Bakhmout prise par Wagner : conquête d’un champ de ruines ou percée décisive ?

Auteur(s)
Chloé Lommisan, France-Soir
Publié le 22 mai 2023 - 17:45
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Bakhmout Wagner
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AFP
Evguéni Prigojine, le leader du groupe paramilitaire Wagner, se félicite de la victoire selon lui acquise à Bakhmout.
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GUERRE - Après plusieurs mois de combats intenses et destructeurs, la ville de Bakhmout est passée sous le contrôle des forces russes. Samedi 20 mai, Evguéni Prigojine, chef du groupe paramilitaire Wagner, s’est attribué le mérite de la victoire dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. “Il n’y avait que Wagner ici”, a-t-il clamé devant plusieurs mercenaires, afin d’insister sur le caractère décisif, à ses yeux, de son intervention “pendant 224 jours”. 

De fait, depuis octobre 2022, ses troupes combattent en première ligne dans la région. Habitué à communiquer de façon outrancière, Prigojine s’est régulièrement montré acerbe envers l’Etat major russe. Il reproche notamment à ce dernier de ne pas avoir livré assez de munitions à ses troupes ou d’avoir fait tenir aux bataillons de l’armée régulière des positions trop défensives, en retrait des lignes de front les plus exposées.  

Si le leader de Wagner a été jusqu’à prendre à partie Poutine lui-même, bien qu’à demi-mots et sans le nommer (il l’aurait comparé à “un idiot de grand-père”), ses propos jusqu'au-boutistes sont toutefois systématiquement mis en scène, dans un style homogène, qui rendent plausible l’hypothèse d’une propagande calculée.  

L’hôte du Kremlin n’a pas manqué, en tout cas, de congratuler conjointement, dans un communiqué, Wagner et l’armée russe pour “la libération d’Artiomosvk” (nom soviétique de Bakhmout). Vladimir Poutine a mis en avant “le soutien de l’artillerie et de l’aviation” pour présenter le succès de l’opération. 

Le satisfecit avait partiellement déjà eu lieu. Dès la fin mars, Evgueni Prigojine avait évoqué une prise de la ville à “70%”, et revendiqué dès le 3 avril la prise de la mairie. L’autorité militaire russe a été plus discrète quant à l’avancée des opérations, ce qui a manifestement agacé un Prigojine toujours véhément et pressé d’achever la conquête de Bakhmout.  

Les forces de Wagner ont annoncé hier procéder à un déminage des environs et prévoient un départ de la zone avant le 1er juin, pour laisser le relais à l’armée russe régulière. Ses unités seront-t-elles présentes en nombre suffisant ?  

Il s’agit de l’énième polémique développée par Evgueni Prigojine, qui a d’ores et déjà averti qu’en cas de manque “d’unités du ministère de la défense”, des “milliers de généraux” seraient prêts à prendre “des fusils, et tout ira bien”. Autrement dit, à créer des milices au sein de la population locale. Le commandement militaire russe appréciera. 

De leur côté, les forces ukrainiennes refusent de concéder la perte de Bakhmout. Si la situation est “critique” selon Hanna Maliar, vice-ministre de la défense, des unités sous les ordres de Kiev seraient toujours engagées à l’ouest de la ville.  

Le commandant des forces terrestres d’Ukraine, Oleksandr Syrsky, a même reconnu que la présence de ses troupes était “non signifiante”. Ce dernier a toutefois annoncé, selon le New York Times, que ses forces “progressaient sur les flancs” de la ville, bordée par quelques collines. Avec pour projet d’encercler et de “détruire l’ennemi qui doit désormais défendre” la cité, a complété la vice-ministre de la Défense sur Telegram.  

Ces prises de positions de la part des dirigeants et responsables ukrainiens interrogent. Au fond, quelle est l’importance réelle de cette “bataille de Bakhmout”, d’un côté comme de l’autre ? Du côté occidental, celle-ci n’a pas toujours été présentée comme décisive, malgré le fait que les officiels ukrainiens, dont Volodymyr Zelensky, aient essayé de mobiliser l’opinion internationale autour de son rôle charnière. 

Lors d’un entretien auprès de la chaîne américaine CNN, le 7 mars dernier, le président ukrainien affirmait que la perte de Bakhmout offrirait aux russes “une route ouverte” pour prendre les autres villes importantes de l’Est ukrainien, justifiant en même temps le maintien “tactique” de ses forces militaires face aux Russes.  

“Nous comprenons qu'après Bakhmut, ils pourraient aller plus loin. Ils pourraient aller à Kramatorsk, ils pourraient aller à Sloviansk, ce serait une route ouverte pour les Russes après Bakhmut vers d'autres villes d'Ukraine, dans la direction de Donetsk”, avait-t-il averti. 

D’après lui, l’Ukraine utiliserait Bakhmout comme “point de fixation”, contre lequel la Russie perdrait de nombreuses forces lors de combats mortifères autour d’un champ de ruine.  

Quoi qu’il en soit, la remobilisation annoncée des forces ukrainiennes autour de Bakhmout trouve des échos dans les medias : la thèse d’une contre-offensive a par exemple été déclinée sur la chaîne LCI, le 11 mai dernier, par le journaliste David Pujadas, accompagné de l’expert en stratégie militaire Pierre Servent, dans l’émission “Bakhmout : l’incroyable contre-attaque ukrainienne”. 

Une contre-offensive qui aurait succédé à “un retrait progressif et organisé” des forces ukrainiennes en échange de “positions russes”, selon une autre information issue du Washington Post et reprise avec prudence par Pierre Servent.  

Une prudence nécessaire, vu les dernières évolutions du champ de bataille. Mis à part à l’ouest de la ville en ruine, le déploiement de forces militaires ukrainiennes n’est pas confirmé et la destruction de deux ponts, en mars, à la périphérie de Bakhmout semble avoir pesé sur les ravitaillements nécessaires afin de mener de telles entreprises. 

Un constat qui contraste avec la diffusion d’images sur LCI montrant des soldats russes en déroute, il y a une dizaine de jours. Présente sur le plateau, la journaliste Elena Volochine, grand reporter à France 24 et ancienne correspondante à Moscou, n’a pas manqué de préciser la source “militaire” de ces images et de “revenir sur la question de la méthodologie” en ce qui concerne la couverture médiatique d’une guerre. 

“Il ne faut pas oublier que l'on est dans une guerre de propagande. (...) Ce ne sont pas des images de journalistes indépendants”, a-t-elle rappelé. “On ne peut pas se faire une opinion en se basant sur ces images (...) qu'on ne peut pas vérifier”, précisant que ce genre d’images se retrouvent des deux côtés du conflit.  

Le présentateur David Pujadas a semblé rejoindre ce constat, tout en justifiant la diffusion des images en question : “Au fil du temps, on s'aperçoit s’il on a été blousé ou pas. Et c'est vrai qu’avec ces images (...), au fur et à mesure de la guerre, on s'aperçoit que des sources sont plus ou moins fiables, parfois d'autres sont du pipeau intégral.”. Désormais, la thèse d’une contre-attaque ukrainienne en préparation dans cette zone paraît s’éloigner. A moins d’un rebondissement ? 

L’armée ukrainienne pourra-t-elle répondre à la supériorité numérique russe ? Cela dépendra, dans les prochaines semaines, des livraisons d’avions F-16 évoquées par le camp occidental, de la préservation des “troupes d’élites” autour des points chauds en banlieue de Bakhmout, ou encore du succès des derniers appels de Zelensky, au G7, à de nouvelles livraisons d’armement. 

Les pro-russes n’ont quant à eux jamais fait mystère de l’importance de la “bataille du Donbass” qui sera, selon Boris Rojine, expert militaire prorusse, “sans aucun doute la bataille décisive de cette campagne”. 

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