Pasionaria lyrique de la gauche, Taubira est victime de son isolement
C'est son lyrisme, si caractéristique, qui avait contribué à révéler la ministre de la Justice, lors des débats houleux autour du mariage pour tous. "Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir", a-t-elle d'ailleurs lancé sur Twitter ce mercredi 27 janvier, juste après l'annonce de sa démission du gouvernement.
Née à Cayenne le 2 février 1952 dans une famille modeste, diplômée en sciences économiques, en agro-alimentaire, en sociologie et en ethnologie afro-américaine, la députée de Guyane était jusque-là surtout connue pour s'être présentée en 2002 à la présidentielle, sous les couleurs du Parti radical de gauche (2,32% des voix).
En réalité, elle ne s'est jamais liée définitivement à aucun parti. Sympathisante des thèses indépendantistes dans sa jeunesse, elle a fait ses en politique en remportant en 1993 les législatives avec son mouvement le Walwari (divers gauche), créé avec son mari Roland Delannon, dont elle aura quatre enfants et dont elle a divorcé. Elle a également été députée européenne de 1994 à 1999.
Ce n'est donc pas une débutante qui monte au créneau pour défendre le droit des homosexuels à se marier. Petite femme au regard clair, sanglée dans ses tailleurs pantalons, tressée de près, elle bataille jour et nuit à l'Assemblée nationale, où elle se rend parfois à vélo. A une droite parfois déchaînée, elle répond en citant René Char, Emmanuel Lévinas, le poète guyanais Léon-Gontran Damas, et des extraits du code civil.
La voilà propulsée pasionaria de la gauche. Mais aussi, par réaction, cible préférée de la droite, surtout de sa frange la plus dure. Le député des Alpes Maritimes Eric Ciotti (Les Républicains) a été mercredi l'un des premiers à se "réjouir" de sa démission, qui selon lui doit "marquer la fin de la dérive laxiste que connaît notre justice depuis 2012".
Quand les confrontations politiques dérivent vers l'attaque raciste - la presse d'extrême-droite la compare à un singe, des manifestants lancent des bananes à son intention - Christiane Taubira, qui a donné son nom en 2001 à une loi qui reconnaît la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité, répond par le mépris.
Mais, passée la fièvre du mariage pour tous, à la Chancellerie, Christiane Taubira peine à imposer ses idées. Après avoir perdu ses arbitrages sur la réforme pénale, l'un de ses projets phare, la réforme de la justice des mineurs, qu'elle veut moins répressive, s'enlise.
Un incident le 2 décembre dernier illustre cet isolement: Le Monde est contraint de retirer une interview de Fleur Pellerin, titrée "Christiane (Taubira) cite René Char, moi je sais gagner mes arbitrages". La ministre de la Culture assure n'avoir jamais prononcé ces mots.
Mais la garde des Sceaux reste en poste, quand d'autres figures de la gauche de la gauche, Arnaud Montebourg ou encore l'écologiste Cécile Duflot, sont partis depuis longtemps.
Mais les attentats de 2015, en janvier puis novembre, et l'empilement des mesures sécuritaires ont rendu sa position intenable. Celle qui ne fait aucun mystère de son caractère, affirmé jusqu'à être cassant - y compris avec ses collaborateurs -, a sans doute scellé son destin en proclamant haut et fort son opposition à un projet de l'exécutif à haute valeur symbolique, la "déchéance de nationalité".
Lundi dernier, la ministre de la Justice, qui se savait déjà sur le départ, présentait ses voeux à la presse et au monde judiciaire.
Elle en a profité pour s'interroger tout haut sur la mise à l'écart des juges judiciaires dans la riposte antiterroriste. Comme pour lancer un avertissement, elle a promis à ce sujet une "bataille" dans les mois à venir.
Reste à savoir comment Christiane Taubira, redevenue un électron libre, entend y prendre part.
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