Fake news : l’inanité de la loi contre la manipulation de l’information

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Thierry Vallat, édité par la rédaction
Publié le 08 novembre 2018 - 18:02
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Le gouvernement a précisé les contours d'une proposition de loi sur "la confiance et la fiabilité de l'information" et lancé une consultation pour réformer la loi qui régit la distribution de la press
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© PASCAL PAVANI / AFP/Archives
La loi sur les fake news a suscité de nombreuses critiques.
© PASCAL PAVANI / AFP/Archives
La loi sur les "fake news" voulue par Emmanuel Macron vient de revenir au Sénat. Un texte qui a fait polémique, notamment quant à son utilité alors que la diffusion de "fausses informations" est déjà sanctionnée par plusieurs textes. La question du respect des libertés fondamentales pourraient également entraîner un rejet de la part du Conseil constitutionnel, analyse pour France-Soir Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris.

La lutte contre la manipulation de l'information (loi "anti fake news") est revenue devant le Sénat en seconde lecture mardi 6 novembre, après avoir été adoptée dans la nuit du 3 au 4 juillet à l'Assemblée nationale dans le cadre d'un débat virulent. Ce texte est destiné à empêcher la diffusion artificielle et massive de fausses informations en période électorale.

Il est également prévu un devoir de coopération des plates-formes en ligne (Facebook, Google, Twitter) impliquant un signalement et l'obligation de rendre publics les moyens alloués à la lutte contre les contenus illicites.

Scélérate pour les uns, permettant d’assurant la sincérité du scrutin pour les autres, elle suscite de vifs débats et est loin de faire l’unanimité chez les juristes.

> Pourquoi une loi sur les fake news?

La loi part de l’actualité électorale récente et des soupçons de campagnes de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne. Et que si les responsabilités civiles et pénales des auteurs de ces fausses informations peuvent être recherchées sur le fondement des lois existantes, celles-ci seraient insuffisantes pour permettre le retrait rapide des contenus en ligne afin d’éviter leur propagation ou leur réapparition.

Voir: Avant Donald Trump, la longue histoire des fake news

Mais cette loi est sans doute beaucoup plus ciblée qu’elle n’en a l’air. Elle avait en effet été suggérée dès le début janvier 2018 avec les vœux à la presse du président Emmanuel Macron qui avait stigmatisé des médias russes financés par la Fédération de Russie, qui auraient selon lui propagé et diffusé des fausses nouvelles pendant la campagne présidentielle 2017.

Ces propos ont été repris régulièrement depuis lors par divers membres du gouvernement fustigeant des tentatives de déstabilisation orchestrées, en visant cette fois nommément RT France et Sputnik news, deux organes de presse "contrôlés à 100% par l’Etat russe".

> C’est quoi une "fake news"?

Selon ce texte,"Toute allégation ou imputation d'un fait, inexacte ou trompeuse, constitue une fausse information". La définition de fausse information a fait l'objet de débats houleux qui se sont achevés avec l'adoption d'un amendement remplaçant l'idée de la "mauvaise foi" par celle d'intention "délibérée". Le titre même de la loi a évolué pour devenir "loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information".

> Que prévoit le texte?

Le texte prévoit ainsi trois grands volets principaux :

- une procédure judiciaire d’urgence (48h) pour les élections présidentielle, législatives, sénatoriales et européennes: il est ainsi proposé d’introduire une nouvelle action en référé devant le juge civil dont la mise en œuvre serait limitée aux périodes pré-électorale et électorale. Le juge se verrait ainsi confier le soin de prononcer, à l’égard des tiers tels que les hébergeurs, plateformes et fournisseurs d’accès à Internet, des mesures visant à faire cesser la diffusion de fausses informations, et ce indépendamment de toute mise en cause de leur responsabilité.

- une extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour lutter contre la diffusion des fake news: le texte vise, selon ses auteurs, à permettre au CSA d’empêcher, de suspendre ou de mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions

- de nouveaux devoirs pour les "intermédiaires techniques": au-delà de l’obligation de retirer promptement tout contenu illicite porté à leur connaissance ("notice and take down"), les prestataires seront soumis à l’obligation de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance des contenus constitutifs de fausses informations, d’une part, et de relayer promptement auprès des autorités publiques compétentes les signalements relatifs à ces contenus transmis par les internautes, d’autre part. Ils doivent, enfin, rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre la diffusion de fausses informations.

> Pourquoi la loi est-elle très décriée?

Il existe déjà de nombreux textes réprimant les fausses informations tant dans le code pénal, le code électoral, que la loi de 1881 sur la presse.

Rappelons notamment que l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 dispose déjà que: "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45.000 euros" et permet déjà de lutter contre les fausses informations.

Lire aussi: Fausses nouvelles - l'Assemblée vote en nouvelle lecture le texte controversé

Il existait par ailleurs dans le texte d’origine plusieurs imprécisions dans les termes employés par les législateurs puisque se trouvaient indifféremment employées les expressions "fausses nouvelles" et "fausses informations". Le texte a été modifié sur ce point, mais cela illustre bien la difficulté pour définir ce qu'est une "fausse information".

Le Sénat avait déjà rejeté, le 26 juillet 2018, le projet de loi sur les fake news, émettant de sérieux doutes sur l'efficacité de ce texte et surtout sur les risques d'atteinte à la liberté de communication. Les sénateurs devraient en faire de même en seconde lecture.

La nécessaire conciliation entre d'une part la liberté d'expression et d'autre part la liberté d'information et la préservation de la sincérité du scrutin sera-t-elle en effet bien assurée par ces nouvelles dispositions?

Comment imaginer une quelconque efficacité à la procédure de référé mise en place, qui pourrait être assimilée à de la censure alors même que la justice n'aurait pas tranché sur la véracité de l'information? On peut légitimement en douter et le Conseil constitutionnel ne devrait pas manquer, lorsqu’il sera saisi du texte qui devrait finalement être voté par l’Assemblée, de rappeler certains principes fondamentaux et censurer cette loi qui apparaît, malheureusement, tout aussi inutile que liberticide.

Aller plus loin:

La Commission européenne à l’assaut des "fake news"

En Marche!: deux médias russes nient œuvrer contre Emmanuel Macron

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