présumés de "prise illégale d’intérêts", recel et complicité de ce délit.

La plainte avec constitution de partie civile a pour effet d’ouvrir automatiquement une information judiciaire avec la désignation d’un juge d'instruction. Le juge Van Ruymbeke a ainsi été désigné sur réquisitions du Parquet national financier. L’association Anticor entend soutenir que la prescription de trois ans du délit ne pouvait commencer à courir non à partir de la commission des faits mais lors de leur révélation, si l’infraction a été dissimulée. L’instruction sera donc déterminante sur cette question juridique.

A l’issue de son enquête, le juge d’instruction rendra soit une ordonnance de non-lieu, soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

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