Gilets jaunes : peuvent-ils vraiment obtenir ce qu'ils demandent ?

Auteur(s)
Damien Durand
Publié le 27 novembre 2018 - 13:43
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Des gilets jaunes sur un pont enjambant la N70, près de Montceau-les-Mines, le 23 novembre 2018
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© ROMAIN LAFABREGUE / AFP
Les gilets jaunes sollicitent Emmanuel Macron, exigeant que l'Elysée réponde à leurs demandes.
© ROMAIN LAFABREGUE / AFP
Emmanuel Macron semble tendre une main en direction des gilets jaunes ce mardi 27, tout en ne faisant aucune annonce allant réellement dans le sens des exigences des manifestants. Mais ces derniers présentent aussi des revendications qui, quand elles ne sont pas contradictoires, sont issues de problématiques dépassant largement le pouvoir de l'Elysée.

Les propositions d'Emmanuel Macron présentées ce mardi 27 pour tenter de "déminer" la colère des gilets jaunes –dont les représentants "désignés" devraient être reçus à l'Elysée par François de Rugy le ministre de la Transition écologique– n'ont que peu de chance de calmer la colère de ceux qui, depuis le 17 novembre exprime leur ras-le-bol, aux motifs parfois hétéroclites. Sensation d'étouffement face à la fiscalité, constat de la baisse de l'offre de service public, sentiment d'éloignement, voire d'abandon de la "périphérie" par des élites réelles ou supposées.

Mais si l'Etat adopte en apparence une position fermée, entre annonces de faible ampleur, dialogue au compte-gouttes avec les représentants –contestés– des gilets jaunes et priorité assumée donnée à la "transition écologique", l'exécutif est aussi démuni face à des revendications radicales des manifestants. Et pour cause: l'Etat n'a pas nécessairement les leviers pour répondre à tous les éléments du ras-le-bol.

Côté fiscal tout d'abord, si les gilets jaunes exigent un recul des taxes sur l'essence, les comptes publics restent soumis à la contrainte de la réduction du déficit. Bruno Le Maire a déjà admis en août que le déficit annoncé de 2,3% serait dépassé et que le vrai chiffre (du moins celui reconnu par Bercy) tournerait plutôt autour de 2,6%. Une situation qui n'incite guère à la baisse des taxes sur les carburants. Dans une logique de balance budgétaire, il n'est pas impossible en soi de donner satisfaction aux gilets jaunes sur ce point, mais ce serait au prix, soit d'une baisse des dépenses publiques (finançant par exemple les services dont les gilets jaunes estiment tant manquer), soit d'une hausse d'autres impôts. Le tout en sachant qu'un geste fiscal envers cette demande serait balayé par une hausse du prix du pétrole sur laquelle l'exécutif ne peut rien. Face au risque de faire un geste qui serait invisible si le prix à la pompe grimpe à cause du baril, tout en entraînant la naissance d'autres mécontentements, les gilets jaunes ne peuvent guère espérer être entendus.

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Mais hors de la question fiscale, le sentiment de déclassement des gilets jaunes semble à la fois réel selon les étudies sociologiques, et malheureusement éloigné d'une solution strictement étatique. Comme l'a montré le démographe Hervé Le Bras qui a cartographié dans L'Obs la protestation du 17 novembre -la plus importante en nombre depuis le début du mouvement- la mobilisation rapportée à la population a été la plus importante dans les départements de la "diagonale du vide", cet axe nord-est/sud-ouest caractérisé par une démographie faible, une croissance économique atone et la disparition progressive de commerces ou de services publics, notamment médicaux. 

Des problèmes structurels dont la résolution apparaît hors de portée d'une réponse politique de court terme. A l'exception peut-être de l'instauration de services publics qui eux relanceraient la question du déficit public et des impôts qu'il faudrait lever pour payer de nouvelles infrastructures, impôts que les gilets jaunes refusent de payer se sentant déjà étranglés. D'autant que les manifestants ne sont pas pressurés seulement par des hausses décidées par l'Etat ou les collectivités. Dans les diverses revendications sur les réseaux sociaux, les gilets jaunes dénoncent aussi les hausses des frais bancaires, des mutuelles, des péages ou des assurances, soit autant de domaines qui ne sont pas du ressort direct de l'Etat.

Et les gilets jaunes qui subissent de plein fouet les hausses précitées souffrent aussi d'un autre phénomène alimentant le sentiment de déclassement: celle de la "panne" de l'ascenseur social et de la difficulté d'obtenir une meilleure situation sociale et financière grâce à son travail. Selon un rapport de l'Organisation internationale du travail (voir ici), en France, les salaires réels (c'est-à-dire la hausse du revenu moins la hausse de l'inflation) vont baisser de 0,4% cette année après avoir "augmenté" de 0,1% en 2017. Un niveau plancher depuis dix ans alors même que depuis deux ans, le contexte économique s'est amélioré et que le chômage recule. Selon l'un des auteurs du rapport, ce gel salarial –qui empêche donc de supporter les hausses du coût de la vie– est un mélange de concurrence internationale et d'incertitude économique, autant d'éléments qui ne se jouent pas dans le bureau d'Emmanuel Macron. L'organisme évoque aussi la médiocrité de la représentation syndicale dans certains pays comme la France, ces même "corps intermédiaires" dont les gilets jaunes veulent se tenir éloignés.

Cette déconnexion entre les problèmes subis, et l'idée erronée que l'Elysée détient toutes les clés est une situation qui n'est pas sans rappeler le fameux"l'Etat ne peut pas tout" lancé par Lionel Jospin en 1999. Elle garantit surtout qu'Emmanuel Macron ne répondra sûrement pas aux attentes des protestataires ce mardi 27, de quoi nourrir une frustration qui pourrait de nouveau s'exprimer dans la rue –et dans la violence– samedi 1er décembre.

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