Interview d'Emmanuel Macron : l'occasion ratée du président pessimiste

Auteur(s)
Jean-Yves Archer, édité par la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 16 octobre 2017 - 12:21
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Emmanuel Macron s'apprêtant à répondre aux questions de journalistes depuis l'Elysée, le 15 octobre
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© PHILIPPE WOJAZER / X00303/AFP
Une belle occasion a été manquée par Emmanuel Macron, qui a asséné des phrase floues à des Français qui attendaient des réponses.
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Emmanuel Macron a finalement accepté de se livrer au rituel de l'interview à l'Elysée dimanche soir, après un début de quinquennat marqué par les réformes et les critiques. Mais au lieu de profiter de l'occasion pour répondre aux questions des Français et les rassurer, il a livré l'image d'un chef d'Etat pessimiste et coupé du monde, analyse pour "FranceSoir" Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer.

Toute politique mérite d'être explicitée donc à la fois sobrement exposée et ardemment défendue. Le président Macron, en accordant un long entretien télévisé s'est rendu à cette évidence et a compris que le pays a soif de rendez-vous rituels comme l'interview du 14 juillet

Cela étant, en ce 15 octobre, date butoir pour le paiement des taxes foncières, le président de la République n'a pas collé aux attentes enfouies dans le subconscient des citoyens français.

Un homme d'Etat pessimiste

Gramsci est notamment resté célèbre pour sa fameuse interjection: "Il faut avoir le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté!". La volonté, le président Macron la nomme détermination et il a assuré, à plusieurs reprises, ne pas en manquer.

Il faut lui en donner acte sans chercher à ergoter. En revanche, sa densité intellectuelle le rend excessivement pessimiste. Lors de son interview, il aura montré un triste visage et tenu un discours noir sur des thèmes aussi importants que le chômage, la mobilité géographique subie et l'avenir condamné des guichetiers de banques qui apprécieront, dès ce jour, la prophétie mortifère présidentielle.

Emmanuel Macron a dit vouloir récuser "une présidence bavarde" et peu de temps après il a été surprenant dans sa lecture de la Constitution. Il nous a en effet expliqué qu'il prenait "les décisions stratégiques (…) mais que les arbitrages au quotidien étaient pris par le Premier ministre". Or qu'indique l'article 5 de la Constitution: "Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat (fin d'alinéa premier).

Le mot arbitrage a toujours été réservé au président et c'est un abus de langage que de l'octroyer ainsi aux décisions prises par le Premier ministre. Le Chef de l'Etat n'est pas chef du gouvernement et vice-versa. Derrière cette formule hasardeuse se cache un indice de la pratique réelle du pouvoir entre Messieurs Macron et Philippe. La présidence jupitérienne est donc plus complexe qu'envisagée trop souvent par certains médias pressés.

Emmanuel Macron a répété que "la France n'est pas un pays réformable" et qu'il voulait en fait la transformer. Parlant de vouloir, chacun aura noté le recours incessant et lassant du début de phrase: "Je veux". Tout comme chacun aura cherché une lumière d'optimisme dans son propos d'ensemble. Peut-être sa référence furtive à la nomination d'Audrey Azoulay en tant que directrice générale de l'UNESCO?

Il n'est donc franchement pas certain que tous ces mots présidentiels soient de nature à générer l'enthousiasme et donc à alimenter la diffusion de la confiance dans le pays. A persister ainsi, il va casser la dynamique de son relatif état de grâce déjà écorné.

Il est par conséquent contradictoire de nier être un adepte de la pseudo-théorie du ruissellement qui présuppose la confiance des puissants investisseurs libérés (sic) de leur quotité d'ISF et "en même temps" tenir des propos trop alarmistes car laissés sur le sol sans esquisse de solutions. Nous avons eu droit à de brillants diagnostics et à des déclarations de principe davantage qu'à une invitation à cheminer.

Le fondateur d'En Marche! a déjà perdu son bâton de guide de montagne et nous expose les défis, surlignés en rouge, sans pour autant engager un dialogue avec le peuple. Sans endosser une fonction de réassurance susceptible d'alimenter une vraie dose de résilience chez nos compatriotes étranglés par les épreuves.

Il nous affirme qu'il veut vivre "dans un pays où ceux qui réussiront pourront entraîner les autres" et nous sort un joker. A savoir une métaphore: les riches seraient, selon lui, "les premiers de cordée" et feraient avancer les autres ce qui laisse un peu pantois car il y a des gens de talent qui ne courent pas après la réussite matérielle.

Une interview ce n'est pas seulement répondre à des gens de médias, c'est l'occasion précieuse de remplir une fonction tribunicienne de manière d'autant plus impérieuse que son prédécesseur était toujours dans des postures télévisuelles pour le moins baroques. Souvenons-nous de la fierté de François Hollande évoquant sa boîte à outils ou son fameux: "ce n'est pas grave, c'est l'Etat qui paye!".

Ici, le Chef de l'Etat a stigmatisé "les passions tristes de la France", indiqué que son verbe serait aussi fleuri que requis car il "cherche la vérité" et que donc "je nomme!". Voilà l'explication sommaire et presque autoritaire pour "fainéants", "gens de rien" et autre "bordel". Circulez!

Un président en voie d'oblitération

Edouard Herriot, célèbre maire de Lyon, s'est exclamé sous la IVème République: "Il est malin ce Pinay, il s'est même fait une tête d'électeur!". Chacun appréciera mais une chose est acquise, Emmanuel Macron a un cursus de premier de la classe dans un pays où l'on a toujours préféré Raymond Poulidor à Jacques Anquetil. Les saillies verbales du président sur la "jalousie sociale" se fracassent contre des réalités sociales et sociologiques décrites par Pierre Bourdieu ou Stanley Hoffmann. En parler, la désigner du doigt cette fameuse jalousie, c'est une erreur de méthode que n'aurait pas commise l'habile François Mitterrand ou le "cynique patenté" (expression de Dominique Jamet) qu'a souvent été Jacques Chirac.

Le pouvoir isole: nous en avons déjà la preuve. L'Elysée éloigne des bruits du monde. Et ainsi, en moins d'un semestre la façon de penser du président Macron est déjà oblitérée par une forme de coupure avec le monde quotidien. La meilleure preuve? Les Français attendent des réponses sur le chômage, les impôts, l'insécurité et il voit un homme fièrement élu leur asséner des phrases floues et des formules mille fois entendues. Sur l'apprentissage, sur la formation, sur le rôle des branches professionnelles on avait l'impression d'entendre Pierre Bérégovoy en tant que Premier ministre en 1993.

Quelle erreur de hiérarchie des priorités! Quel décideur englué dans son "domaine réservé" (la politique étrangère) à mille lieux des attentes des téléspectateurs. Le jeune Emmanuel Macron a fait son stage long ENA dans une ambassade (au Nigéria): que ne l'a-t-il fait dans une préfecture pour comprendre la physionomie de nos territoires? Son passage dans l'Oise fût incontestablement trop court sauf pour tisser un réseau auprès notamment de feu Henri Hermand.

Sur TF1 et LCI, le président Macron nous a infligé des longueurs sur le sens de son mandat qui serait, en toute simplicité, de "retrouver le fil du destin français" mais il a été objectivement lacunaire et spongieux sur l'éminent dossier de la sécurité.

Derechef, il a fait décrocher celles et ceux qui n'appartiennent pas au camp de ses supporters et gaspillé du temps d'antenne qui aurait pu être dédié à des sujets intérieurs cruciaux. Or ce type d'interview, c'est précisément le format qui permet d'élargir son audience voire son assise électorale.

Une belle occasion a été manquée par cet humaniste éclairé lorsqu'il a dit: "J'aime et j'estime tous les Français". Il fallait, lorsqu'on est taxé de "président des riches" appuyer sur ce point et fendre l'armure.

Le président des riches?

Nous vivons dans un monde de slogans où la pensée étayée est vite déblayée au profit de l'invective. Emmanuel Macron le sait fort bien et pourtant il a été laborieux et peu consistant dans sa défense face à l'anathème de "président des riches". Pas de phrase choc en retour, pas de bon mot capable d'être mémorisé par le corps social. Rien que de la palabre au parfum de technocratie. Là encore, une occasion ratée et qui sait un acte manqué cher aux neurologues ou aux psychanalystes. N'est pas Laurent Fabius ou Charles Pasqua qui veut pour manier le verbe tel une dague.

En tant qu'économiste, je ne souscris pas à sa conviction consistant à énoncer qu'il n'y aura pas d'effet d'aubaine sur le coût de l'indemnisation chômage des salariés démissionnaires. Gilles Bouleau a tenté d'obtenir un chiffre: dans ce cas comme souvent, Emmanuel Macron n'a pas daigné répondre. Il nous dit "je suis prêt à vous fiche mon billet" que ceci, cela attestant de son goût pour l'image dénuée de sens.

Sur l'ISF, il aura repris – sans le citer – la phrase de DSK: un impôt pour les millionnaires mais qui ne gêne pas les milliardaires et sera resté confus sur l'impact de la CSG pour les retraités. Si l'on a bien entendu, le seuil d'assujettissement à la hausse de 1,7 point (soit 25%) se déclenchera à compter de 1.400 euros pour une personne seule.

Ultime point, il a su être humain, et pour une fois compatissant, sur les questions de harcèlement sexuel qui feront probablement l'objet d'un futur texte de loi.

Pour conclure, il est opportun de se référer aux mémoires de Jean-François Revel qui stigmatisait "les processions de fâcheux". Le président Macron risque d'en avoir les désagréments après un grand oral très mitigé où l'agacement était trop souvent perceptible.

Quel curieux paradoxe de tout faire pour devenir président de la République et d'être aussi loin de la câlinothérapie télévisuelle requise pour pouvoir continuer à réformer le pays.

Car la vraie question est là, il existe absolument un seuil de popularité en-deçà duquel un président ne peut plus avoir de grandes ambitions faute de sérieux soutiens. Emmanuel Macron a proclamé: "Sur tout, je fais ce que j'ai dit".

Ceci suppose une adhésion sociétale que l'émission du 15 octobre n'est pas venue renforcer ou même articuler. Le locuteur du soir nous a parlé de "concorde nationale" au sujet de la future politique du logement. Notre pays est loin de cet état d'esprit sur ce délicat sujet.

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