Bataille de Mossoul : la propagande de Daech tourne à plein régime et met en scène les combats de rues

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Stéphane Mantoux avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 20 novembre 2016 - 17:53
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Un combattant djihadiste équipé d'un Steyr AUG, arme rare dans l'arsenal de l'Etat islamique, enagé dans les combats de Mossoul (image de propagande).
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Un combattant djihadiste équipé d'un Steyr AUG, arme rare dans l'arsenal de l'Etat islamique, engagé dans les combats de Mossoul (image de propagande).
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Pour sa deuxième longue vidéo sur la bataille de Mossoul, la propagande de l'Etat islamique a déployé de grands moyens. Si cette vidéo fait la part belle aux images d'archives, celles de combats plus récents sont également présentes en nombre, témoignant de la violence des combats dans et en dehors de Mossoul. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de la stratégie de l'EI, décrypte en partenariat avec "FranceSoir" ces images.

Le 14 novembre 2016, l'Etat islamique (EI), par l'intermédiaire du bureau de propagande de la wilayat Ninive en Irak (Mossoul), a mis en ligne sa deuxième vidéo longue consacrée à la bataille de Mossoul, intitulée "La promesse de Dieu". Cette vidéo fait suite à la première, "Ignition of War": de nouveau, L'EI est capable de produire cette deuxième vidéo quinze jours après la première, ce qui tranche avec la production récente des vidéos de propagande militaire en Irak, où il y avait un délai de plus en plus long entre les opérations montrées et les vidéos longues de propagande.

L'approche est cette fois différente de la première vidéo. Plus longue (plus de 26 minutes au lieu de 20 pour la première), "La promesse de Dieu" ne suit plus un cadran horaire géographique partant du nord vers le sud-est ce sont surtout les affrontements à l'est de Mossoul qui sont montrés (en gros 20 minutes sur les 25 de la vidéo). Pire, un bandeau de la séquence 2 de la vidéo affirme que les combats se déroulent au nord de Mossoul... alors qu'un reportage photo correspondant du 11 novembre indique le sud-est!

Même confusion dans les dates: si la séquence 2 de la vidéo montre des images récentes (11 novembre), la séquence 4 utilise une vidéo Amaq (organe de propagande de l'EI) du 1er novembre, au moment où les djihadistes combattent à la périphérie de Mossoul. La séquence 5 mélange aussi des images récentes (10 novembre) avec des images plus anciennes des débuts des combats de rues (première semaine de novembre). Il n'y a donc aucune cohérence chronologique: l'EI se sert simplement de ses images de combat à des fins de montage vidéo, pour la propagande, mêlant allègrement lieux et temps.

L'Etat islamique se plaît, dès le début, à filmer de nouveau les colonnes de véhicules adverses: si l'on repère encore quelques images plus anciennes des Peshmergas (combattants du gouvernement autonome kurde irakien), l'EI affronte ici l'armée irakienne, surtout la 9ème division blindée avec ses chars M-1 Abrams et ses BMP-1, et à la Golden Division et ses véhicules noirs. Cette fois, en revanche, Daech (acronyme arabe de l'Etat islamique) filme beaucoup les appareils engagés contre lui dans les airs: drones de différents modèles, un célèbre bombardier américain B-52, un avion d'attaque au sol A-10, un KC-10 ravitailleur avec 2 Mirage 2000 français, des An-32 irakiens, un C-17 américain.

Dans le combat urbain, les moyens d'appui de l'EI sont relativement faibles, et légers, ce qui correspond à ce que l'on voit depuis le départ. L'arme la plus utilisée est le canon sans recul SPG-9, porté à l'épaule ou monté sur trépied. On retrouve un tube antiaérien de 14,5 ou 23 mm bricolé en arme de sniping lourd. Les djihadistes font toujours usage de lance-missiles antichars: ici, on voit uniquement un Metis-M, mais d'autres lanceurs sont utilisés (probablement des Konkurs/Fagot). Un MaxxPro et un BMP-1 notamment sont incendiés par ces armes antichars. A contrario, l'EI met toujours en ligne aussi peu de véhicules: on ne voit qu'un Nissan et un Toyota Hilux portant tout deux une mitrailleuse.

Un changement notable, par contre, est la place des VBIED dans cette vidéo. La plupart sont lancés sur leurs objectifs en étant filmés par drone, jusqu'à l'explosion. Leur nombre est encore plus important que dans la première vidéo: 11 sont visibles, contre 7 précédemment, et quasiment tous sont employés dans un cadre urbain, avec d'ailleurs une certaine efficacité. Seuls 6 kamikazes sont nommés: là encore, le constat tranche avec "Ignition of War", où tous les kamikazes étaient irakiens. Ici seuls 3 sont des "locaux" (2 Irakiens et 1 Syrien) mais on trouve 3 étrangers (un des Emirats Arabes Unis, un Algérien, un Tadjik).

L'emploi des VBIED donne lieu à des scènes impressionnantes: 4x4 surblindés jetés au milieu de colonnes de véhicules installés dans les rues, VBIED se faisant exploser contre un char M-1 Abrams, camion sautant à côté d'une colonne de véhicules blindés, jusqu'à ce véhicule éperonnant littéralement un BMP-1 avant d'exploser dans une boule de flammes... Les fidèles d'Abou bakr al-Baghdadi semblent faire des VBIED une arme de masse en combat de rues, et ses adversaires peinent pour l'instant à la contrer, comme le montrent les dégâts provoqués par les explosions.

Les groupes de combat de l'EI comptent toujours entre 8 et 15 hommes, et sont littéralement surarmés. Aux habituels AK-47 et M-16 des fantassins, on rajoute des fusils d'assaut M-4, parfois à lunette, le FN FAL à lunette déjà vu dans la vidéo précédente, et des porteurs d'armes collectives (mitrailleuse PK, lance-roquettes RPG-7) toujours très nombreux. A noter cette fois que les tireurs au RPG-7 sont souvent suivis d'un pourvoyeur qui transporte dans son dos les roquettes destinées à l'arme. Parmi les combattants de Daech, on remarque cette fois-ci plusieurs hommes assez jeunes, dont au moins un adolescent, et aussi un combattant assez âgé.

Les motos sont toujours utilisées pour le transport à courte distance. Dans une des séquences "recyclées" de début novembre, un des fantassins de l'EI porte l'écusson de la hisba, la police islamique de la wilayat Ninive. Soit il a pris cet uniforme sans aucun lien particulier avec la hisba, soit celle-ci a d'ores et déjà été mobilisée pour la défense de la ville, ce qui serait intéressant. Le début de la séquence 5 nous montre peut-être des archives de l'EI avec des combattants d'élite (inghimasiyyi?, ces combattants portant une ceinture d'explosifs mais qui n'a pas forcément vocation à utiliser) véhiculés à bord de technicals noirs... outre une autre arme rarement vue, un Steyr AUG, une autre caractéristique de la vidéo est de nous montrer de nombreuses roquettes tandem utilisées avec le RPG-7 (roquettes à double charge conçues pour pénétrer les chars équipés de blindage réactif).

Outre les véhicules détruits ou touchés par les missiles antichars, la propagande djihadiste montre un Humvee de l'armée irakienne (9ème division?) détruit au RPG-7, un Humvee de la Golden Division incendié, et de nombreux autres Humvees de la même unité détruits dans les combats des quartiers est de Mossoul (une dizaine en tout au moins). Outre les armes montées sur ces véhicules, parfois récupérées (comme les lance-grenades Mk 19 de 40 mm), l'EI capture une quantité impressionnante d'armes antichars apparemment stockées dans les véhicules de la Golden Division: 12 lance-roquettes AT-4, 3 lance-roquettes monocoup RPG, et une partie d'un lance-missiles antichars Kornet. Il est probable que ces armes sont destinées au combat urbain (percer les cloisons des bâtiments ou détruire des positions fortifiées) ou bien pour venir à bout des VBIED, menace permanente contre les colonnes engagées dans les combats de rues, comme on l'a dit.

Paradoxalement, l'Etat islamique ne nous montre pas beaucoup de morts adverses, à part quelques soldats irakiens piétinés pour la propagande dans la séquence 5 de la vidéo. Par contre, à l'inverse de la première vidéo longue, l'EI insiste cette fois sur ses propres pertes et les sacrifices de ses combattants. Dans la séquence 3, deux hommes sont touchés par des tirs, dont un qui filme sa propre mort ou blessure avec la GoPro qu'il porte sur le front. Dans la séquence 4, un combattant de l'EI est tué en pleine action par une balle ou un obus de véhicule irakien ; un peu plus loin, on peut voir plusieurs combattants blessés après un accrochage victorieux où un Humvee de la Golden Division est incendié. Dans la séquence 7, l'EI honore un "sheikh" mossouliote assez âgé tué dans les combats de rues, et qu'on avait effectivement vu faire le coup de feu dans la vidéo. Le corps d'un combattant sans doute russophone, vu son nom de guerre, est filmé juste après.

Le montage de propagande est, au final, encore plus élaboré que pour "Ignition of War". La vidéo s'ouvre ainsi par une vue satellite qui se rapproche de Mossoul. On a dit combien les combats ou l'emploi des VBIED étaient filmés par drone ou par GoPro montées sur les combattants. Les djihadistes se permettent même de donner ses statistiques des pertes adverses: comme souvent, celles-ci sont fortement exagérées, à l'inverse des pertes reconnues (dont il n'est pas question ici, même si l'EI insiste, on l'a compris, sur le sacrifice de ses combattants). Si les 2.200 morts adverses sont sans doute "gonflés", il n'empêche que les coalisés qui se battent pour reprendre Mossoul ont subi des pertes élevées après un mois de combat. De même, les pertes en véhicules, sans atteindre celles citées par l'EI, sont lourdes.

Plus inquiétant peut-être dans la propagande, cette fin sibylline où l'EI montre ses snipers en action et demande à ses partisans de "rester à l'écoute"... s'agit-il d'une production spécifiquement dédiée aux tireurs d'élite, ou à une action à venir en dehors de la bataille de Mossoul? D'autant que comme l'annonce le titre de la vidéo, Daech appuie ici sur la dimension religieuse du combat: les fantassins multiplient les prosternations de remerciement après les coups au but ou l'explosion des VBIED, tandis que la propagande filme des prières individuelle ou collective.

Cet article a été rédigé par Stéphane Mantoux en partenariat avec "FranceSoir". Retrouvez plus d'informations sur la bataille de Mossoul et Daech sur le blog de l'auteur en cliquant ICI.

 

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