Législatives : analyse d'un score historique pour le Rassemblement national

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Anthony Lacoudre, pour FranceSoir
Publié le 28 juin 2022 - 12:40
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Edwige Diaz, à l'Assemblée nationale le 21 juin 2022
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Neyer Valeriano, pour FranceSoir
Edwige Diaz, un nouveau visage du RN : élue dans la 11ème circonscription de Gironde, à l'Assemblée nationale le 21 juin 2022.
Neyer Valeriano, pour FranceSoir

CHRONIQUE — Au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017, qui a vu Emmanuel Macron recueillir 24,01 % des voix alors que Marine Le Pen, arrivée en deuxième position, obtenait 21,30 % des voix, Emmanuel Macron déclarait dans un tweet du 4 mai 2017 : "Je veux éradiquer la colère dont le Front national se nourrit".

Mais force est de constater que depuis l'accession au pouvoir d'Emmanuel Macron le 7 mai 2017, le Front national n'a pas vraiment régressé en termes électoraux.

On se souviendra par exemple que deux ans plus tard, aux élections européennes de mai 2019, le RN est arrivé en tête, avec 23,31 % des voix (5,3 millions de voix), se traduisant par l'obtention de 19 députés européens, devant La République en marche (22,41 %).

Les élections présidentielles et législatives qui viennent de se dérouler en France ont très nettement confirmé cette tendance. Les données chiffrées présentées ci-après démontrent qu'Emmanuel Macron aura donc échoué au cours de son premier mandat à limiter l’influence du Front national, devenu entre-temps le Rassemblement national (RN).

Le coup de semonce de l'élection présidentielle

Au premier tour de l'élection présidentielle qui s'est déroulé le 10 avril dernier, la droite nationaliste (ou "l'extrême droite" comme l'appellent ses détracteurs), a totalisé 32,28 % des voix - correspondant à plus de 11,3 millions de voix - ce qui constitue un score jamais atteint auparavant.

Ce score se décompose de la façon suivante : 23,15 % des voix pour le RN (8,1 millions de voix) + 7,07 % des voix pour Reconquête (2,5 millions de voix) et 2,06 % des voix pour Debout la France (0,7 million de voix).

Ce score de 2022 représente pour le bloc nationaliste une progression de 1,9 million de voix par rapport à 2017. En effet, au premierr tour des élections présidentielles de 2017, la droite nationale recueillait alors 26 % des voix (9,4 millions), réparties entre le Front national (21,30 % = 7,7 millions) et Debout la France (4,70 % = 1,7 million).

Au second tour du 24 avril 2022, Marine Le Pen a obtenu près de 13,3 millions de voix (41,45 %), à comparer aux 10,6 millions de voix obtenus en 2017.

Mais rien ne garantissait pour autant une progression du RN aux élections législatives qui allaient suivre.

La confirmation du premier tour des élections législatives

Le RN a obtenu 4 250 000 voix au 1er tour des élections législatives du 12 juin dernier, ce qui correspond à une progression de 40 % par rapport à 2017, où le FN avait recueilli près de 3 millions de voix.

Pour l’ensemble du bloc national, la progression est même de 57 %, passant de 3,3  millions d’électeurs en 2017 à 5,2 millions d’électeurs en 2022 (et ce, sans aucune alliance), soit un gain de 1,9 million d’électeurs en l’espace de 5 années (même chiffre que le gain constaté au premier tour de l'élection présidentielle de 2022).

Le score plus qu’honorable du RN au premier tour de ces élections législatives de 2022 lui a garanti le maintien pour le second tour d'un candidat dans 208 circonscriptions sur 577 - dont 110 d’entre elles où le RN était arrivé en tête au premier tour, et avec parfois des candidats au second tour dans toutes les circonscriptions d'un même département, comme dans l'Aisne (5), l'Eure (5), le Lot-et-Garonne (3), etc.

La percée historique du second tour des élections législatives

Les 208 circonscriptions où le RN a pu se maintenir au second tour correspondaient à 61 duels du RN contre la coalition NUPES, à 107 duels du RN contre la coalition Ensemble, à 35 duels du RN contre d’autres partis (principalement contre LR) et à 4 triangulaires entre le RN, la NUPES et Ensemble

Le RN remporte 53 % des 61 duels contre la NUPES

Le RN gagne 53 % de ses duels contre la NUPES, pour un total de 33 députés, avec même l’exploit de remporter deux sièges en Ile-de-France (dans la 2ème circonscription de l’Essonne et dans la 6ème circonscription de Seine et Marne - ancienne circonscription de Jean-François Copé de 2002 à 2017).

On remarque quelques victoires obtenues à l'arraché par le RN, comme dans la 2ème circonscription de l'Allier, emportée avec 140 voix d'avance sur la NUPES ou dans la 1ère circonscription des Alpes-de-Haute-Provence emportée avec 691 voix d'avance.  On constate aussi des défaites du RN face à la NUPES qui se sont jouées à trois fois rien, comme à 71 voix près dans la 3ème circonscription du Pas-de-Calais, à 148 voix près dans la 6ème circonscription en Meurthe-et-Moselle ou à 348 voix près dans la 4ème circonscription de l'Eure.

Les sondages varient, mais il semblerait qu’entre 30 % et 50 % des électeurs LR s’étant exprimés au second tour ont voté pour le RN dans cette configuration alors que 10 % d’entre eux auraient voté pour la NUPES. Le report des voix de la « droite classique » sur les candidats du RN fut donc excellent.

De la même façon, environ 20 % des électeurs Macron s’étant déplacés pour le second tour dans ces duels RN / NUPES auraient voté pour le RN. Et ce, en dépit de la consigne de la Première ministre Elisabeth Borne : "Notre ligne : ne jamais donner une voix à l'extrême droite".

Une partie non négligeable de l’électorat macroniste a donc voté en faveur du RN au second tour, sans doute avec l’idée de limiter les chances de la NUPES de potentiellement obtenir une majorité à l'Assemblée nationale.

Le RN remporte près de la moitié des 107 duels contre Ensemble

Le RN emporte 52 duels des 107 duels contre la coalition Ensemble, faisant tomber au passage la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon dans la 6ème circonscription du Pas-de-Calais (à 56 voix près !!!).

Voir aussi : Brigitte Bourguignon en campagne: est-ce judicieux de s’appuyer sur "la crise covid, meurtrière pour nos aînés"?

Des duels parfois très serrés

D'autres victoires contre Ensemble ont été acquises grâce à seulement quelques centaines de voix d’avance pour le RN, comme par exemple 193 voix dans la 3ème circonscription de la Charente, 330 voix dans la 2ème circonscription de Dordogne, 386 voix dans la 3ème circonscription du Var ou respectivement 458 et 489 voix dans les 1ère et 2ème circonscriptions de l'Eure.

En contrepartie, le RN a perdu à 11 voix près contre la coalition Ensemble dans la 5ème circonscription du Loiret, à 198 voix près dans la 1ère circonscription des Ardennes, à 342 voix près dans la 2ème circonscription des Vosges ou à 451 voix près dans la 3ème circonscription du Doubs…

Dans la 1ère circonscription du Lot-et-Garonne, où une triangulaire était possible entre le RN, Ensemble et la NUPES, le candidat d’Ensemble ne l’a finalement emporté qu’avec un peu plus de 1000 voix d’avance face au candidat RN après le retrait de la candidate de la NUPES (le RN aurait très probablement gagné ce siège si la triangulaire avait été maintenue).

Au total, le RN aura subi 16 défaites à moins de 1 % dans les 208 circonscriptions en jeu.

La coalition Ensemble laminée par le RN dans l'Eure, la Haute-Saône, les Pyrénées Orientales et dans le Var

Dans l'Eure, sur les terres du ministre de l'Économie, Bruno le Maire, le RN emporte contre des candidats d'Ensemble 4 des 5 sièges du département. 

En Haute-Saône, le RN emporte avec plus de 54 % des voix les deux circonscriptions du département face à des candidats d'Ensemble.  

Dans les Pyrénées-Orientales, le RN emporte les 4 circonscriptions du département, face à trois candidats de la coalition Ensemble et à un candidat de la coalition NUPES, avec des scores de 54 % à 61 % !

Dans le Var, où le RN n'avait aucun député sortant et était opposé à la coalition Ensemble dans les 8 circonscriptions du département, le RN emporte 7 des 8 circonscriptions (dont la fameuse 4ème circonscription où, le soir du premier tour, Eric Zemmour est arrivé en troisième position à 801 voix du candidat du RN, arrivé en deuxième place). Le mécanisme de report des voix de la droite non-ralliée à la Macronie et de Reconquête aura donc bien fonctionné au second tour.

Des électeurs de la NUPES qui votent pour le RN

D’après certains sondages (notamment Harris Interactive du 19 juin 2022), 24 % des électeurs de la NUPES auraient voté pour les candidats du RN dans les duels du RN contre Ensemble, alors que seulement 15 % environ des électeurs de la France Insoumise et une fraction infime des électeurs du PS, du PC et des écologistes avaient voté pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle deux mois plus tôt.

Ces électeurs « insoumis » de la coalition de la NUPES n’auront donc pas suivi le mot d'ordre pourtant clairement affirmé par les différents dirigeants de leur camp : "Pas une voix pour le RN !".

Il est évident que ces électeurs de la NUPES ont préféré accorder des sièges de députés au RN, avec l’espoir d’empêcher la coalition d’Emmanuel Macron d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. In fine, le RN aura recueilli en moyenne 47,9 % des voix dans les 208 circonscriptions en question où il était présent lors de ce second tour.

Un renvoi d’ascenseur

Il semblerait que, de façon symétrique, 24 % des électeurs RN aient voté pour les candidats de la NUPES dans les duels opposant la NUPES à Ensemble, participant ainsi à la chute de barons de la Macronie, tels que Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur et président du groupe LREM, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale (qui échoue à 800 voix dans la 6ème circonscription du Finistère) ou encore Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique.

Les duels entre le RN et les autres partis

25 duels opposaient le RN au parti LR, sur des terres traditionnellement acquises à la droite et où le RN aura réussi à évincer la présence de la gauche au second tour.

On constate une série de défaites pour le RN dans cette configuration, les candidats du RN ne dépassant que rarement la barre des 40 %, sauf dans la 4ème circonscription de Seine-et-Marne où le RN perd à 859 voix près, et dans quelques duels gagnés par le RN contre LR, comme par exemple dans la 2ème circonscription de la Haute-Marne ou la 12ème circonscription des Bouches-du-Rhône.

Dans ces duels un peu particuliers, les rares électeurs des partis du centre et de la gauche qui se sont déplacés pour participer au second tour ont manifestement voté en faveur des candidats de la droite modérée.

Il n'en demeure pas moins que finalement, LR perd la moitié de ses députés, passant de 112 élus en 2017 à 61 élus en 2022, ce qui apparaît du reste comme une prouesse après le cinglant 4,78 % des voix obtenus par Valérie Pécresse au premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril dernier.

Quatre triangulaires entre le RN, Ensemble et la NUPES

Les résultats sont mitigés pour le RN, le parti n’emportant qu’une seule de ces triangulaires, dans la 2ème circonscription du Lot-et-Garonne.

Dans la 2ème circonscription de la Nièvre, le candidat du RN échoue à 105 voix du candidat d’Ensemble alors que le RN finit en troisième place dans la 2ème circonscription de Dordogne ainsi que dans la 3ème de Dordogne.

LREM perd la moitié de ses députés

Le parti d’Emmanuel Macron, LREM, devenu Renaissance à l’occasion des élections législatives, aura perdu près de la moitié de ses députés, passant de 308 élus pour LREM en 2017 à 166 en 2022, ce qui constitue une débâcle électorale sans précédent pour des élections législatives tenues au lendemain d’une élection présidentielle.

En contrepartie, la France Insoumise passe de 17 députés élus en 2017 à 72 députés élus en 2022 et surtout, le RN passe de 8 députés élus en 2017 à 89 députés élus en 2022, soit une multiplication par 11 ! En réalisant au passage le grand chelem dans 4 départements, l'Aude (2/2), la Haute-Marne (2/2), la Haute-Saône (2/2) et les Pyrénées-Orientales (4/4).

Pour illustrer la gravité du revers électoral que vient de subir Emmanuel Macron, on soulignera que sa Première ministre socialiste, Elisabeth Borne, n’a été élue dans la 6ème circonscription du Calvados qu’avec 2 202 voix d'avance sur le candidat de la NUPES, un étudiant inconnu de 22 ans.

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