Syrie : l'Etat islamique vaincu par l'armée syrienne sur le Golan

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Matteo Puxton, édité par Maxime Macé.
Publié le 07 août 2018 - 17:10
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Jaysh Khalid ibn al-Walid Etat islamique Golan
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Il aura fallu moins d'un mois aux forces du régime pour liquider l'enclave de l'Etat islamique dans le Golan.
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La partie syrienne du plateau du Golan était tombée au main du groupe Etat islamique en 2017. Une récente offensive de l'armée du régime de Damas a permis de disperser les combattants de l'EI. Matteo Puxton, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit syrien, décrypte en exclusivité pour France-Soir, cette nouvelle défaite territoriale de l'organisation djihadiste.

Jaysh Khalid ibn al-Walid (JKW), créé en mai 2016 par réunion de trois factions pro-Etat islamique, est l'affilié de l'organisation djihadiste dans le bassin du Golan. Il n'est pas constitué en wilayat (province) par l'EI, mais il est intégré dans la propagande sous son nom. C'est un groupe à recrutement local, essentiellement composé de Syriens, avec quelques combattants étrangers. Il disposerait de 1.200 combattants, chiffre impossible à vérifier. Initialement cantonné au secteur du bassin du Golan contigu à la frontière avec Israël, JKW profite de l'offensive des rebelles contre le régime syrien à Deraa en février 2017 pour attaquer les positions rebelles et accroître la taille de son enclave vers l'est, en s'emparant notamment de la ville de Tasil. Dès lors, le front, en dépit d'offensives répétées de Jaysh Khalid ibn al-Walid et de contre-offensives des rebelles, ne bougera quasiment plus jusqu'à l'été 2018. L'enclave djihadiste est entièrement entourée par les factions rebelles et n'a pas de ligne de front avec le régime syrien jusqu'à cette date.

L'enclave tenue par JKW à la naissance du groupe en mai 2016.

Les gains territoriaux de l'enclave après l'offensive de février 2017.

Avec la perte du bastion du camp du Yarmouk et des quartiers voisins au sud de Damas en mai, et le renouveau d'offensive des Forces démocratiques syriennes (FDS) contre les deux poches à la frontière irakienne, cette enclave est l'un des derniers pans de territoire syrien où l'Etat islamique pouvait exercer une forme de gouvernement. Ces derniers mois, Jaysh Khalid ibn al-Walid avait publié de nombreux documents sur ses écoles, sur l'application de la sharia et le travail de la hisba (police des moeurs). Sur un de ces reportages photos daté du 23 avril 2018, où l'on assiste à l'exécution de Naji Mustafa, à Abidin, accusé d'être un espion du gouvernement syrien (il dirigeait la municipalité), Aymenn Jawad al-Tamimi identifie Abou Muhammad Jabab, de la ville du même nom. Il a fait défection du front al-Nosra pour rejoindre JKW, où il était semble-t-il connu pour ses positions extrémistes en matière de takfir, ce qui lui a permis d'accéder à des fonctions importantes : responsable de la sharia, émir des prêcheurs, avant d'être rappelé à l'ordre par le wali (gouverneur) de la province de Dimashq (Damas). Dans une vidéo mise en ligne le 13 juin dernier, Tamimi reconnaît également Abou Ja'afar al-Urduni, qui comme sa kounya (nom de guerre) l'indique est un Jordanien, et qui apparemment dirige la hisba du groupe depuis le début du mois. La situation dans la ville de Hit, assiégée par JKW depuis plus d'un an, est alors particulièrement critique. Début juin, l'organisation avait lancé une attaque dans ce secteur, sans pouvoir avancer de manière significative, malgré l'emploi d'un véhicule kamikaze (un BTR-152 modifié).

L'offensive du régime contre les rebelles dans la province de Deraa provoque les premiers incidents armés entre le groupe terroriste et le régime syrien. Le 27 juin, les raids aériens russes soutenant l'offensive du régime frappent la ville de Tasil, dans la poche tenue par JKW. Il est évident que les djihadistes ont anticipé la confrontation avec le régime syrien: une campagne de recrutement en ce sens a été lancée.

Les forces du régime syrien, après avoir éliminé les poches rebelles à l'est puis à l'ouest de la province de Deraa, arrivent au contact de l'enclave de l'Etat islamique le 9 juillet 2018. L'armée Khalid ibn al-Walid profite de la situation désespérée des rebelles syriens pour s'emparer, enfin, de la ville de Hayt, au sud-est de l'enclave, tenue par les rebelles et assiégée depuis longtemps, afin de renforcer ses positions sur le flanc est de la poche.

Reportage photo du 7 juillet: JKW enrôle des combattants en vue de l'affrontement avec les forces du régime.

 

Le 10 juillet, l'armée Khalid ibn al-Walid lance ses premières attaques contre le régime, en bombardant à l'artillerie le secteur de Zayzoun et en y faisant exploser un VBIED. A partir de ce jour, la propagande de l'Etat islamique n'utilise plus le terme d'armée Khalid ibn al-Walid mais celui de wilayat Hauran, transformant ainsi en province cette enclave territoriale tenue depuis deux ans; et ce alors même que dix jours plus tard, l'EI abandonne dans ses communiqués le découpage en wilayats (provinces) pour ne plus qu'utiliser les termes de wilayat al-Sham (Syrie) et Irak, suivis des anciens noms de provinces.

Le 12 juillet, l'EI s'empare de Hayt après 48 heures de combat, et l'emploi de deux VBIED. Une vidéo Amaq montre les combattants de l'EI prêter de nouveau allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi au nom de la nouvelle wilayat Hauran. Depuis la veille l'aviation du régime syrien et l'aviation russe bombardent le bassin du Golan, désormais complètement entre les mains de l'organisaton djihadiste. L'Etat islamique communique beaucoup à la fois sur le territoire pris et le butin réalisé sur les rebelles, et sur les dégâts infligés par les bombardements aériens des forces du régime.

Le 20 juillet, l'Etat islamique occupe une dizaine de villages au nord de l'enclave abandonnés par les rebelles, repoussant d'autant la ligne de front avec le régime. A partir du 21 juillet, le régime commence à tirer des missiles balistiques tactiques SS-21 Scarab sur l'enclave de l'EI. Les premiers assauts du régime sur la hauteur de Tell Jumou, au nord-est de Tasil, se heurtent à une vive résistance: plusieurs combattants des Tiger Forces et de Liwa al-Quds sont tués. D'anciens rebelles ralliés au régiment participent également à la bataille, comme ceux de l'ex-poche du nord de la province de Homs, dont plusieurs sont tués, et ceux de la ville proche de Nawa. A partir du 22 juillet, le régime utilise des munitions incendiaires. Trois combattants de l'armée de libération de la Palestine, une milice palestinienne pro-régime, sont tués. Le régime s'acharne à attaquer, sans succès, Tell Jumou, au nord-est de Tasil, et Jalin, au sud-est de l'enclave, pour reprendre la partie est de celle-ci.

Le 24 juillet, l'Etat islamique publie un long reportage photo où l'on voit notamment un canon D-30 de 122 mm monté sur camion MAZ-6317 en action. Dans ce même reportage, l'EI montre également un char T-72 Adra de la 4ème division blindée du régime détruit; il emploie un canon M-46 de 130 mm et un canon D-30 de 122 mm au sol pour bombarder les positions du régime. Une colonne de véhicules djihadistes comprend un pick-up Land Cruiser armé d'un ZPU-4 (4x14,5 mm). L'EI photographie aussi deux Su-34 russes en vol au-dessus du bassin du Golan, et quatre corps de combattants du régime. Une vidéo Amaq parue le même jour reprend les mêmes images.

Un canon D-30 (122 mm) sur camion MAZ-6317 ouvre le feu. Sur l'avant du camion, la shahada.

A partir du 24 juillet, l'Etat islamique se replie progressivement des villages occupées au nord de l'enclave, tandis que le régime n'arrive toujours pas à percer sur les fronts de Tell Jumou et Jalin. Les djihadistes capturent un membre des Tiger Forces et inflige de nouvelles pertes à Liwa al-Quds. Le 25 juillet, les combats atteignent la ligne de front fortifiée par l'EI au nord de l'enclave, les djihadistes y font exploser un VBIED.

Le 25 juillet également, le groupe terroriste lance une offensive de grande ampleur dans la ville de Suweyda et les environs. Le régime syrien avait attaqué les déplacés de l'EI du camp du Yarmouk installés au nord-est de la province de Suweyda dès le début du mois de juin, mais avait retiré des forces pour l'offensive plus à l'ouest contre les rebelles, à Deraa. L'EI, qui avait adopté une posture de guérilla face à l'offensive très lourde du régime, en profite pour conduire une opération inghimasi, activant probablement des cellules présentes dans Suweyda, dont la sécurité était assurée localement par les Druzes, sous la tutelle très lâche du régime syrien.

L'Etat islamique engage de 25 à 30 combattants dont quatre inghimasiyyi (un des hommes est capturés); un des villages alentours est attaqué par 70 hommes, mais Daech se retire dès que des renforts trop importants arrivent (après avoir pris en embuscade le premier contingent) et utilise des snipers. 250 personnes au moins sont tuées par l'EI, dont des combattants des Forces nationales de défense, des brigades du parti Baath et du Parti social nationaliste syrien. Les djihadistes exécutent également plus tard qutre prisonniers capturés; ils ont fait prisonnières 14 femmes dans les villages druzes environnant Suweyda. L'attaque visait probablement à soulager les défenseurs de l'enclave du bassin du Golan, matraqués par le régime syrien plus à l'ouest, et à souligner que l'EI conserve des capacités dans la zone désertique au nord-est de la province de Suweyda.

Situation au 25 juillet: l'EI se replie vers l'ouest de l'enclave, abandonnant Hayt conquise le 12 juillet, Tasil et Jalin.

Alors qu'un Su-22 syrien égaré au-dessus du Golan est abattu par la défense antiaérienne israélienne (24 juillet, par un missile Patriot), l'Etat islamique se retire de Tell Jumou et de toute la partie est de l'enclave. Le régime a en effet avancé au nord-ouest et au sud-est de la poche, le menaçant d'encerclement. Ce même jour, l'EI sort une vidéo longue sous le nouvel label de la wilayat Hauran, qui met en avant la conquête de Hayt les 10-12 juillet, et ce en dépit de la situation critique de l'enclave à ce même moment.

Le 25 juillet, après l'attaque sur Suweyda et les villages alentours, l'EI diffuse des images de l'exécution de quatre prisonniers.

Le 28 juillet, le régime s'empare de Jamlah après l'avoir écrasé sous un déluge de feu. Le groupe djihadiste s'accroche désormais à Shajarah, la dernière localité d'importance de l'ouest de l'enclave. Le régime perd encore des combattants dont un colonel dans les combats. L'EI abandonne dans sa retraite certains matériels lourds: un véhicule blindé BMP-1 à Jalin, un canon D-30 et un RPG-29 Vampir à Jamlah. Alors que le régime bombarde les wadis proches de la frontière jordanienne, comme à Kumayah, les ex-rebelles ralliés au régime du secteur, qui connaissent bien le terrain, entrent le 29 juillet dans la localité de Nafayah. La résistance de l'EI est très forte à Shajarah: après avoir pris Abidin, au nord-ouest de la ville, le régime, qui pilonne massivement la place, commence à l'investir le 30 juillet.

Situation au 29 juillet: le régime bombarde les positions près de la frontière jordanienne, tout en poussant depuis le nord et l'ouest pour réduire la moitié ouest de l'enclave. L'EI s'arc-boute sur Shajarah.

Alors que les négociations commencent le 30 juillet sur le sort des prisonniers capturés par l'Etat islamique lors de son raid sur Suweyda cinq jours plus tôt, le régime montre une première vidéo le lendemain, 31 juillet, confirmant la prise de Shajarah, dernier bastion où l'EI s'accrochait dans le reste de l'enclave. Parmi les rebelles engagés aux côtés du régime syrien, deux d'entre eux se retournent contre les forces du régime et abattent 12 hommes. Le régime pilonne la dernière zone où se tient l'organisation terroriste et l'unique route permettant de quitter la zone. Les ex-rebelles ralliés au régime dans l'opération exécutent sommairement des dizaines de combattant de l'EI capturés. Mais le régime organise l'évacuation de plusieurs centaines de combattants de l'EI encore vivants vers l'est et la Badiyah, le 31 juillet.

Il aura donc fallu moins d'un mois aux forces du régime, à grand renfort de bombardements, pour liquider l'enclave de l'Etat islamique. Toutefois, les survivants vont venir renforcer l'insurrection de l'EI dans la Badiyah dont on a pu mesurer récemment encore le danger qu'elle représentait. Le jour même du transfert des combattants djihadistes, une embuscade coûte la vie à trois officiers du régime, dont un général de brigade près de Doumeir, à l'est de Damas. L'attaque est revendiquée par l'organisation terroriste. Le 1er août, l'Etat islamique lance un raid sur la base aérienne de Khalkhalah, au nord de Suweyda, revendiquant la mort de plus de 45 membres du régime et la destruction de plusieurs appareils au sol. Malgré la campagne lancée depuis début juin, on mesure combien le régime syrien n'a pu endiguer l'insurrection déclenchée dans la Badiyah.

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