Non, Laurent Fabius n'a jamais dit que le groupe djihadiste al-Nosra "fait du bon boulot sur le terrain"

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Maxime Macé
Publié le 11 avril 2017 - 18:58
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Laurent Fabius.
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©Régis Duvignau/Reuters
On notera par ailleurs que le Font al-Nosra a été placé sur la liste des organisations terroristes de l'Onu en 2014, de l'initiative du Royaume-Uni et... de la France.
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Lors des deux débats présidentiels avant le premier tour, deux candidats ont affirmé que Laurent Fabius avait dit du Front al-Nosra, "qu'il faisait du bon boulot", dénonçant par là une soi-disant complaisance de la France envers le groupe djihadiste. Toutefois, l'ancien ministre des Affaires étrangères n'a jamais vanté les mérite de cette faction de l'opposition syrienne affiliée à al-Qaïda.

Certaines fausses informations ont la vie dure et on les retrouve même chez les candidats à l'élection présidentielle. Ainsi lors des deux débats télévisées d'avant le premier tour de la présidentielle, à cinq et à onze, l'affirmation selon laquelle Laurent Fabius aurait dit de l'ancien Front al-Nosra (actuel Jabhat Fatah al-Cham) qu'il "faisait du bon boulot sur le terrain (syrien, NDLR)" a été reprise par un des participants.

Acte 1 : sur TF1, Marine Le Pen dégaine la première cette théorie du complot, lors du passage du débat portant sur la lutte contre le terrorisme. "On liste les organisations internationales qui sont les ennemis de la France (…): Boko Haram, Al-Qaïda, Etat islamique, Al-Nosra… Ah oui Al-Nosra c’est vrai qu’on en disait le plus grand bien au sein du gouvernement de François Hollande il y a encore quelque mois", s'est exclamé goguenarde la présidente du Front national. Seul Benoît Hamon se permet de la contredire, arguant qu'elle disait "n’importe quoi. C’est grave quand même… Non mais c’est grave d’entendre cela". Marine Le Pen trouve alors un allié en la personne de François Fillon qui renchérit: "Non, c'est vrai".

Acte 2: François Asselineau, candidat complotiste à l'élection présidentielle revient à la charge lors du débat à onze sur BFMTV et CNEWS.  Il a soutenu que, pour le gouvernement français, "al-Nosra" ferait du "bon boulot", sans déclencher la moindre réaction des autres candidats ou des journalistes qui animaient la soirée.

Acte 3: ce mardi 11 au matin, c'est au tour de Nicolas Dupont-Aignan de reprendre cette fausse affirmation au micro de France Inter. Evoquant la situation en Syrie, le candidat de Debout la France affirmé qu'Al-Qaïda "était l'allié de monsieur Fabius et du gouvernement Hollande puisqu'on a livré des armes aux rebelles". Coupé par Patrick Cohen qui lui souligne qu'il s'agit d'une fausse information, NDA réplique sèchement: "J'ai le droit de dire ce que je veux à l'antenne".

Ladite (fausse) citation de Laurent Fabius circule déjà depuis de nombreuses années sur Internet et notamment les réseaux sociaux. Elle tire son origine d'un article du Monde datée du 13 décembre 2012, revenant sur la réunion diplomatique, à Marrakech, lors de la Conférence internationale des amis du peuple syrien, destinée à trouver une solution pour mettre fin à la guerre civile syrienne.

Au cours de celle-ci, Laurent Fabius avait été interrogé sur le placement du Front al-Nosra sur la liste des organisations terroristes reconnues par les Etats-Unis pour ses liens avec Al-Qaïda. Le ministre des Affaires étrangères de l'époque avait alors souligné (comme en témoigne les minutes de la conférence disponibles sur France Diplomatie) que "d'autres pays, je pense à un certain nombre de pays arabes, ont dit que cela ne leur paraissait pas pertinent". Et d'ajouter que "en ce qui concerne la France, nous allons examiner cette question de manière approfondie parce que c'est une question que l'on ne peut pas éluder".

Plus précisément, l'article du Monde rapporte également des propos non-enregistrés où Laurent Fabius précise que "tous les Arabes étaient vent debout" contre la position américaine concernant Jabhat al-Nosra "parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot". Le ministre français ne faisait donc que rapporter une prise de position des pays arabes favorable à l'opposition syrienne et non pas la position de la France par rapport au groupe djihadiste.

Laurent Fabius avait d'ailleurs clarifié ce point lors d'une interview accordée le 16 décembre de la même année sur TV5 Monde. "Il faut faire extrêmement attention. Je suis en train d’étudier tout cela parce que des rapports nous indiquent qu’ils (le Front Al-Nosra, NDLR) ont un lien avec Al-Qaïda et le problème c’est pas simplement aujourd’hui, c’est demain. Il faut toujours avoir le regard prospectif", avait-il indiqué. Et d'ajouter: "Vous aurez noté que autant la Coalition nationale syrienne a désavoué la position américaine, autant elle n’a pas pris dans sa propre représentation les djihadistes car les principes qui sont ceux de la Coalition nationale syrienne sont de respecter toutes les communautés, qu’elles soient minoritaires ou majoritaires, et de respecter les droits de l’homme et la démocratie, ce qui est tout à fait autre chose que la position d’Al-Qaïda".

On notera par ailleurs que le groupe djihadiste a été placé sur la liste des organisations terroristes de l'Onu en 2014, de l'initiative du Royaume-Uni et... de la France. Ce qui venait "souligner la claire distinction qu'il convient d'opérer entre l'opposition démocratique en Syrie, qui a notre plein soutien et que nous souhaitons renforcer, et les éléments terroristes que nous condamnons sans ambiguïté", avait estimé à l'époque à Paris le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Philippe Lalliot.

Par ailleurs, une procédure en justice a même été enclenchée contre l'ex-ministre par des proches de victimes de violences de la part d'Al-Nosra, qui lui réclamaient un euro symbolique. Mais elle a été classée sans suite en 2014.

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