Sarkozy et les soupçons de financement libyen : des accusations mais pas de preuves
Pas de preuves, pas de condamnation. Des témoignages et des opérations suspectes: les enquêteurs mènent des investigations d'envergure sur les accusations de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 par le régime libyen de Mouammar Kadhafi, mais n'en ont pas obtenu la preuve, selon les éléments de l'enquête dont l'AFP a eu connaissance.
Mars 2011: en pleine insurrection libyenne, et alors que Paris vient de reconnaître l'opposition comme seul partenaire, un fils de Kadhafi, Seif al-Islam, lance les premières accusations sur Euronews: "il faut que Sarkozy rende l'argent". Sans fournir de preuve.
Un an plus tard, entre les deux tours de la présidentielle perdue par Sarkozy, Mediapart publie une note accréditant un financement d'environ 50 millions d'euros, signée de l'ex-chef des renseignements Moussa Koussa. Un faux grossier, accuse Nicolas Sarkozy, dont la plainte s'est soldée par un non-lieu. Il a fait appel.
En décembre 2012, l'homme d'affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l'affaire Karachi, accuse à son tour. L'enquête est confiée à des juges d'instruction en avril 2013.
"Comment serait-il possible que le virement d'une telle somme", 50 millions, "n'ait laissé aucune trace dans une banque", à l'heure de la cellule antiblanchiment Tracfin, avait demandé Nicolas Sarkozy aux juges enquêtant sur le document de Mediapart. Et pourquoi Kadhafi n'a-t-il avancé aucune preuve de son vivant, alors que l'intervention internationale en Libye a duré des mois, avait-il ajouté lors de son audition comme partie civile, en octobre 2013.
Aux accusations de Seif el-Islam, détenu et condamné à mort en Libye, se sont ajoutées celles, posthumes, de Mouammar Kadhafi. En octobre 2013, un avocat de l'ex-Premier ministre Baghdadi al-Mahmoudi a confirmé aux policiers que ce dernier lui avait parlé d'un financement de 50 millions d'euros, lors de confidences recueillies à l'automne 2011, au parloir d'une prison tunisienne, avant son extradition pour Tripoli.
D'autres protagonistes ont confirmé cette hypothèse: l'ex-interprète de Kadhafi, Moftah Missouri, un témoin sous X travaillant dans l'entourage du dictateur; l'un de ses cousins, Ahmed Kadhaf Al Dam; ou encore l'ancienne responsable des "amazones", ces femmes qui entouraient le Guide, Zorah Mansour. Mais les sommes évoquées par les témoins varient de quelques millions à 50.
Les juges ont aussi obtenu la communication de carnets de Choukri Ghanem, l'ex-ministre du Pétrole, qui mentionne un financement. Mais il ne pourra pas être interrogé sur ses écrits énigmatiques: il a été retrouvé noyé dans le Danube, à Vienne, fin avril 2012. Quant à Moussa Koussa, l'ex-patron des renseignements, il avait immédiatement réfuté un financement, puis s'était montré sibyllin dans l'enquête sur le document de Mediapart.
La justice du Qatar, où il vit désormais, a fait savoir qu'il avait montré lors d'une audition "son incapacité physique et mentale définitive", en relevant "l'incohérence de ses propos et son extrême fatigue", selon un courrier reçu par les juges en avril.
Les tableaux de Claude Guéant: les enquêteurs ont découvert que l'ex-secrétaire général de l'Elysée avait perçu 500.000 euros sur un compte, le 3 mars 2008, en provenance d'une société d'un avocat malaisien. Les raisons invoquées par Claude Guéant, la vente de deux toiles, n'ont pas convaincu les juges qui l'ont mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale.
Grâce à un signalement de Tracfin, ils ont aussi découvert que l'avocat malaisien avait reçu une somme similaire quelques jours plus tôt d'un homme d'affaires saoudien, Khalid Ali Bugshan, également mis en examen. Si les investigations ne montrent pas que l'argent vient de Libye, les liens entre ces protagonistes mènent à ce pays. Les juges s'interrogent notamment sur le rôle d'un banquier franco-yéménite, qui apparaît en lien avec la famille Bugshan, avec l'ex-argentier du régime libyen Bachir Saleh, et avec l'homme d'affaires français Alexandre Djouhri, proche de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy.
Des détournements derrière une villa? Les investigations ont mené à Mougins, dans le sud de la France, où une villa a été achetée dix millions d'euros en 2009 par le Lybian African Portfolio, fonds libyen que gérait Bachir Saleh. "Le montage mis en place semble avoir été fait pour assurer le maximum d'opacité", ont noté les juges, qui soupçonnent Alexandre Djouhri d'en avoir été le dernier propriétaire et donc le véritable vendeur. En septembre, le parquet national financier a étendu l'enquête aux délits présumés de détournements de fonds publics et de corruption. Contacté par l'AFP, l'avocat d'Alexandre Djouhri n'a pas souhaité répondre. Convoqué chez les enquêteurs en septembre, son client ne s'y est pas rendu.
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