Repenser le statut des travailleurs détachés : vers une Europe plus sociale
Enfin! Alors que le 16 juin un accord était sur le point d’aboutir, il aura fallu attendre la nuit du 23 octobre après douze heures de négociations intenses pour que les différents ministres du travail au sein de l’Union européenne arrivent à un compromis sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés (lien). Seules la Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie ont voté contre. Cette position représente une victoire pour la France qui avait exigée des conditions plus fermes que celles proposées par la Commission européenne. Quatre points définissent cet accord: l’instauration du "A travail égal, rémunération égale, sur un même lieu de travail", une limitation de détachement à 12 mois pouvant être étendue à 18 mois sur demande individuelle, l’exclusion du secteur routier de la directive et une application d’ici 2022. Des points négociés âprement qui risquent encore de faire débat.
Mise en place en 1996, cette directive avait déjà été affinée en 2014 (source) pour mieux définir ce qu’étaient les travailleurs détachés, améliorer l’information sur leurs droits et mieux encadrer le respect des règles. Toutefois, de nos jours avec une Europe à 28, une révision plus profonde semblait nécessaire et s’inscrivait dans la logique prônée par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne: doter l’Union européenne d’un "triple A social". Le travail commence en 2015 avec l’élaboration d’un texte par la Commission européenne. Celui-ci se base notamment sur différents avis, mais aussi les données recensées par Eurostat en 2015.
Elles montrent notamment que les travailleurs détachés ne représentent que 0,9% des travailleurs en Europe soit deux millions de personnes, mais que ce chiffre a augmenté de 41,3% entre 2010 et 2015. Ceux-ci se rendent en général dans des pays limitrophes et particulièrement en Allemagne, France et Belgique qui totalisent 50% des travailleurs détachés. Pour autant, mise à part la Pologne, ce sont surtout la France et l’Allemagne qui en envoient le plus. Suite à ces analyses, il semblait important de réviser cette directive pour diminuer le dumping social et garantir la protection et les droits de ces travailleurs dans toute l’Union européenne.
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C’est en suivant l’idée d’une "Europe qui protège" que la France a tenu à ce que le principe "A travail égal, rémunération égale" (lien) soit respecté. Cela signifie que les travailleurs détachés dans une filiale d'un autre pays membre devront être payés un salaire équivalent aux salariés sur place, et non plus le simple salaire minimum, et bénéficier des règles valables pour les travailleurs locaux (prime de froid, de pénibilité, d’ancienneté, treizième mois...). Toutefois, les cotisations sociales resteront payées dans le pays d’origine. L’objectif est simple: laisser un avantage pour les entreprises tout en assurant de meilleures conditions de travail aux travailleurs détachés. Pour cela une plate-forme gérée par la Commission européenne devrait coordonner les administrations de contrôles des différents pays et mieux lutter contre les fraudes.
Ces mesures satisfont le Parlement européen, mais d’autres sont l’objet de désaccords (source). C’est particulièrement le cas de l’inclusion ou non du transport routier. Afin d’obtenir un accord, les ministres du travail ont accepté d’exclure ce secteur et de l’inclure dans le paquet mobilité qui sera négocié en 2018. En attendant, celui-ci restera règlementé par la directive de 1996. Cette exception a permis de rallier l’Espagne et le Portugal, pays cruciaux pour trouver un accord. Certains députés européens abondent dans ce sens comme le Hongrois Adam Kosa qui considère que "les routiers ne sont pas des travailleurs détachés, mais des travailleurs mobiles". Mais sa position semble minoritaire au sein de l’hémicycle qui souhaiterait intégrer ce secteur dans la révision. C’est ce qu’affirme Karima Delli, Présidente de la commission transports, en se disant "contre une Europe sociale à la carte" et "ne pas accepter la concession dans le secteur du transport".
D’autres points opposent les deux institutions. Le Parlement européen juge que la durée maximale du détachement pourrait être de 24 mois comme le préconise la Commission européenne, mais estime que le sujet est mineur au vu de la durée moyenne des détachements qui est de 44 jours. Enfin, un dernier point posera lui plus de problèmes: le délai de mise en place de la directive. Le Parlement souhaiterait une application pour 2020, soit deux ans, alors que le Conseil des ministres s’est positionné pour 2022, soit quatre ans. Les négociations ont commencé mardi 14 novembre et ne s’annonce pas de tout repos pour arriver à un texte commun pour début 2018.
(Avec la contribution du Centre d’Information Europe Direct de la Maison de l’Europe de Paris)
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