Protection de l'enfance contre les violences sexuelles : le bilan insatisfaisant du quinquennat

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Laurence Beneux, pour FranceSoir
Publié le 22 avril 2022 - 15:53
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Emmanuel Macron, en meeting à Strasbourg le 12 avril 2022
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F. Froger / Z9, pour FranceSoir
Voeu pieux ? "Côté protection des enfants, le bilan du quinquennat n’est pas glorieux, quelques avancées ne pouvant masquer des reculs inédits dans la protection des mineurs."
F. Froger / Z9, pour FranceSoir

Avant l'élection présidentielle, tandis que la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) rendait publiques des recommandations saluées par les professionnels de la protection de l’enfance, l’association « Innocence en danger », soutenue par Karl Zéro, interpellait les candidats sur les mesures qu’ils comptaient prendre pour renforcer la protection des enfants contre les prédateurs sexuels.

Si presque tous les candidats ont répondu aux questions de l’ONG, le bilan n’en est pas moins décevant : seuls Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon affichent des mesures spécifiques pour la protection de l’enfance dans leur programme. Le candidat Emmanuel Macron, quant à lui, n’a pas jugé utile d’honorer d’une réponse les défenseurs de la cause des enfants.

Il faut dire que côté protection des enfants, le bilan du quinquennat n’est pas glorieux, quelques avancées ne pouvant masquer des reculs inédits dans la protection des mineurs.

Il faut dire aussi que peu d’associations de défense de l’enfance voient d’un bon œil le signal, envoyé par le couple présidentiel, d’une impunité au regard de la loi protégeant les mineurs. Histoire d’amour ou pas, même la page Wikipédia de Brigitte Macron rappelle que cette dernière était passible, au début de sa relation avec Emmanuel Macron, de poursuites pénales qui n’ont pas eu lieu.

Certes, le quinquennat a vu l’allongement du délai de prescription concernant les crimes sexuels sur mineurs, porté en 2018 de 20 à 30 ans après la majorité de la victime. Cela est dû notamment au retentissement du livre de Flavie Flament qui révélait avoir été victime du photographe David Hamilton dans son enfance, et qui a accéléré la reconnaissance de l’amnésie traumatique. La loi du 21 avril 2021 signe une autre avancée dans le domaine de la prescription, la notion de « prescription glissante » pour les prédateurs sexuels. Cela signifie que la commission d’un nouveau crime sexuel interrompt la prescription pour les crimes de même nature précédemment commis par un criminel. Cela évite la situation ubuesque où certaines victimes d’un même prédateur sexuel peuvent obtenir justice devant un tribunal, tandis que d’autres en sont privées au motif qu’elles ont été victimes il y a plus longtemps que les premières.

La qualité du travail de la Ciivise, mise en place par Adrien Taquet, fait l’unanimité chez les spécialistes de la défense des enfants, et ses recommandations répondent à des demandes formulées par de nombreuses associations et victimes.

Voir aussi : Inceste et violences sexuelles : les premières propositions attendues de la Ciivise

Pour autant, si la France sait se doter d’organes de contrôle qui rendent des rapports de qualité et créer des commissions qui font des recommandations extrêmement pertinentes, les politiques français ont tendance à ignorer superbement ces travaux, pour peu qu’ils mettent le doigt sur des problèmes qu’ils n’avaient pas pour projet de résoudre. De mauvaises langues diront même que les politiques ont tendance à créer des commissions en lieu et place de l’action. Les « Grenelle » et autres « Ségur » ont souvent pour caractéristique d’accoucher de souris en matière de décisions politiques.

Concernant la protection de l’enfance, les institutions semblent même souffrir d’amnésie, en ignorant des mesures de protection qui existent déjà !  

Ainsi, la Ciivise préconise de « suspendre les poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins protecteurs qui effectuent des signalement durant la durée de l’enquête pénale pour violences sexuelles contre un enfant ». La commission poursuit le but louable de faciliter le repérage des enfants victimes, et dans ce contexte, il est préoccupant de constater que des médecins sont encore condamnés par le Conseil de l’Ordre pour « immixtion dans les affaires de familles » après avoir signalé leur soupçons de maltraitance à la justice. Seulement « suspendre », ce n’est pas « interdire », et finalement, la commission ne demande que l’application de la loi, et surtout une application amoindrie de la loi. En effet, dès 2003, une loi portée par la députée Henriette Martinez avait purement et simplement enlevé au Conseil de l’Ordre des médecins la possibilité de sanctionner disciplinairement un médecin qui aurait signalé à « l’institution judiciaire » ses soupçons de violences sexuelles sur mineurs, et ce, quelle que soit l’issue judiciaire du signalement. Certes, le Conseil de l’ordre a, au fil du temps, cessé de respecter cette loi, mais enfin on peut se demander pourquoi il ne suffirait pas de la lui rappeler !

Seule décision politique issue des avis de la Ciivise à ce jour : un décret du 23 novembre 2021 qui dispose qu’il faut vérifier les allégations de violences sur mineur avant de poursuivre un parent qui n’aurait pas présenté un enfant pour un droit de visite, au motif qu’il soupçonnait l’autre parent de s’être rendu coupable de violences contre l’enfant. Autrement dit, la justice est priée de s’informer avant de poursuivre un parent qui a eu pour unique préoccupation de protéger son enfant, et d’enquêter quand il y a soupçon de maltraitance… À la bonne heure !

Autre cas où nos institutions ont montré une propension préoccupante à l’amnésie juridique : le principe de majorité sexuelle.

La définition de la majorité sexuelle, encore réaffirmée en 2012 par le Conseil constitutionnel, est claire : c’est l’âge « à partir duquel un mineur peut valablement consentir des relations sexuelles (avec ou sans pénétration)  à condition que cette dernière ne soit pas en position d’autorité à l’égard du mineur », donc a contrario, l’âge en deçà duquel il n’y a pas de consentement valable. Cet âge est de 15 ans depuis 1945, sauf quand le majeur est en position d’autorité, la majorité sexuelle rejoignant alors la majorité tout court : 18 ans. On apprenait d’ailleurs en cours de droit pénal, jusqu’au début des années 2000, qu’une relation sexuelle avec pénétration entre un majeur et un mineur, de 15 ou 18 ans selon les circonstances, méritait la qualification de viol.

Il est vrai que, depuis des années, les tribunaux rechignaient à appliquer cette définition historique (rappelée par le Conseil Constitutionnel), mais elle n’en existait pas moins.

Il est donc étonnant que Nicole Belloubet plaide pour une absence de consentement « irréfragable » en dessous d’un certain âge, quand en 2018, une décision de justice suscite une indignation populaire massive : la plainte pour viol sur une enfant de 11 ans par un homme de 28 ans est requalifiée en « atteinte sexuelle » par le tribunal, au motif que cette dernière aurait été consentante. Cet âge en dessous duquel on ne peut « valablement consentir » existe déjà, et c’est 15 ans. Il est encore plus curieux que le gouvernement ait ensuite renoncé à rappeler, dans la loi Schiappa, ce seuil d’âge où la question du consentement ne pose pas, en arguant que le Conseil constitutionnel risquait de rejeter ce qui n’était que sa propre définition de la majorité sexuelle !

D’ailleurs, la loi du 21 avril 2021 y revient, sans censure du Conseil constitutionnel, en y ajoutant cependant une notion de différence d’âge (appelée « clause Roméo et Juliette », à ce détail près Roméo et Juliette étaient tous deux mineurs dans la tragédie de Shakespeare publiée en 1597…) qui constitue un recul dans la protection des mineurs de 15 ans : « constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans ».

La loi de 2021 voit aussi l’inscription du terme « inceste » dans le Code pénal. Cette inscription, qui répond à une demande des victimes d’inceste qui voulaient voir reconnue la spécificité du crime sexuel familial, ne change concrètement pas grand-chose : le crime par ascendant ou personne ayant autorité était déjà une circonstance aggravante. Il constitue cependant une satisfaction symbolique pour les victimes qu’on peut saluer.

Mais ce qui change, et constitue un sérieux recul pour la protection des mineurs, c’est que l’exception d’une position d’autorité, mentionnée par le Conseil Constitutionnel et portant la majorité sexuelle à 18 ans, n’est plus recherchée que dans le seul cadre familial. Autrement dit, l’ascendant de fait qu’exercent certaines professions n’est plus pris en compte par la loi pour écarter systématiquement la possibilité de consentement valable en matière de relations sexuelles avec des mineurs de 18 ans. Les professeurs, coachs sportifs, éducateurs… peuvent plaider le consentement d’adolescents de 15 ans, pour échapper à des poursuites criminelles lorsqu’ils ont eu des relations sexuelles avec ces derniers. Ne sont considérés systématiquement comme viol sur un mineur de 18 ans que les actes de pénétration commis par un majeur ayant autorité dans la seule sphère familiale.

Voir aussi :
"Slalom" : une apprentie championne sous emprise, le revers toxique de la médaille

Pédocriminalité : "Leur terreur, c'est que les gens descendent dans les rues pour ça" Karl Zéro

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