Les dépenses militaires et programmes d’influence russes dopés par les revenus énergétiques

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MB
Publié le 02 novembre 2017 - 09:04
Mis à jour le 03 novembre 2017 - 17:24
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Russie célébrations 9 mai Moscou
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Les dépenses militaires russes repartent à la hausse, inquiétant ses voisins.
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Après une période difficile, les budgets russes de La Défense repartent à la hausse grâce notamment aux revenus énergétiques. Ceux-ci vont sans doute être augmentés encore dès la mise en marche du gazoduc Nord Stream 2 dont le chantier s'achève en principe en 2019. Une nouvelle manne financière dont Moscou pourrait se servir pour développer ses dépenses militaires et d'influence, au risque d'encourager une course à l'armement.

C’est un élément sur lequel plusieurs observateurs s’inquiètent: à quoi vont servir concrètement pour la Russie les revenus issus du gazoduc Nord Stream 2 si la Chancelière Angela Merkel, nouvellement réélue pour un quatrième mandat, décide d’aller au bout? Sur le papier en effet, le premier gagnant de l’affaire sera l’Etat russe. Et pour cause: malgré un financement opéré par plusieurs géants énergétiques européen -dont le français Engie- c’est l’entreprise russe Gazprom qui possède 100% du capital et qui donc retirera les éventuels dividendes. Or, l’Etat russe possède un peu plus de la moitié du capital du géant énergétique et donc la moitié des éventuels retombées, qui atteriront directement dans les caisses du Kremlin. Les acheteurs de gaz européen financeront donc ces nouvelles rentrées d’argent qui ne profiteront plus à d’autres Etats d’Europe membre de l’UE (Pologne) ou non (Ukraine) qui jusque-là bénéficiaint de retombées. 

Si la bonne affaire est russe (et allemande) et qu’elle est justifiable sur le plan économique, elle porte plutôt la problématique dans le domaine géopolitique. En effet, cette manne porte un coup dur aux sanctions économiques prises contre Moscou depuis l’annexion de la Crimée. La Russie doit en effet encaisser le choc de ces mesures punitives, largement soutenues d’ailleurs par l’Allemagne d’Angela Merkel, tout en se "refaisant" en partie grâce aux revenus énergétiques générés en Europe… grâce à l’aide active de l’Allemagne. La militante écologiste russe Evguenia Chirikova ne dit d’ailleurs pas autre chose dans les pages du journal britannique The Guardian en juin dernier: "Le projet financera le régime de Poutine pour les 50 prochaines années. La progression du projet signifie donc que l’Europe dénonce d’un côté Poutine sur le plan diplomatique mais promet dans le même temps d’alimenter ce même régime avec les milliards de dollars issus du gaz". 

Reste à savoir ce que Moscou compte faire de la manne énergétique. Un indice est peut être à chercher du côté des postes de dépense ayant le plus augmenté dans le budget de l’Etat russe. Et un domaine saute immédiatement aux yeux: l'armée. Selon le Stockholm International Peace Research Institute -le SIPRI- Moscou a déboursé a dépensé 69,2 milliards de dollars en 2016 pour sa défense, soit une hausse de 5,9% par rapport à l’année précédente. Le pays est maintenant le troisième budget militaire derrière les inamovibles deux premiers, les Etats-Unis et la Chine. En 2011, Vladimir Poutine avait annoncé son plan de développement militaire: il prévoyait de dépenser environ 360 milliards de dollars d’ici 2025. Or, ce projet a été fauché en plein vol par la crise économique qui a frappé la Russie et qui a vu la valeur du rouble s’effondrer en 2015. Le pays s’était même fait dépasser sur le plan militaire par l’Arabie saoudite. Depuis la barre a été redressée et le tempo ne va sûrement pas se ralentir pour 2017. 

Problème: de par la dimension menaçante de la Russie sur le plan international (entre annexion de la Crimée et exercices militaires majeurs à la frontière des pays baltes), les dépenses de défense de ce pays génèrent un effet secondaire pernicieux: plus Moscou dépense pour son armée, plus ses voisins sont tentés de faire la même chose, entraînant alors une course à l’armement. En effet, en 2016, les pays d’Europe centrale ont connu aussi une hausse de leurs dépenses militaires qui ont grimpé de 2,4%. Pour Simon Wezeman, chercheur au SIPRI, le lien de cause à effet ne fait aucun doute: "La croissance de la dépense dans de nombreux pays d’Europe centrale peut être attribuée, au moins partiellement, à la perception d’une Russie qui pose une menace". 

Si la dépense militaire est l’une des plus aisée à analyser, étant à la fois quantifiable et objective, d’autres domaines vont se retrouver également renforcés avec la manne énergétique issue du Nord Stream 2 qui s’annonce. En première ligne: les activités de propagande et de lobbying intensif dont la Russie n’hésite plus à faire usage… quitte à déclencher le scandale. La France est en première ligne pour le constater. Il y a bien sûr le soutien discret mais bien réel du Kremlin à Marine Le Pen -caractérisé par sa réception à Moscou en mars dernier. Une manoeuvre qui n’est pas en soi critiquable et pourrait ne correspondre qu’à de la diplomatie. Mais ce n’est pas la seule interférence russe dans le scrutin hexagonal. En mai dernier, l’agence de renseignements américaine NSA, par la voix de son directeur Mike Rogers mettait en garde: "Nous avions parlé à nos homologues français (...) et les avons avertis. Nous surveillons les Russes. Nous les voyons pénétrer dans votre infrastructure". L’avant-veille du second tour, qui verra Emmanuel Macron s’imposer très largement, des hackers ont fait fuiter des emails en lien avec la campagne du futur président lors d'une tentative de dernière minute pour influencer les électeurs.

La France pourra constater d’ici la fin de l’année 2017 un autre exemple de ce pouvoir de lobbying russe avec l’arrivée de la chaîne de télé Russia Today sur le territoire, avec l’annonce de l’embauche d’une centaine d’employés donc une cinquantaine de journalistes. Une présence médiatique sans commune mesure avec les acteurs déjà présents, type Sputnik News. Un investissement conséquent pour le Kremlin : 20 millions d’euros en 2018 puis 16 millions d’euros par an pour financer une chaîne sans but commercial et sans autre objectif que d’apporter en France une vision pro-russe de l’actualité. Un élément symbolique de la nouvelle pression que fait peser la Russie et qui n’est plus seulement militaire mais qui correspond à ce que l’OTAN a décrit comme une "hybrid threat", une menace hybride. Une menace qui a un coût et qui sera ravie de trouver les fonds nécessaires dans son prochain gazoduc.

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