Twitter Files, partie 3 et 4 : comment les anciens dirigeants du réseau social ont violé les règles pour bannir Donald Trump

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FranceSoir
Publié le 12 décembre 2022 - 15:05
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Ces nouveaux volets retracent le contexte autour de la suspension “permanente” du compte de l’ex-président des États-Unis Donald Trump.
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Les parties 3 et 4 des Twitter Files ont été dévoilées. Les journalistes Matt Taibbi, Bari Weiss et l’auteur Michael Shellenberger font, l’un après l’autre, de nouvelles révélations sur les activités de l’ancienne équipe du réseau social. Ces nouveaux volets retracent le contexte autour de la suspension “permanente” du compte de l’ex-président des États-Unis Donald Trump.

Le collaborateur d’Elon Musk dans cette affaire évoque “une érosion des normes”, une “violation de la politique” de Twitter et une “interaction continue” avec les agences fédérales de la part des responsables du réseau social. Les faits sont survenus entre octobre 2020 et janvier 2021, c’est-à-dire avant, pendant et peu après les élections présidentielles remportées par le démocrate Joe Biden. “Tout le monde sait ce qui s'est passé entre les émeutes au Capitole le 6 janvier et le retrait du président Donald Trump de Twitter le 8 janvier... Nous allons vous montrer ce qui n'a pas été révélé”.

Un processus préparé “des mois auparavant”

Dans son thread, Matt Taibbi, révèle que le débat parmi les employés de Twitter sur l’interdiction ou non de Donald Trump sur la plateforme a eu lieu entre le 6 et le 8 janvier. Toutefois, dit-il, “le cadre a été posé dans les mois précédant les émeutes du Capitole”. Il explique que les dirigeants de Twitter, à l’approche des élections et “peut-être sous la pression des agences fédérales à laquelle ils étaient de plus en plus confrontés, se démenaient avec les règles” et les politiques de Twitter. “Ils ont commencé à parler de ‘violations’ comme prétextes pour faire ce qu'ils auraient probablement fait de toute façon”, affirme-t-il.

Matt Taibbi explique que le 8 octobre 2020, des dirigeants du réseau social, dont Roth Yoel, VIjaya Gadde et l’ex-avocat du FBI, Jim Baker, licencié la semaine dernière par Elon Musk, “ont ouvert un canal sur Slack (Ndlr : application de messagerie), pour discuter des suppressions liées aux élections" en particulier celles qui impliquent des comptes “très médiatisés”, appelés “Very Important Tweeters”, qui étaient, par ailleurs, soumis aux outils de contrôle de visibilité évoqués par Bari Weiss.

À partir de là, Twitter devenait “un mélange unique” entre une “application automatisée basée sur des règles” et une “modération subjective de ses cadres supérieurs”. “Ce dernier groupe (...) en tension avec l’équipe des opérations de sécurité qui se basait sur les règles (...) était une Cour suprême de modération à grande vitesse, rendant ses décisions à la volée, souvent en quelques minutes en se basant sur des suppositions, des appels intestinaux, même des recherches Google, y compris dans les affaires impliquant le président”.

Matt Taibbi et Michael Shellenberger ont ainsi partagé des captures d’écran de conversations entre ces employés sur Slack se demandant, par exemple, si des mots utilisés par Trump ou d’autres personnalités très suivies à propos des élections pouvaient faire l’objet d’une suspension ou pas.

Le FBI, “partenaire” de modération

Ce troisième volet des Twitter Files révèle également le rôle joué par le FBI dans la modération de contenus autour des élections. Il était d’abord question de définir le rôle joué par le FBI et les autres agences de renseignement dans la modération de contenus. Le Directeur des politiques, Nick Pickles, suggérait ainsi à d’autres employés de décrire le FBI dans les politiques comme des “partenaires” grâce auxquels Twitter “détecte les fausses informations” et suspendait des profils.

Le bureau fédéral prenait également de l’avance en communiquant à Twitter des tweets portant sur les élections. “Ici, le FBI envoie une paire de tweets, dont le second implique un ancien conseiller républicain du comté de Tippecanoe en Indiana nommé John Basham, qui affirme qu'entre 2% et 25% des bulletins de vote par courrier sont rejetés pour erreurs”, lit-on.

Le signalement du FBI est vite relayé sur Slack. Des employés de Twitter ont cité le média Politifact pour dire que la première histoire s'était “avérée fausse” tandis que le second tweet était déjà considéré comme “ne violent pas” les règles.

Outre les messages sur Slack de Roth Yoel évoquant les réunions avec le FBI et le Département de la Sécurité intérieure des États-Unis, Matt Taibbi dévoile aussi un de ses messages sur l’histoire du "laptop" de Hunter Biden. “On a bloqué l'histoire du NYP, puis on l'a débloqué (mais on a dit le contraire) ... les journalistes nous prennent pour des idiots...”

L’auteur Michael Shellenberger a pris le relais dimanche 11 décembre, pour relater dans le cadre du quatrième volet des Twitter Files ce qu'il s'est passé “les derniers jours” avant la suspension du compte de Trump, à partir du 6 janvier 2021. Dans son thread, il évoque d’abord la pression que subissaient Twitter et son CEO, Jack Dorsey, pour suspendre le compte du 45 e président des États-Unis.

“Pendant des années, Twitter a résisté aux appels à interdire Trump”, rappelle Shellenberger, rappelant un tweet du réseau social en 2018 selon lequel “bloquer un leader mondial bloquerait des informations importantes... et entraverait la discussion nécessaire autour de ses paroles et de ses actions”.

Donald Trump, “l’exception”

Toutefois, après les évènements du 6 janvier, les pressions extérieures se multipliaient, dit-il. Il cite l’ex-première dame, Michelle Obama ou d’autres personnalités qui appelaient à bannir Trump. Dans son thread, le fondateur de l'association Environmental Progress rappelle que “Dorsey était en vacances en Polynésie française la semaine du 4 au 8 janvier 2021. Il a participé à des réunions mais a délégué une grande partie de la gestion de la situation aux cadres supérieurs Yoel Roth, responsable mondial de la confiance et de la sécurité de Twitter, et Vijaya Gadde, responsable de Juridique et politique”. Des cadres qui avaient maintes fois agi, selon les premières révélations des Twitter Files par Matt Taibbi, sans informer leur dirigeant.

Jack Dorsey a envoyé le 7 janvier un e-mail aux employés, rappelant que “Twitter doit rester cohérent dans ses politiques, y compris le droit des utilisateurs de revenir sur Twitter après une suspension temporaire”. De son côté, Yoel Roth écrit à ses collègues que “Jack vient d'approuver le système de récidive” permettant de suspendre un compte au motif d'une atteinte à l'“intégrité civique". Cette nouvelle approche consiste à suspendre un compte de manière permanente au bout de cinq infractions.

Le 7 janvier, les cadres supérieurs de Twitter, “qui sont en majorité progressistes et proches des démocrates", rappelle-t-il, “créent des justifications pour interdire Trump”, “tentent de trouver un changement de règle pour Trump uniquement, qui ne concernent pas les autres dirigeants politiques” et “n'expriment aucune inquiétude quant aux conséquences d'une interdiction sur la liberté d'expression et la démocratie”. 

Les captures d’écran dévoilées par Michael Shellenberger démontrent que “l'échange entre Roth et ses collègues montre clairement qu'ils avaient poussé Jack Dorsey à approuver de grandes restrictions sur le discours autorisé à propos des élections”. Yoel Roth poursuit en soulignant que Donald Trump “n’a qu’un seul coup restant” avant une cinquième infraction et un bannissement.

Le 8 janvier, Twitter annonce une interdiction permanente de Trump en raison du "risque de nouvelles incitations à la violence". Le réseau social explique que son interdiction est basée sur "la façon dont les tweets de Trump sont reçus et interprétés".

La plateforme a ainsi violé la partie de la politique portant sur l’intérêt public, qui “autorise le contenu des élus, même s'il enfreint les règles de Twitter, s'il contribue directement à la compréhension ou à la discussion d'un sujet d'intérêt public”. "Dans ce cas précis, nous modifions notre approche d'intérêt public pour son compte...", a écrit Roth Yoel.

Michael Shellenberger, par ailleurs militant écologiste qui s’est fait connaître en dénonçant “l’alarmisme climatique”, souligne qu’un “seul employé était sérieusement préoccupé” par la manière avec laquelle Twitter a banni le compte de Twitter. Il évoque aussi l’usage, très répétitif, du terme “one off” (ndlr : une fois, ponctuel) lorsque des suspensions étaient décidées, preuve, selon lui, du “pouvoir discrétionnaire” des dirigeants de Twitter.

Trump banni pour “l’ensemble de ses actions”

Rappelant les outils de contrôle de visibilité et les listes noires dévoilés par Bari Weiss, il ajoute que les mêmes dirigeants y avaient recours pour “désamplifier le discours” qui invalidait les élections. D’ailleurs, fait-il remarquer, “les tweets critiquant Trump MAIS également les élections ou la censure de Twitter étaient quand même supprimés”.

Michael Taibbi explique ainsi que les dirigeants de Twitter ont retiré Trump en partie du "contexte environnant", c’est-à-dire “les actions de Trump et de ses partisans au cours de de son mandat".

Le premier journaliste à avoir divulgué les Twitter Files affirme même dans son thread que les dirigeants de Twitter se sont préparés "à interdire [de la plateforme] les futurs présidents et les Maisons-Blanches – peut-être même Joe Biden". La "nouvelle administration", dit un dirigeant, "ne sera pas suspendue par Twitter sauf en cas d'absolue nécessité".

Vendredi 2 décembre, une première série de documents prouvant une “ingérence” de Twitter dans les précédentes élections américaines à travers le scandale lié à l'ordinateur portable de Hunter Biden, le fils de l’actuel président des États-Unis Joe Biden, ont été publiés par le journaliste Matt Taibbi.

Les échanges démontrent que l'équipe de Joe Biden demandait aux employés de Twitter de supprimer du contenu politique spécifique en octobre 2020, quelques semaines seulement avant son élection à la présidence des États-Unis. Les employés du réseau social ont délibérément suspendu et censuré des liens sur cette affaire, prétextant une infraction à la politique de la plateforme en matière de “matériel piraté”.

"Si Twitter approuve les enchères d'une équipe avant une élection en fermant les voix dissidentes lors d'une élection cruciale, c’est la définition même de l'ingérence électorale", a déclaré Musk. Et d'ajouter : "Franchement, Twitter agissait comme un bras du Comité national démocrate, c'était absurde”.

Interrogé lors d’un chat audio dans lequel il a évoqué le risque important qu’il soit assassiné, Elon Musk a affirmé avoir autorisé "un accès sans entrave" à d’anciens documents internes aux deux journalistes. “Je ne contrôle pas le récit. Il est tout simplement évident qu'il y a eu beaucoup de contrôle et de suppression d'informations, y compris des choses qui ont affecté les élections... “, avait-il dit.

Le patron de Tesla apprendra quelques jours plus tard que l'avocat de Twitter, aussi un ancien avocat du FBI, Jim Baker, a procédé à la vérification, voire à la censure du premier lot des “Twitter Files", “sans que la nouvelle direction en soit informée”. Il a annoncé l’avoir viré.

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