Interdiction du glyphosate par Macron : vraiment si facile à faire ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 13 décembre 2017 - 17:55
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Manifestation contre le glyphosate à Foix, le 17 août 2017
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© REMY GABALDA / AFP
Emmanuel Macron souhaite interdire le glyphosate, mais certaines personnes comptent s'y opposer.
© REMY GABALDA / AFP
Emmanuel Macron a annoncé une interdiction du glyphosate d'ici trois ans, juste après que l'Union européenne a opté pour une prolongation de son autorisation de cinq ans. Il est en effet possible pour un Etat membre d'agir contrairement à une décision de l'UE. Mais cette décision pourra cependant être attaquée, rappelle en partenariat avec "France-Soir" Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

La décision de l’Union Européenne de renouveler l’autorisation de l’herbicide glyphosate pour cinq ans a été très commentée.

Cet herbicide est le plus utilisé au monde et entre dans la composition de plusieurs centaines de produits. Les conséquences environnementales et sanitaires font débat. Il est classé "cancérigène probable" par l’Organisation mondiale de la santé mais cet avis est cependant remis en cause par deux agences européennes.

La surprise fut notamment le vote inattendue de l’Allemagne.

Voir: Glyphosate - des eurodéputés veulent contester la nouvelle licence

Immédiatement, la France a pris une position très nette, en s’opposant au choix de l’Union européenne, en se donnant trois ans maximum pour interdire l’herbicide.

Le président Emmanuel Macron a indiqué le 27 novembre: "J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans".

 > La France peut-elle, seule, passer outre une délibération de l’Union Européenne ?

Le gouvernement français ne peut pas directement interdire le glyphosate, ce qui reviendrait à violer une délibération qui relève du droit européen.

Cette interdiction peut être techniquement possible si l’on se fonde sur le principe de précaution pour interdire sur notre territoire l’usage de produits contenant cette substance active.

Ce principe a été inscrit dans la Constitution à partir du 1er mars 2005 qui a introduit dans celle-ci la Charte de l’environnement dont l’article 5 définit les modalités d’usage du principe de précaution: "Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage"

Voir: Glyphosate - de la difficulté de concilier écologie et économie

Le règlement européen pesticide 1107 de l’année 2009 précise que les "États membres ne sont pas empêchés d’appliquer le principe de précaution lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent des produits phytopharmaceutiques"

C’est une clause de sauvegarde qui permet à un Etat membre d’invoquer une mesure d’urgence pour ne pas appliquer une décision européenne, notamment sur les sujets de santé publique, lorsqu’il existe un doute sur la dangerosité d’un produit.

Au terme de l’article 44 de ce règlement européen, un Etat de l’Union Européenne peut retirer à tout moment une autorisation de mise sur le marché "lorsque les exigences ne sont plus respectées", notamment celles permettant de limiter les risques.

Pour atteindre son objectif la France dispose de deux options: Soit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) retire les autorisations de mise sur le marché émises pour l’ensemble des produits contenant du glyphosate. Soit l’Etat fait adopter une loi interdisant les produits contenant du glyphosate.

L’Etat devra apporter la preuve, en s’appuyant sur des études, de la dangerosité pour la santé de produits agricoles traités avec du glyphosate, et pourra interdire l’importation de ces produits, en notifiant cette décision à la Commission européenne. Interdiction possible donc mais pas sans risque car la France peut s’exposer à des poursuites judiciaires de la part des fabricants d'herbicide, notamment au motif d’entrave à la libre circulation des marchandises ou de distorsion de concurrence.

D’autre part, la Commission européenne ou un autre Etat membre pourraient engager un recours en manquement si l’interdiction de la France n’était pas justifiée au regard de l’intérêt général. Enfin les agriculteurs, ou leurs représentants, ou des fabricants d'herbicides pourraient également contester devant les tribunaux administratifs les annulations d’autorisation de mise sur le marché. Certains syndicats d’exploitants agricoles n’ont pas caché qu’ils saisiraient vraisemblablement la justice.

Il est vrai que pourrait se poser aussi la question de l’existence d’une distorsion de concurrence pour les agriculteurs français, à leur désavantage, vis-à-vis de leurs homologues européens 

On le voit avec ce débat, la question de l’échelon pertinent d’action est bien le niveau européen, où doit se poser la question de modèle agricole que nous voulons, alors que la superficie des exploitations n’a cessé d’augmenter avec moins d’agriculteurs, qui sont pour beaucoup en situation de précarité.

 

Sources: 

Le préambule de la constitution de 1958 dispose que "le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004".

Article 1er du règlement 1107/2009: "Les dispositions du présent règlement se fondent sur le principe de précaution afin d’éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l’environnement. En particulier, les États membres ne sont pas empêchés d’appliquer le principe de précaution lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire"

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