Arrêts-maladies : le désespoir des policiers du service central des compagnies de la circulation de Paris

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Laurence Beneux, pour FranceSoir
Publié le 02 octobre 2021 - 14:34
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Manifestation du 1er octobre
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Manifestation le 1er octobre
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CHRONIQUE - Ce vendredi 1er octobre 2021, ils sont encore plus d’une soixantaine de policiers du service central des compagnies de la circulation de Paris, à être en arrêt maladie. Ils étaient 150 le week-end dernier, ce qui représentait environ la moitié des policiers de ce service de la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC). Ce sont eux qui sont notamment chargés d’encadrer les manifestations, la quasi-totalité des effectifs travaillant le week-end. Dimanche dernier, il ne restait que 24 fonctionnaires du service pour couvrir la totalité de la capitale.

Pour ces policiers qui n’ont pas le droit de grève, une obligation de réserve qui les contraint au silence et qui n’en peuvent plus, l’arrêt maladie est l’ultime recours pour faire connaître leur malaise. Ils le disent, ils sont tous malades ! Ils sont exténués, en burn-out, certains au bord du suicide. Un policier convoqué à la médecine du travail s’est d’ailleurs vu désarmé jusqu’en novembre.

Comment en est-on arrivé là ? Suite à des années de maltraitances professionnelles comme seul l’État peut se le permettre vis-à-vis de son « petit personnel », des années de souffrance au travail, de plaintes jamais entendues. Les gardiens de la paix sont maltraités dans tous les services. Le terrifiant taux de suicides qui sévit dans la police, dans l’indifférence générale, en est la preuve, mais à la DOPC, c’est le pompon ! Les témoignages des policiers sont poignants.

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Appelons-le Christian : il a des années de service derrière lui. Jamais un arrêt maladie, toujours présent, répondant à tous les appels, volontaire, « ça personne ne peut me l’enlever » insiste-t-il. Pourtant, cette fois-ci, il s’est mis en arrêt et l’a même prolongé. Il n’en revient pas lui-même, « je me suis rendu compte que je ne pouvais pas retourner travailler le lendemain. Pour la première fois de ma vie, je ne voulais pas y aller. Et mon médecin m’a prolongé ». Nous vous livrons son témoignage brut, car il est édifiant :

« On est au bout du rouleau. À la DOPC, ils sont encore 40 ans en arrière. C’est « crève et tais-toi ». On travaille avec des gens qui pensent avoir toujours raison, alors qu’enfermés dans leurs bureaux, ils n’y connaissent rien. Ils croient qu’on est encore à l’époque où il y avait des 2CV plein les rues ! Maintenant, il y a des vélos, des trottinettes, des gens qui tombent, mais ça ils ne savent pas. Ils ne savent même pas où sont les sens interdits ; parfois, on nous demande de bloquer des rues en sens interdit ! Quand on le signale, on nous dit de « faire remonter l’info ». Ça fait des années qu’on fait remonter les infos ! Mais elles n’arrivent jamais en haut ! Alors il faut bien croire qu’ils s’en foutent ! Tout ce qui les intéresse, c’est leurs résultats et leurs primes. Et comme ils manquent d’effectifs, ils nous pressurent jusqu’à ce qu’on crève. Nous, on n’est même plus des numéros, on n’est rien ! Et quand on nous parle mal, il faut qu’on se taise.

Presqu’à chaque journée de vacation, on nous rappelle la veille au soir pour nous dire que nos horaires du lendemain ont changé, parfois plusieurs fois. Si on devait commencer à 11 heures, on va nous apprendre que finalement on commence à 6. On s’organise, on cherche un covoiturage, et une heure plus tard, un nouvel appel nous ordonne de venir à 10 heures. Et si on n’est pas à l’heure, on a un billet de retard ! C’est ça notre vie. On n’arrête pas de nous rappeler sur nos jours de repos. On reçoit même des messages pendant nos congés annuels. Nos conjoints sont fous de colère. Un collègue a reçu un message le dernier jour de ses congés pour lui dire qu’il commençait plus tôt le lendemain. C’est sa femme qui a répondu. Elle a dit qu’elle était son épouse et a demandé s’ils étaient conscients que son mari était en congés. Elle a osé… C’est beau.

On devrait quand même pouvoir déconnecter de temps en temps. Ils se fichent complètement de nos vies de famille. Un collègue qui venait de se marier a demandé à avoir ses cinq jours de repos d’affilée pour pouvoir partir en voyage de noce ; on lui a refusé.

Si on termine un peu plus tôt parce qu’on est exténué et trempé, la sous-directrice nous le reproche en nous disant qu’elle est responsable des deniers publics. Elle nous accuse de voler les impôts en somme.

On nous met tous seuls sur des points de circulation. Chez nous, il y a même des stagiaires qui sont tous seuls sur des points. Des collègues d’autres services s’arrêtent parfois pour nous demander « où est ton binôme ?! ». Je suis tout seul. On est isolé, complètement isolé. »

Ce dernier point fait bondir Aurélie Laroussie, présidente des Femmes des Forces de l’Ordre en Colère (FFOC). « Ils sont tous seuls sur des points ! Comme si on n’était pas en alerte terrorisme renforcée, comme si on ne savait pas qu’il y a une haine du flic viscérale chez certaines personnes ! C’est criminel ! »

« Ils ne respectent aucune règle, explique Christian. On est policier, on nous demande de faire respecter les règles et de les respecter nous-mêmes. À la moindre incartade, on est sanctionnés. Mais les hautes hiérarchies ne le sont jamais ! Je ne voudrais pas être officier, parce que si un policier était assassiné, je ne supporterais pas d’être complice de ça. Et c’est ce qu’ils seraient, des complices qui l’auraient mis en danger en l’envoyant sur un point tout seul ! Et encore, on a la chance d’avoir une hiérarchie locale extrêmement bienveillante. Notre commissaire est formidable ! Gentille, à l’écoute, toujours la porte ouverte. Heureusement qu’elle est là. On était embêtés pour elle quand on s’est mis en arrêt, parce qu’on savait que ça lui créerait des difficultés. Mais j’ai vu qu’elle était mal quand elle a entendu le discours de la sous-directrice ».

Car c’est un discours d’une sous-directrice qui a mis le feu aux poudres. Le bruit courait depuis quelques jours, qu’une compagnie allait se mettre massivement en arrêts-maladies le vendredi 24 septembre. Une compagnie qui « dit ce qu’elle pense et fait généralement ce qu’elle dit ». Alors la sous-directrice est venue parler à ses troupes qui ont exprimé des doléances qu’elle a superbement ignoré. Quand une policière lui a gentiment demandé si elle était consciente que son personnel était souffrance, elle a répondu « oui, oui » distraitement puis est passé à autre chose. Et a eu la bonne idée de faire reposer la responsabilité du manque d’effectifs sur les policiers: « c’est de votre faute si personne ne veut venir à la circulation. Vous n’avez qu’à bien le vendre et bien en parler » (sic !).

Les policiers de la circulation travaillent principalement de jour, et nombreux sont ceux qui attendent avec impatience une réforme des cycles qui leur permettrait non seulement d’avoir plus de week-ends non travaillés, mais surtout qui leur laissent espérer d’être moins souvent rappelés sur leurs jours de congés. Or, la sous-directrice leur a annoncé que cette réforme serait peut-être enfin mise en place en janvier. Et ça pose problème.

« On travaillerait sur un cycle binaire, explique Christian, ça veut dire que les effectifs sont divisés en deux groupes qui travaillent 11 heures 08 ou 12 heures 08 par vacation. Nous, on préfèrerait 12 heures 08 parce qu’alors, on n’a plus le droit de nous rappeler sur nos jours de congés, mais évidemment, la DOPC veut nous imposer des vacations de 11 heures 08. Ils nous disent que nous faisons un métier trop difficile pour travailler 12 heures 08 ! Autant dire qu’ils se foutent de notre gueule ! On va nous faire voter, mais comme d’habitude, ils nous donneront à choisir entre ce qu’ils veulent, et la vacation de 12 heures 08 ne sera probablement pas dans les choix donnés ! Mais de toute façon, comme on est en sous-effectifs, on est conscient que le cycle binaire est la seule solution pour être moins rappelés parce qu’il est moins gourmand en effectifs que le cycle actuel (il y a moins de policiers sur la voie publique en même temps – NDLR). Seulement, il ne faut pas le mettre en place n’importe quand, ni n’importe comment. Un collègue a fait remarquer qu’en plein milieu d’année, on ne trouverait pas nounous pour les enfants ou de places en crèche. Mais ils se fichent complètement de déstabiliser les vies de famille. Et puis, rien n’est organisé, le service n’est pas prêt. Quand on a demandé où on mettrait nos gamelles si on était envoyé aux quatre coins de Paris pendant 11 heures, on ne nous a pas répondu. Depuis le Covid, il y a plein de commissariats qui ne nous accueillent plus pendant les pauses. Leurs effectifs sont en train de déjeuner, et comme les salles ne peuvent accueillir que 7 ou 8 personnes, on reste dehors. Si on est trempés, où va-t-on se changer ? Ça n’a pas été prévu non plus.

Et ça a des conséquences sur le travail. Si je bloque une rue près du boulevard Voltaire un jour de manifestation, si un riverain qui veut rentrer chez lui proteste quand je lui dis qu’il ne peut pas passer parce qu’il y a manif, après 10 heures dehors et debout, exténué, je risque de mal réagir! Ce que je ne ferais pas au bout de 5 heures. ».
Pour clôturer le tout, le lendemain de son discours, la sous-directrice a annoncé aux policiers qu’elle ne leur offrirait dorénavant pas une minute de service en moins alors qu’on les laisse généralement rentrer un peu plus tôt à la base pour qu’ils se changent pendant leurs heures de service. « On nous offre le temps du vestiaire, somme toute » m’explique-t-on. Cela a été interprété comme une punition pour avoir posé des questions qui fâchent la veille.

Et donc, vendredi dernier, la compagnie de service ce jour-là déposait 80 arrêts-maladies d’une journée. Et le lendemain, c’était 150 arrêts maladies de quatre jours qui étaient annoncés à la DOPC par les policiers travaillant le week-end.

La réaction de la DOPC ? Entamer un dialogue ? Chercher à apaiser la situation ? Pas du tout ! Les policiers ont reçu, par téléphone ou sms, une convocation à la médecine du travail pour vérifier les arrêts-maladies alors même que les formulaires n’étaient pas encore arrivés sur leur bureau. De nombreux policiers ont refusé de s’y rendre parce que la procédure n’était pas respectée et qu’ils n’avaient pas reçu une convocation écrite en bonne et dû forme. Ceux qui y sont allés n’ont même pas été auscultés. Un simple « qu’avez-vous ? » et des arrêts-maladies invalidés, mais revalidés dans l’après-midi parce que les syndicats ont protesté. Mieux que ça, des policiers en arrêt le vendredi et rappelés le samedi se sont vus rappelés à la base alors qu’ils étaient en patrouille. On leur a demandé de s’habiller en civil et on les a emmenés dans un camion siglé de police secours devant le médecin chef pour contrôler leurs arrêts-maladies. Alors qu’ils avaient repris le travail.

« C’était pour nous faire peur, m’explique-t-on, pour nous mettre un gros coup de pression. Ce camion, on l’appelle le camion de la honte ».

Là, le syndicat Unité SGP Police est monté au créneau. Une manifestation était organisée mardi matin devant la médecine du travail de la police, une autre ce matin, devant la base des compagnies centrales de la circulation dans le 13ième arrondissement de Paris. Le syndicat demande la fin des pressions et des convocations. Il dénonce aussi une multiplication des télégrammes de restriction. Qu’est-ce que c’est ? A la circulation, il n’y a pas de jours d’astreinte, ces journées où les policiers bien qu’en repos, doivent s’attendre à être appelés en cas d’évènements inattendus et doivent donc prendre leurs dispositions pour pouvoir se rendre rapidement sur leur lieu de travail. Ces journées sont indemnisées. Le télégramme de restriction, c’est le même principe, sauf que les journées ne sont pas payées ! Si le policier est appelé un samedi de repos par exemple, il sera payé en heures supplémentaires (ce qui dans la police, revient souvent à être payé moins qu’une heure normale, puisque le tarif des heures sup n’est pas calculé en fonction de la rémunération habituelle mais est un tarif fixe et bas, le même pour tous les gardiens de la paix quelle que soit leur ancienneté), mais s’il n’est pas appelé, il aura été bloqué sans aucune indemnisation.

Un représentant syndical s’indigne aussi d’une réflexion de la sous-directrice de la DOPC qui aurait expliqué que « la DOPC, c’est pas open-bar, et que les policiers ne sont pas attachés au radiateur ». Autrement dit, s’ils ne sont pas contents la porte est ouverte… Et on se demande pourquoi ils « ne vendent pas bien le service ! ».
La tentative de coup de pression, avec les convocations à la médecine du travail, pourrait bien avoir eu l’effet inverse que celui escompté par la direction. On nous prédit que si le mouvement se renouvelait, il serait probablement encore plus suivi que la semaine dernière, et qu’on passerait probablement de 150 arrêts-maladies à 250 ou 300, autant dire la quasi totalité du service.

Par ailleurs, Aurélie Laroussie pronostique que le mouvement pourrait bien faire boule de neige dans d’autres services et pense « qu’on est très près d’un mouvement de protestation comme en 2016 ». Cette année-là avait vu la naissance du mouvement des Policiers en Colère et des manifestations de policiers. Un prévision qui pourrait bien s’avérer juste car il nous remonte que les policiers en arrêt des compagnies de circulation de Paris reçoivent de nombreux messages de félicitations et de soutien de leurs collègues d’autres services, tels que « Bravo ! », « on est avec vous »…

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