Elections en Turquie : deux scrutins à risques pour un Erdogan fragilisé
Le 24 juin prochain, quelques 55 millions d'électeurs turcs sont appelés aux urnes pour deux scrutins différents. Ils sont appelés à renouveler le Parlement du pays et à choisir leur prochain président en pleine dérive autoritaire de l'actuel chef de l'Etat Recep Tayyip Erdogan. En effet, les législatives ont été avancées de plus d'un an afin de correspondre à la présidentielle et ainsi faire passer la Turquie d'un régime parlementaire à un régime présidentiel.
Un changement qui provoquerait un bouleversement majeur dans la politique turque puisque le président pourrait désormais gouverner par décrets, décider du budget, nommer les vice-présidents, les ministres, les hauts fonctionnaires et la moitié des membres de la Cour constitutionnelle. Le Parlement ne serait plus qu'une chambre d'enregistrement sans réel pouvoir.
Et pour la première fois depuis son accession au poste de Premier ministre en 2003, le président islamo-conservateur pourrait être mis en difficulté. En effet, il doit compter sur Muharrem Ince, candidat à la magistrature suprême pour le Parti républicain du peuple, CHP, formation historique du père de la Turquie moderne, Mustapha Kemal Atatürk.
Les meetings du CHP sont d'ailleurs l'occasion pour Muharrem Ince d'attaquer Recep Erdogan sur tous les fronts: inflation en hausse, dépréciation de la livre turque, presse aux ordres, indépendance de la justice remise en cause, atteintes aux droits de l'Homme ou encore la situation des réfugiés syriens dans le pays. Et cette stratégie, portée par le charisme de ce ténor de gauche, semble porter ses fruits.
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En effet, les derniers sondages créditent Muharrem Ince d'au moins 30% des voix alors que les premiers ne lui accordaient que moins de 10% des suffrages exprimés. Si ce professeur de physique et poète de profession reste encore loin des 50% des voix accordés à Recep Tayyip Erdogan, sa stratégie consiste à pousser le raïs (ancien titre honorifique ottoman et surnom donné à l'actuel président) à livrer un second tour, prévu le 8 juillet, en espérant bénéficier du report des voix du reste de l'opposition.
Muharrem Ince pourrait ainsi compter sur les suffrages des électeurs du HDP (formation de gauche, pro-kurde), dont le candidat Selahattin Demirtaş est actuellement emprisonné et crédité de 10% des voix, ainsi que sur celles de la nouvelle formation Le Bon parti (IYI), de tendance kémaliste et profondément opposé à l'AKP d'Erdogan.
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Reste également la possibilité pour l'opposition d'empêcher l'AKP et ses alliés d'extrême-droite d'emporter la majorité au Parlement turque. A ce sujet le CHP, l'IYI, les islamistes du Parti de la Félicité et le Parti démocrate ont décidé de faire liste commune.
L'opposition turque est toutefois suspendue au respect des principes démocratiques dans le pays, face au risque de fraudes majeures dans les bureaux de vote, dont la sécurité sera assurée par la police et l'armée expurgées de toute opposition au président Erdogan suite au coup d'Etat manqué de 2016. En témoigne un discours prononcé par l'actuel président turc lors d'une réunion privée de cadres de l'AKP, le 14 juin, et qui avait fuité. Erdogan y exhortait les représentants du parti à se rendre à l'avance et en nombre aux bureaux de vote afin d'y être majoritaire au cours des opérations de vote, d'en prendre le contrôle et de s'assurer ainsi de la mainmise sur les urnes...
Voir - Erdogan: l'état d'urgence en Turquie sera levé après les élections
Pour tenter de paraître moins autoritaire, Recep Tayyip Erdogan a assuré que l'état d'urgence en vigueur depuis le putsch manqué de juillet 2016 serait levé immédiatement s'il venait à être réélu lors du scrutin du 24 juin. Plus de 50.000 personnes ont été arrêtées et plus de 140.000 limogées ou suspendues dans le cadre des purges menées sous l'état d'urgence, renouvelé tous les trois mois depuis son instauration, dont la dernière fois en avril.
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