Les grands orateurs, une espèce devenue rare à l'Assemblée nationale

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 03 avril 2016 - 20:44
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L'Assemblée nationale remplie.
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©Gonzalo Fuentes/Reuters
"Jean Jaurès venait les mains dans les poches, parlait sans notes pendant trois heures", relate l'historien Jean Garrigues.
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Qu'il paraît loi le temps des Jaurès ou Gambetta, capables de faire basculer les débats à l'Assemblée nationale par leurs envolées oratoires. De l'avis général, à quelques rares exceptions près, le niveau d'éloquence des députés a largement baissé du fait notamment de l'avènement des "petites phrases" calibrées pour la reprise médiatique. Pas de quoi, pourtant, crier au "c'était mieux avant".

Hégémonie des "petites phrases" et de l'immédiateté, débats plus "corsetés", ou encore formation davantage technocratique des élus... les grands moments d'éloquence se raréfient à l'Assemblée nationale, même si des "envols oratoires" s'y font encore entendre.

Un vice-président confiait récemment un de ses plaisirs au "perchoir": le bon niveau général des interventions dans l'hémicycle.

Mais, "aujourd'hui, tout est écrit. Rares sont ceux qui improvisent, et encore plus rares, ceux qui sont capables de faire des citations, des références", regrette Jean-Louis Debré, pour qui "les discours se sont appauvris".

L'ex-président de l'Assemblée (2002-2007) note auprès de l'AFP que "l'éloquence a beaucoup changé depuis la IIIe République", notamment parce que les lois sont "de plus en plus techniques" et à cause d'un "niveau culturel des élus beaucoup moins grand".

Ceux-ci sont "essentiellement des bureaucrates", qui "transvasent dans la parole le rapport écrit", abonde le philosophe et rhétoricien Philippe-Joseph Salazar.

Sur son site, l'Assemblée recense de grands moments d'éloquence, comme lorsque Danton lança en 1792 "de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace". Mais le plus récent, attribué au gaulliste Philippe Séguin, remonte à... 1992.

Pour l'historien Jean Garrigues, s'il n'y a quasiment plus de grands orateurs, capables de "faire basculer des débats", c'est d'abord le fait que "le Parlement a perdu de son influence institutionnelle". Mais c'est aussi parce qu'avec la médiatisation, l'opinion se focalise sur les questions au gouvernement, "des moments de simplification", d'une forme de "politique de la posture", qui ne favorisent pas forcément "la subtilité, la puissance rhétorique".

Pour M. Debré, la médiatisation place les députés "en liberté surveillée". Il évoque "une époque un peu disparue" où les débats étaient "moins corsetés" et une tradition voulant que, "si on ne lisait pas son texte, on pouvait parler autant qu'on voulait".

"Jean Jaurès venait les mains dans les poches, parlait sans notes pendant trois heures, et Gambetta aussi", relate Jean Garrigues. Aujourd'hui, ils sont peu nombreux, car c'est être comme "un trapéziste sans filet", explique à l'AFP Bruno Le Maire, notant qu'à l'ère des réseaux sociaux le moindre faux pas ne pardonne pas. "La petite phrase a remplacé le grand discours, hélas", regrette ce normalien, qui "parle toujours sans notes" pour ne pas être "prisonnier de son discours".

De l'autre côté de l’hémicycle, André Chassaigne, chef de file des députés Front de gauche, reconnaît aussi que "la petite phrase blessante, éphémère" est "beaucoup plus efficace" pour être relayée dans les médias. Mais cet adepte des "formules, proverbes, mots anciens ou citations", qu'il note dans un cahier de façon "presque obsessionnelle", estime que "ce serait dommage au nom de l'immédiateté et du verbe provocant" de ne pas profiter de notre "richesse de vocabulaire, des références littéraires ou politiques".

Parmi les bons orateurs récents, figure, selon M. Garrigue, l'ex-ministre de la Justice Christiane Taubira, "un peu à part" et capable de citer "Hugo, Edouard Glissant, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire…". Manuel Valls, qui a récemment fait imprimer ses deux principaux discours post-attentats, est aussi "un bon orateur d'hémicycle", mais "je n'en vois pas beaucoup d'autres", déclare M. Debré.

M. Garrigues signale tout de même des "moments d'éloquence", avec une "dimension émotionnelle" lors des débats récents sur la déchéance de nationalité, citant par exemple Charles de Courson (UDI), ému aux larmes dans l'hémicycle. Lors du Congrès à Versailles, un florilège de citations s'était aussi invité: Hugo, Churchill, Camus, Clemenceau...

Reste que, pour Philippe-Joseph Salazar, ces "envols oratoires" ont "très peu d'impact parce que les gens ne les voient pas", les télévisions en retransmettant "trois secondes". L'Assemblée, comme le Sénat, sont devenus "des parcs jurassiques de la parole", dit-il. "Les grands votes dramatiques, qui pourraient vraiment fasciner la nation" devraient avoir "autant de téléspectateurs que l'émission de Cyril Hanouna", lance le rhétoricien, avec un brin de provocation.

 

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