Autriche : deux partis du "Great Resist" participent à la course à la présidentielle

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Moufid Azmaïesh, pour FranceSoir
Publié le 25 juillet 2022 - 14:10
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Le Parlement autrichien, le 22 avril 2015 à Vienne
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AFP Archives / Joe Klamar
Le Parlement autrichien, le 22 avril 2015 à Vienne.
AFP Archives / Joe Klamar

CHRONIQUE - Les deux tours de l'élection présidentielle autrichienne auront lieu le 9 octobre et le 6 novembre 2022.

Occupé depuis six ans par l'ancien porte-parole du Parti Vert Alexander van der Bellen, le poste de président, en théorie honoraire, confère des pouvoirs considérables à qui sait les utiliser, dont celui de nommer le chancelier et les ministres.

Dans ce pays où trois chanceliers se sont succédé en l'espace d'un an (Kurz, von Schallenberg, Nehammer), l'aristocrate van der Bellen, fervent écologiste et européiste, candidat à sa propre succession, ne fait pas précisément l'unanimité auprès de ses neuf millions de concitoyens. Frappés de plein fouet par les confinements, les injonctions à la vaccination contre le Covid-19 et les conséquences économiques des sanctions antirusses, les Autrichiens font montre de plus en plus de leur hostilité à l'Union européenne – que le pays n'a rejoint qu'en 1995 - et aux thèses écologistes prônant la décroissance.

Partageant une frontière avec sept nations (Allemagne, Suisse, Italie, Slovénie, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie), la situation de l'Autriche est non seulement singulière à cet égard, elle est aussi stratégique tant vis-à-vis de l'ancien Bloc de l'Est que de l'Europe méridionale et occidentale. Carrefour diplomatique, siège de nombreuses organisations internationales, l'Autriche est depuis la Seconde Guerre mondiale un pays neutre. Sa neutralité, inscrite dans la Constitution depuis 1955, est un pilier de l'identité nationale pour une majorité d'Autrichiens, très réticents à rejoindre l'OTAN (le pays n'est pas membre, mais détient le statut de "pays associé").

Parmi la quinzaine de candidats qui se lancent dans cette course à l'élection, c'est dans ce contexte que deux candidatures à la présidence, passées sous silence par la presse mainstream, sont à signaler.

Le 27 juin 2022, le parti "Menschen Freiheit Grundrechte" (MFG, "L'humain, la liberté, les droits fondamentaux"), créé en février dernier en opposition aux restrictions sanitaires, a annoncé qu'il présentera l'avocat Michael Brunner comme candidat à la Présidence. Le 12 juillet, le FPÖ (Freiheitspartei - Parti de la Liberté) annonçait de son côté la candidature du Dr Walter Rosenkranz, musicologue de formation, député et juriste.

Si le FPÖ, toujours présenté dans la presse comme « d'extrême droite », eu égard à sa position sur l'immigration de masse, détient déjà 30 des 183 sièges au Parlement, le MFG n'a pas encore de députés fédéraux.

Rejoint par une petite armée de médecins, scientifiques et dirigeants de PME, le MFG a créé la surprise, et chez certains la panique, en obtenant dans les élections régionales de septembre 2021 en Haute Autriche 6,4 % des voix, sans soutien médiatique, mais attirant tout de même l'attention de la revue anglaise de politique The Spectator.

Quoique le MFG et FPÖ ne semblent pas, du moins pour l'instant, vouloir unir leurs forces, ce sont bien ces deux partis qui, en mobilisant des centaines de milliers d'Autrichiens, ont amené le gouvernement autrichien à retirer la loi du 20 janvier, intitulée loi fédérale sur l’obligation de vaccination contre le Covid-19

L'histoire de cette loi est pour le moins curieuse. Adoptée par le Parlement autrichien le 20 janvier, ratifiée le 3 février, théoriquement entrée en vigueur le 5 février 2022, elle a été « temporairement » suspendue du 9 mars au 31 mai 2022, puis définitivement retirée le 23 juin 2022, sans jamais avoir connu d'application pratique.

On se souviendra de l'appel de Herbert Kickl, chef de FPÖ, exhortant les parlementaires à rejeter la Loi le 20 janvier 2022 intitulé « Hören Sie auf Ihr Gewissen » (N'écoutez que la voix de votre conscience. Cet appel est le point culminant d'une série de discours dont celui du 25 octobre 2021 (transcription complète et vidéo ici). Si l'appel n'a pas abouti du premier coup, il a effectivement fait son chemin dans les consciences aboutissant d'abord à sa suspension début mars 2022 puis à son retrait définitif le 23 juin.

Or, l'Autriche, dont la population n'est que de 9 millions, était vraisemblablement censé devenir un autre terrain expérimental vaccinal tel Israël, si on en croit par exemple The Guardian qui décrit complaisamment la Loi portant l'obligation vaccinale comme ayant soulevé « beaucoup d'intérêt au niveau international ».

Pour ne pas avoir à reconnaître cette défaite pourtant majeure pour les laboratoires et la Commission européenne, Johannes Rausch, le ministre autrichien de la Santé, avait justifié le retrait de la loi par la nécessité de rassembler les citoyens contre l'inflation et les pénuries de combustible à venir dans le contexte de la guerre en Ukraine, plutôt que de les diviser sur la question des « vaccins ».

Las ! Après les « vaccins », FPÖ et MFG dénoncent avec autant de véhémence la politique des sanctions anti-russes et les fauteurs autrichiens de guerre.

En effet, par son attitude pro-sanction et anti-russe, l'actuel gouvernement du Chancelier Nehammer « assume » de mettre en danger la neutralité autrichienne. La presse fait sans cesse écho d'injonctions à rejoindre l'OTAN tandis que les intellectuels et hommes d'affaires d'envergure sont placés sous pression. Ainsi, l'ex-ministre des Affaires étrangères Karin Kneissl a été contrainte fin mai de démissionner de ses responsabilités à Rosneft, société gazière russe.

Prenons comme exemple l'hebdomadaire Profil qui publiait le 26 juin un éditorial titré  Serions-nous déjà fatigués de faire la guerre ? Poutine ne l'est pas !

Très long, l'article de Profil est un exercice de rhétorique otanienne : « Poutine serre les écrous et menace de couper le gaz aux Européens… le tempo des paquets de sanctions ralentit. Si le peuple (occidental) ne marche pas avec, le prix politique des mesures sera trop élevé... Dans la mesure où le soutien de l'OTAN à l'Ukraine faiblirait, ce sera pour les armées russes le signal d'avancer aussi loin que le souhaitera Poutine... »

Le 7 juillet, le porte-parole de MFG pour Vienne, Maître Georg Prchlik, commentait ainsi l'éditorial :

« Nous serions déjà fatigués de la guerre dîtes-vous ? Seul un Parti de la guerre peut l'être et c'est ainsi qu'il faut comprendre le rôle ainsi assigné à l'Autriche contre la Fédération de Russie. L'hebdomadaire Profil ne fait pas que trahir la neutralité de notre pays – dépeindre la Russie de la sorte pourrait bien déclencher une réaction de la part de cette dernière et plus particulièrement pour ce qui est de l'approvisionnement en gaz... Notre peuple doit se réveiller et s'assurer que son gouvernement s'engage en faveur des intérêts de l'Autriche, c'est-à-dire pour la neutralité, plutôt que de faire le beau devant les fauteurs de guerre ».

Dans les faits, l'Autriche livre-t-elle déjà des armes à l'Ukraine ? Difficile à dire. Selon le Chancelier Nehammer, son pays ne livrerait « que » du matériel militaire de « protection », des casques, et incroyable mais vrai, du combustible. Cependant, alors que la Hongrie, pourtant en théorie membre de l'OTAN, interdit tout passage d'armes par voie aérienne ou terrestre sur ou au-dessus de son territoire, il a été démontré que depuis le seul l'aéroport de Pise, par exemple, des armes destinées à l'Ukraine traversent l'espace aérien de l'Autriche et transitent par la Pologne en route pour l'Ukraine, en violation manifeste de sa neutralité, de tels survols destinés à des régions en guerre étant prohibés pour les Neutres par le droit international.

Appel du FPÖ à un réferendum sur les sanctions

Pour sa part, le FPÖ s'élève résolument contre l'entrée du pays dans l'OTAN. Parmi les déclarations du FPÖ, on a entendu son porte-parole pour la défense, le colonel Reinhard Bösch, déclarer que « l'OTAN, c'est le bras armé de la politique extérieure américaine. Il est hors question pour un pays neutre comme le nôtre (de rejoindre l'Alliance).

Quant aux élus de FPÖ au Parlement européen, ils ne lâchent pas non plus le morceau. Leur chef de délégation Harald Vilimsky, commentait ainsi le plan d'urgence-gaz de la Commission européenne et sa proposition de baisser le chauffage à 19 degrés cet automne : « Si c'est bien cela, la solution pour cet hiver, la Commission est dans l'échec complet. Cela nous révolte que de constater que c'est précisément la politique environnementale et de sanctions de l'UE qui nous mène droit dans le mur. Les décisions de l'UE reposent sur des critères pseudo-moraux plutôt que sur la Raison. Ce seront les citoyens à payer la note. » Le FPÖ exige la tenue d'un referendum sur les sanctions : « Il faut que les Autrichiens décident par referendum s'ils supporteront ou non ces sanctions. On ne peut plus laisser une petite clique de centralisateurs de l'UE mettre en péril notre niveau de vie et notre sécurité. »

Quoi qu'il en soit, hardi celui qui s'aventure à prédire l'issue de la campagne présidentielle autrichienne, car tout est en flux. Alors que les gouvernements commencent à tomber un par un en Europe, les « petits » partis dissidents d'hier seront peut-être au pouvoir demain.

Terminons sur une citation de l'opposant à la guerre de 1914, le satiriste et un pamphlétaire autrichien Karl Kraus :

« Fatigué de faire la guerre - le mot le plus idiot de notre époque. Fatigué de faire la guerre signifie fatigué du meurtre, fatigué du pillage, fatigué de la faim, de la saleté, du chaos. A-t-on jamais confronté ces choses tout gai tout frais ? Si cela fût le cas, être fatigué de faire la guerre serait un état sans espoir de rédemption. En réalité, on se doit toujours d'être fatigué de la guerre avant de la faire, plutôt qu'une fois la guerre commencée. »

Karl Kraus, Die Fackel, N° 474, mai 1918

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